Créer 4 millions d’em­plois c’est possible par un juste partage des richesses …

C’était le thème du débat proposé par ENSEMBLE-86, le 18 novembre 2014 à ceux qui sont à la recherche d’une issue et d’une alter­na­tive au capi­ta­lisme devenu aujourd’­hui la ligne d’ho­ri­zon indé­pas­sable pour les gouver­ne­ments qu’ils soient ultra-libé­raux ou sociaux-libé­raux.

Louis-Marie BARNIER, socio­logue du travail, membre d’ENSEMBLE et de la fonda­tion Coper­nic a intro­duit ce débat en partant du triple constat d’échec auquel nous sommes confron­tés dans nos luttes pour l’em­ploi :

  • la quasi invi­si­bi­lité des 4 millions de chômeurs en France aujourd’­hui ; ce qui consti­tue un recul par rapport aux luttes des chômeurs portées par des orga­ni­sa­tions comme AC dans les années 1990, la marche des chômeurs datant de 1994.
  • l’orien­ta­tion des luttes depuis plusieurs années, unique­ment sur la défen­sive par rapport à l’em­ploi exis­tant,
  • l’in­ca­pa­cité pour le mouve­ment syndi­cal, entiè­re­ment mobi­lisé à s’op­po­ser à la destruc­tion massive des emplois, de réflé­chir à la créa­tion de nouveaux emplois.

Pour le socio­logue du travail, toutes les luttes pour l’em­ploi ne peuvent espé­rer sortir de l’im­passe défen­sive dans laquelle les exigences du MEDEF et des forces du capi­tal les enferment, sans poser clai­re­ment la ques­tion de la redis­tri­bu­tion des richesses créées par le travail.

En effet, la crise dite de l’em­ploi trou­vant sa source dans la recherche d’une renta­bi­lité pure­ment finan­cière de l’en­tre­prise, ne peut être combat­tue que par la remise en cause du profit comme seul moteur de l’éco­no­mie. Mais, si la reven­di­ca­tion de redis­tri­buer de façon plus juste les richesses est une reven­di­ca­tion perma­nente du mouve­ment ouvrier, sa réali­sa­tion par la créa­tion de nouveaux emplois est beau­coup moins évidente. D’au­tant qu’elle implique d’ar­ti­cu­ler l’exi­gence de créer des emplois à celle d’en contrô­ler le contenu par les travailleurs eux-mêmes.

Or, si depuis les années 1880 et la reven­di­ca­tion de limi­ter la jour­née de travail à 8 heures, la réduc­tion du temps de travail a toujours été un objec­tif des luttes ouvrières, elle a plus rare­ment porté sur l’or­ga­ni­sa­tion du travail et de son proces­sus. Les lois Aubry sur les 35 heures (votées en 1998 et 2000) ont d’ailleurs rendu encore plus diffi­cile cette inter­ven­tion, par leur remise en cause des orga­ni­sa­tions du travail dans les entre­prises, notam­ment par une indi­vi­dua­li­sa­tion des proces­sus du travail et une mise en concur­rence des sala­riés entre eux qui permettent au patro­nat d’avoir aujourd’­hui une maitrise totale sur le collec­tif de travail dans l’en­tre­prise.

Ainsi cette situa­tion de l’em­ploi qui se carac­té­rise à la fois par une toute puis­sance des proprié­taires des moyens de produc­tion et l’exi­gence des action­naires d’une renta­bi­lité finan­cière maxi­mum ne peut être remise en cause et trou­ver d’is­sue sans une reven­di­ca­tion forte des sala­riés qui réponde à la fois aux ques­tions posées autour de l’em­ploi et du travail : quels emplois créer ? pour quels besoins ? où les créer ? pour quel contenu du travail ? dans quelle orga­ni­sa­tion de ce travail ? au sein de quel collec­tif dans l’en­tre­prise ? Tout comme il convient de poser ou repo­ser la ques­tion de la dimi­nu­tion du temps de travail à 32 heures, voire à 30 heures hebdo­ma­daires.

Esti­mant l’im­pos­si­bi­lité d’ob­te­nir du patro­nat des créa­tions d’em­plois par la négo­cia­tion, Louis-Marie BARNIER propose donc le recours à la loi, d’au­tant que la néces­sité sociale de créer des emplois est véri­ta­ble­ment et avant tout une ques­tion poli­tique.

Affir­mer la volonté de créer 4 millions d’em­plois en France, nous oblige, au-delà de la force et de la portée du mot d’ordre, à réflé­chir aux possi­bi­li­tés d’une telle loi à partir d’une réelle volonté poli­tique de l’État et implique que nous soyons capables de sortir d’une certaine tension toujours à l’œuvre dans les forces poli­tiques de gauche, entre plani­fi­ca­tion écolo­gique et auto­ges­tion.

Le débat à partir du témoi­gnage d’un parti­ci­pant, avouant à la fois son mal être vécu au travail quand il était actif et le senti­ment de manque qu’il ressent depuis sa mise à la retraite, a permis de reve­nir d’em­blée sur la ques­tion de l’éman­ci­pa­tion du travail par la sortie de l’état d’alié­na­tion que vivent un grand nombre de travailleurs aujourd’­hui dans tous les domaines d’ac­ti­vi­tés. Un état de flexi­bi­lité, d’iso­le­ment, de divi­sion et de surcharge des tâches qu’ont aggravé les 35 heures qui ont permis avant tout au patro­nat d’ob­te­nir des gains de produc­ti­vité et de bloquer les salaires sans satis­faire à la contre­par­tie atten­due de créa­tions suffi­santes d’em­plois.

L’oc­ca­sion pour Louis-Marie BARNIER de reve­nir sur la volonté affi­chée de créer 4 millions d’em­plois pour que tout le monde trouve, par le travail, sa place dans la société, non pas seule­ment dans un rapport indi­vi­duel au travail mais dans un cadre collec­tif qui donne à chacun un sens social à sa vie au travail comme en dehors du travail.

Aussi, met-il en garde contre les pièges que contient la propo­si­tion avan­cée par certains libé­raux, d’un revenu social mini­mum pour tous qui permet­trait en réalité au patro­nat de dispo­ser d’une force de travail selon ses besoins, affran­chi des obli­ga­tions légales de rému­né­rer ses sala­riés au SMIC et selon les obli­ga­tions des conven­tions collec­tives.

Un échange à partir de la ques­tion posée par une sala­riée de savoir si créer des emplois n’était pas de la seule respon­sa­bi­lité des entre­prises, a montré que non seule­ment l’em­ploi est avant tout utilisé pour permettre l’ex­ploi­ta­tion du travail et servir de moyen d’ajus­te­ment par rapport aux objec­tifs de renta­bi­lité finan­cière exigée par les action­naires, mais il n’est le plus souvent qu’un prétexte à toutes les aides aux entre­prises ( CIR, pacte de respon­sa­bi­lité et autre crédits d’im­pôts ou allé­ge­ment de « charges ») qui sont que de moyens détour­nés pour gros­sir les profits et qui de fait cassent plus d’em­plois qu’elles n’en créent.

Cepen­dant, porter la reven­di­ca­tion de créer des emplois par obli­ga­tion de la loi pose plusieurs ques­tions quant à sa mise en œuvre, dont celles du rôle domi­nant de l’ac­tion­naire aujourd’­hui dans l’en­tre­prise, et de l’im­puis­sance de l’Etat orga­ni­sée par l’Eu­rope, notam­ment avec le dogme de la concur­rence libre et non faus­sée, qui plus est dans une écono­mie sans crois­sance. Autre dogme discuté et qu’il convient de combattre.

En effet, subor­don­ner la créa­tion d’em­ploi au retour de la crois­sance est une aber­ra­tion et un mensonge écono­mique car ce n’est pas la crois­sance qui permet de créer des emplois mais bien le travail et donc les emplois qui créent la richesse et donc éven­tuel­le­ment la crois­sance. Encore faut-il clai­re­ment redé­fi­nir le terme de crois­sance écono­mique qui d’un point de vue capi­ta­liste pousse au produc­ti­visme et au gaspillage dont on sait aujourd’­hui que cela nous conduit à l’épui­se­ment des richesses natu­relles et à la catas­trophe écolo­gique. De même que la bataille de l’em­ploi ne pourra pas se gagner sans affron­ter l’of­fen­sive idéo­lo­gique qui est menée sur le coût du travail et le poids des charges dites patro­nales et qui se déve­loppe sur la diffi­culté que nous avons à faire connaître et comprendre aux travailleurs que les richesses ne peuvent être produites que par le travail et non par le capi­tal qu’a­li­mentent les profits détour­nés de la plus-value.

Le débat a laissé en suspens ou n’a pas abordé plusieurs autres ques­tions que pose aujourd’­hui la crise écono­mique, sociale et écolo­gique à laquelle nous sommes confron­tés et notam­ment celle de la nature des emplois liée au contenu du travail en rapport avec les ques­tions de la tran­si­tion écolo­gique, la créa­tion d’em­plois nouveaux qu’elle néces­site et la dispa­ri­tion, à terme, d’autres qu’elle implique !

Tout comme nous devons réflé­chir plus longue­ment à ce que doit être le collec­tif de travail, en tant que lieu et moyen d’éman­ci­pa­tion des travailleurs à l’ate­lier ou au bureau mais aussi en dehors de l’en­tre­prise et quelle place centrale le mouve­ment syndi­cal et social doit -t-il conqué­rir voire reconqué­rir dans l’éla­bo­ra­tion et le fonc­tion­ne­ment de ce collec­tif ?

Pour clore momen­ta­né­ment la discus­sion, Louis-Marie BARNIER a rappelé que la bataille de l’em­ploi passe d’abord par l’im­pé­ra­tif de remettre en cause la préten­due fata­lité du chômage, une exigence que porte de façon forte et subver­sive la double reven­di­ca­tion de créer 4 millions d’em­plois et de réduire à nouveau le temps de travail.

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