Quelques réflexions post trauma

Le mercredi soir (jour de l’at­ten­tat contre Char­lie hebdo) les rassem­ble­ments étaient néces­saires face au choc et à l’hor­reur. Trop de morts, trop de mort et si proche, si proches. A ces moments-là nous avons besoin de la chaleur du groupe, de se retrou­ver ensemble. Nous sommes des êtres sociaux.

 

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Avant la mort des assas­sins, sur la place les mani­fes­tant.es à Poitiers s’en­tas­saient, se serraient. Pour le rassem­ble­ment du dimanche, après la mort des assas­sins, il y avait plus d’es­paces entre les gens, moins de concen­tra­tion alors qu’il y avait plus de monde. Le rassem­ble­ment était un peu moins silen­cieux, moins grave.

 

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Le samedi des poli­ciers sont montés au balcon de la mairie pour filmer la mani­fes­ta­tion comme ils/elles  filment tous les rassem­ble­ments. Ils ont été applau­dis. Je me suis fait la réflexion que les présent.es n’avaient pas l’ha­bi­tude de mani­fes­ter car les poli­cier.es en règle géné­rale, s’ils et elles protègent parfois les mani­fes­tant.es contre les auto­mo­bi­listes, sont aussi souvent là pour répri­mer et ficher le protes­ta­taires.

 

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Je me souviens des mani­fes­ta­tions spon­ta­nées après la finale de la coupe du monde de foot­ball en France en 1998. Les jour­naux titraient alors sur la France « blacks, blancs, beurs » et son modèle de société. Pour les mani­fes­ta­tions de début janvier, ce n’était pas la même compo­si­tion. J’émets l’hy­po­thèse qu’une frac­ture bée entre un modèle fantasmé répu­bli­cain « blacks, blancs, beurs » et une réalité des discri­mi­na­tions qui éloignent toute une partie de la popu­la­tion des acti­vi­tés publiques (urnes, mani­fes­ta­tions, etc.). Cette discri­mi­na­tion n’est pas seule­ment « raciale » ou reli­gieuse. Elle est égale­ment tota­le­ment sociale.

 

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En discu­tant avec des jeunes mais pas seule­ment, je me suis aperçu que l’en­tre­prise de dédia­bo­li­sa­tion du FN fonc­tion­nait. Puisque le FN est au parle­ment, pourquoi le parti ne faisait-il pas partie de l’union natio­nale ? J’ai calculé que les grandes mani­fes­ta­tions de l’entre deux tours des prési­den­tielles de 2002, qui ont vu des milliers de personnes refu­ser la présence de Le Pen (père) au deuxième tour, c’était il y a 13 ans (!) et que ce souve­nir s’es­tom­pait. La plupart de mes inter­lo­cu­teurs et inter­lo­cu­trices ne voient pas concrè­te­ment ce que signi­fie­rait la « préfé­rence natio­nale », qu’il y aurait en France deux types de citoyen.nes : les étran­ger.es pour toujours et les natio­naux exclu­si­ve­ment de « souche » (blancs, de tradi­tion catho­lique, non protes­ta­taires), que cette discri­mi­na­tion implique­rait un ségré­ga­tion dans l’ac­cès aux services publics, dans les droits sociaux , privés et publics. L’ar­ri­vée d’un noir à la prési­dence des États Unis, l’en­trée de noms à conso­nance étran­gère dans les minis­tères et dans les médias semble n’y rien chan­ger.

 

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Les chantres de l’« Unité » , de l’« unani­mité » et de l’« Union » semble nier la notion de débat et de la plura­lité d’opi­nion. A l’in­verse, les chantres du débat semble parfois oublier que derrière une mani­fes­ta­tion unique il y a, toujours, multi­pli­cité et complexité des moti­va­tions, des attentes et des inter­pré­ta­tions. La réalité n’est pas en noir ou blanc. C’est un mélange de nuances de gris où il s’agit de faire des choix en couleur.

 

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Les symboles sont ambi­gus eux aussi. Par exemple le drapeau bleu, blanc, rouge. Je me méfie de ce symbole car il a servi à nombre de guerres et de bouche­ries. Et pourra resser­vir.

Mais à travers la réac­tion inter­na­tio­nale, je me suis aperçu aussi que le drapeau était encore chargé du « liberté, égalité, frater­nité » de la révo­lu­tion française, plus de trois siècle après (ce qui me confirme aussi dans l’idée qu’on a toujours raison de faire une révo­lu­tion), qu’il y avait aussi de cela dans les mani­fes­ta­tion de la semaine tragique en France.

 

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La peur est un puis­sant ressort person­nel et social. En ville, dans les jours qui ont suivi l’at­ten­tat, les passant.es se dévi­sa­geaient inquiet.es . L’in­dif­fé­rence n’était plus de mise. Après la peur inquiète, il reste le soupçon.

 

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La peur. D’où les décla­ra­tions : « la France est en guerre », « ils viennent jusque dans nos bras », la volonté de trou­ver un nouvel ennemi : après le rouge sovié­tique d’an­tant voici l’arabe fana­tique enva­his­seur.

Nous y  oppo­sons la « sécu­rité » sociale, » l’as­su­rance » mala­die,  les « garan­ties » collec­tives, la « protec­tion » de la loi et sociale.

 

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Éton­nant cet désir entê­tant de possé­der le prochain numéro de Char­lie hebdo. Autant de fièvre ache­teuse que pour le dernier ipad ou pour les soldes. La soli­da­rité réifiée, conver­tie en marchan­dise, en quelque chose de tangible, mesu­rable en argent, en quan­tité (ici d’eu­ros). Rassu­rant.

Aussi un talis­man contre la peur, encore une fois confir­mer que l’on fait partie de la majo­rité car son entou­rage aura ou aura lu ce numéro. Ne pas être seul.e, livré.e seul.e, exposé.e seul.e. Être fort du groupe. Nous sommes des êtres irré­mé­dia­ble­ment sociaux.

 

Pascal Canaud

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