Tarnac. Délire poli­cier, réalité répres­sive.

2008–2015. L’in­cu­ba­tion d’une fiction.

Le 11 novembre 2008, 15 membres du groupe de Tarnac furent inter­pel­lés. C’est le 6 mai 2015 que le parquet de Paris a rendu son réqui­si­toire défi­ni­tif : il demande le renvoi devant le tribu­nal correc­tion­nel de trois des mili­tants pour «  asso­cia­tion de malfai­teurs en rela­tion avec une entre­prise terro­riste » et « dégra­da­tions en réunion » de trois des mili­tants : Julien Coupat, Yildune Lévy, et Gabrielle Hallez.
Terro­risme ? Concrè­te­ment ils sont accu­sés d’avoir posé deux fers à crochet sur des lignes TGV , à deux reprises, fin octobre et dé but novembre 2008.
Avant et après leur arres­ta­tion, il y eut des dizaines de perqui­si­tions à leurs domi­ciles et ceux de leurs proches, des fila­tures, le bali­sage-illé­gal- d’ une voiture, et des mois d’écoutes télé­pho­niques, d’in­ter­cep­tions de leurs flux Inter­net, d’ana­lyse de leurs disques dur. Et aussi le place­ment sous vidéo­sur­veillance de la ferme du Goutailloux en Corrèze et la sono­ri­sa­tion des parloirs de Julien Coupat, qui fut empri­sonné jusqu’en mai 2009.
La procu­reure adjointe décrit une évolu­tion de Coupat depuis 2005, pour arri­ver à une «  tenta­tive de désta­bi­li­sa­tion de l’État par la destruc­tion des infra­struc­tures ferro­viaires  ». Pour construire l’ar­gu­men­ta­tion qui va de deux fers à crochet au terro­risme affirmé, elle s’ap­puie sur sa lecture d’ un livre, L’In­sur­rec­tion qui vient, publié en 2007 par le « Comité invi­sible » aux éditions La Fabrique. Julien Coupat est aux yeux du parquet, malgré ses déné­ga­tions, l’au­teur du livre. La procu­reure adjointe le lit comme s’il s’agis­sait d’un caté­chisme pour auto­nomes.
Dans le livre,nous dit-elle, « le premier mode d’ac­tion sera de détruire les réseaux dits de flux, c’est-à-dire ceux permet­tant de vivre dans une société orga­ni­sée, au premier rang desquels le chemin de fer. » Donc ils ne sauraient qu’être coupable de ces court-circuits horri­fiant pour le parquet. Coupat et ses amis s’ins­tallent à Tarnac ? C’est la créa­tion d’« une de ces premières communes » , la créa­tion d’un de ces «  groupes isolés ayant adopté un mode de vie commu­nau­taire qui auront assuré leur clan­des­ti­nité ».Groupe isolé « donc » clan­des­tin… Ils voyagent et rencontrent des amis aux idées proches des leurs ? C’est un complot qui appa­raît se consti­tuer sous les yeux tristes de la procu­reure par ces contacts avec des personnes« issus des mouvances anar­chistes italienne, alle­mande, écos­saise, et grecque paral­lèle ». Voici « le projet fomenté très sérieu­se­ment par le grou­pus­cule installé à Tarnac  » conclut le parquet.
Un grou­pus­cule qui armé de deux fers à crochets et son petit livre passe à l’ac­tion. Et quelle action pour notre conteuse ! Ce fut, raconte-t-elle, « le grand soir de l’anar­chie franco-alle­mande  » avec « les passages à l’acte coor­don­nés de la nuit du 7–8 novembre 2008 » puisqu’un groupe alle­mand a reven­diqué le 13 novembre 2008 une action du même type dans une lutte anti­nu­cléaire en Alle­magne, ce qui « ne fait qu’ap­puyer l’exis­tence d’un projet plus vaste ». La Procu­reure « déduit » : «  il ne peut être que craint que cette étape (…) aurait été suivie d’une phase plus violente  ».
Or, dans la réalité prosaïque, la SNCF et Réseaux ferrés de France se sont portés partie civile, pour des retards de trains et des dégâts maté­riels qui ne pouvaient en aucun cas faire dérailler de train.
Mais cela ne ralen­tit point la verve de la reco­pieuse de rapports de police bidon­nés qui affirme que les atteintes aux biens («  vols, extor­sions, destruc­tions et dégra­da­tions  ») peuvent consti­tuer des actes de terro­risme si elles visent à «  trou­bler grave­ment l’ordre public par l’in­ti­mi­da­tion ou la terreur  ».
Or, «  le passage à l’ac­tion violente s’il pouvait appa­raître dans un premier temps de rela­ti­ve­ment faible inten­sité, s’ins­cri­vait dans un proces­sus de recherche de causer un trouble majeur à l’ordre public en créant dans la popu­la­tion un climat de terreur. La mise hors service de plusieurs lignes ferro­viaires plusieurs week-ends nuisant à des centaines de milliers de personnes (…) aurait néces­sai­re­ment créé un tel climat.  ». Et voilà, la pose de trucs en ferraille sur des caté­naires, c’est terri­fiant et c’est fait pour terri­fier. Étrange logique…
Mais l’im­por­tant est que si c’est la juge d’ins­truc­tion qui déci­dera des suites judi­ciaires, l’État quali­fie  donc  ces trois personnes de la même déno­mi­na­tion que celle qui fut,à juste titre, employée pour les tueurs du 7 janvier 2015; un livre poli­tique très offi­ciel­le­ment édité, parlant de révo­lu­tion et d’in­sur­rec­tion est consi­déré comme un manuel de terro­risme. On aurait pu croire que ce délire était propre à la ministre de l’In­té­rieur de Sarkozy, Alliot-Marie, qui fut à la manœuvre en 2008. Mais non.

Loi sur l’an­ti­ter­ro­risme puis loi sur le rensei­gne­ment: justice nulle part.
Une loi sur le rensei­gne­ment, adop­tée en première lecture en ce début mai aussi, instaure une société de surveillance géné­ra­li­sée, auto­ri­sant l’État à espion­ner tout un chacun, n’im­porte qui, n’im­porte quand, n’im­porte où, sans contrôles indé­pen­dants ni auto­ri­sa­tions judi­ciaires. Surveillance par la collecte géné­ra­li­sée et la conser­va­tion durable de données collec­tées sur nos ordi­na­teurs, nos télé­phones, nos tablettes. La Commis­sion natio­nale consul­ta­tive des droits de l’homme affirme que le dispo­si­tif de la loi contient « une viola­tion flagrante de l’ar­ticle 8 » de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’homme énonçant le « droit au respect de la vie privée et fami­liale ». « En éten­dant le recours aux tech­niques de rensei­gne­ment jusqu’aux inté­rêts de la poli­tique étran­gère comme aux inté­rêts écono­miques et indus­triels, sans comp­ter la surveillance préven­tive des violences collec­tives, le projet de loi offre un champ « poten­tiel­le­ment illi­mité » aux curio­si­tés intru­sives des services de rensei­gne­ment », écrit Plenel dans Media­part. Une loi qui a pour voca­tion à permettre la surveillance des mouve­ments sociaux et de ses mili­tant.e.s, à construire des dossiers de basse police visant à les crimi­na­li­ser toujours plus. Asso­ciée à la loi anti­ter­ro­riste promul­guée en novembre 2014, elle forme un arse­nal juri­dique liber­ti­cide.
Ce gouver­ne­ment est respon­sable de la mort de Rémi Fraisse sur le site du futur barrage de Sivens, fin octobre 2014 ; un jeune mili­tant étudiant, Gaëtan, de la ville proche de Toulouse, a été condamné à 6 mois de prison à la suite d’une mani­fes­ta­tion en mémoire de Rémi. Par contraste, ce qui arrive aux trois de Tarnac pour­rait sembler simple­ment grotesque ; mais c’est un contrôle de masse qui se met en place, où la répres­sion frappe les mili­tants qui s’op­posent à l’ordre néoli­bé­ral. Notre soli­da­rité avec les trois de Tarnac va de soi, elle est aussi une mesure d’auto-défense face à cet État répres­sif.

Pascal Bois­sel, 14 mai 2015.

PS. La photo­gra­phie qui illustre cet article est tirée du deuxième livre du comité invi­sible, « A nos amis », toujours aux éditions La Fabrique.

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