CADTM Pakis­tan: Après les catas­tro­phiques inon­da­tions meur­trières liées au chan­ge­ment clima­tique, exigeons (pour le moins) l’an­nu­la­tion de la dette du Pakis­tan

Les inon­da­tions dévas­ta­trices qui ont frappé le Pakis­tan ont tué plus de 1 200 personnes, dont 400 enfants, depuis le 14 juin. Elles ont déplacé envi­ron 33 millions de personnes et compro­mis les moyens de subsis­tance de la popu­la­tion avec la perte d’en­vi­ron un million de têtes de bétail. En outre, les inon­da­tions ont emporté au moins un million de maisons et endom­magé autant d’hec­tares de terres agri­coles, soit 45% des cultures du Sind, du sud du Pendjab et du Balout­chis­tan, lais­sant présa­ger une pénu­rie alimen­taire immi­nente. Ces inon­da­tions sans précé­dent ont frappé l’éco­no­mie pakis­ta­naise de plein fouet, provoquant des pertes de l’ordre de 10 milliards de dollars [1] selon les premières esti­ma­tions. Au total, un tiers du Pakis­tan, soit une super­fi­cie équi­va­lente à celle du Royaume-Uni, a été inondé. Pour­tant, les dettes et les paie­ments exté­rieurs du pays limitent consi­dé­ra­ble­ment la capa­cité du gouver­ne­ment à aider la popu­la­tion touchée par ces terribles inon­da­tions. Après les dernières méga-inon­da­tions de 2010, le pays vacille à nouveau sous l’ef­fet d’une catas­trophe d’une ampleur inima­gi­nable.

Il est inté­res­sant de mention­ner que le Pakis­tan est l’un des 52 pays confron­tés à une grave crise de la dette [2]. Le problème le plus impor­tant auquel l’éco­no­mie du pays est confron­tée est le service de sa dette exté­rieure. Le gouver­ne­ment doit verser envi­ron 38 milliards de dollars au FMI, à la Banque mondiale et à d’autres insti­tu­tions finan­cières – dont font partie plusieurs banques chinoises – d’ici à la fin de l’exer­cice finan­cier actuel.

Selon le Fonds moné­taire inter­na­tio­nal (FMI), la dette exté­rieure du Pakis­tan attein­dra 138,568 milliards de dollars en 2022–2023, contre 129,574 milliards de dollars en 2021–2022 [3]. Le pays a dû payer 15,071 milliards de dollars au titre du service de la dette exté­rieure au cours de l’exer­cice 2022, contre 13,424 milliards de dollars en 2021. En 2022, la répar­ti­tion entre le prin­ci­pal et les inté­rêts montre que 12,093 milliards de dollars ont été versés au titre du rembour­se­ment du capi­tal emprunté et 2,978 milliards de dollars au titre du paie­ment des inté­rêts. En outre, de 2018 à 2020, le Pakis­tan a déjà payé envi­ron 65 millions de dollars de surtaxes impo­sées par le FMI. Entre 2021 et 2030, il est probable qu’il doive payer 392 millions de dollars en plus du paie­ment d’une dette qui s’alour­dit. Les créan­ciers récla­mant un service de la dette de 38 milliards de dollars cette année mettent des millions de vies en danger.

« Les créan­ciers récla­mant un service de la dette de 38 milliards de dollars cette année mettent des millions de vies en danger »

Contraint par des options limi­tées, le Pakis­tan envi­sage de solli­ci­ter une nouvelle fois un prêt d’ur­gence du FMI car les premières esti­ma­tions suggèrent que les terribles inon­da­tions pour­raient avoir causé près de 10 milliards de dollars de pertes et que le taux de crois­sance écono­mique pour­rait ralen­tir à hauteur de 2% pour l’an­née en cours [4]. Il est tout aussi impor­tant de mention­ner qu’en avril 2020, le FMI avait approuvé un finan­ce­ment d’ur­gence de 1,4 milliard de dollars pour le Pakis­tan dans le cadre de l’ins­tru­ment de finan­ce­ment rapide (IFR). L’objec­tif était le suivant : aider le pays à faire face aux consé­quences de la pandé­mie de Covid-19.

Si l’aide d’ur­gence est indis­pen­sable dans cette situa­tion, il faut comprendre ce qui est en jeu au Pakis­tan. À court d’argent, le pays a été contraint de signer un accord avec le FMI le 22 août dernier pour un prêt de sauve­tage de 4,2 milliards de dollars dans le cadre du méca­nisme élargi de crédit (MEDC) [5]. Ce prêt est assorti de condi­tions très strictes, telles qu’une augmen­ta­tion consi­dé­rable des prix du pétrole, du gaz et de l’élec­tri­cité et des coupes dras­tiques dans les dépenses sociales, frap­pant en prio­rité des millions de travailleur·euses. Sans oublier que dans les 12 prochains mois, le Pakis­tan aura besoin d’au moins 41 milliards de dollars pour rembour­ser sa dette alors que l’in­fla­tion est de 26%, le deuxième taux le plus élevé en Asie.

Bien que les dernières inon­da­tions soient d’une nature diffé­rente de celles de 2010 – ces dernières étaient des crues soudaines alors que celles auxquelles le Pakis­tan fait face actuel­le­ment sont des crues fluviales – dans les deux cas, on peut affir­mer que les dommages causés par les deux catas­trophes sont le résul­tat du chan­ge­ment clima­tique et de poli­tiques de déve­lop­pe­ment très critiquables. Au cours des 17 dernières années, le Pakis­tan a connu trois crises majeures – avant la crise actuelle. Bien que la nature et l’am­pleur de ces crises aient été diffé­rentes, deux d’entre elles ont été causées par des risques natu­rels – le trem­ble­ment de terre de 2005, qui a touché 3,5 millions de personnes, et les inon­da­tions de 2010, qui ont frappé plus de 20 millions de personnes.

« Le Pakis­tan, qui produit moins de 1% des émis­sions mondiales de CO2, est l’un des États qui subissent les pires consé­quences de la crise clima­tique »

Un autre aspect essen­tiel de cette catas­trophe en cours est le terrible impact du chan­ge­ment clima­tique sur le Pakis­tan. Le pays, qui produit moins de 1 % des émis­sions mondiales de CO2, est l’un des États qui subissent les pires consé­quences de la crise clima­tique. Au cours des 20 dernières années, il a été régu­liè­re­ment classé parmi les dix pays les plus vulné­rables par l’In­dice mondial des risques clima­tiques (IRC). Les catas­trophes clima­tiques, qui touchent des millions de personnes au Pakis­tan, vont être de plus en plus nombreuses et de plus en plus graves. Aujourd’­hui, ces inon­da­tions sont provoquées par des pluies torren­tielles de 400 à 500% supé­rieures à la normale et par la fonte des glaciers ; à l’ave­nir, c’est la pénu­rie d’eau qui fera peser un plus grand risque sur la survie de millions de personnes.

Les multiples crises liées au Covid-19, ses impacts écono­miques, l’exa­cer­ba­tion des diffi­cul­tés pré-pandé­miques et la hausse des catas­trophes liées au climat sont déjà des raisons plus que suffi­santes pour justi­fier l’an­nu­la­tion des dettes du Pakis­tan. Les terribles inon­da­tions qui ont frappé le pays ont rendu cette mesure encore plus urgente. Il serait tout à fait inhu­main pour les prêteurs – publics et privés – de ne pas répondre à cette demande.

« Une annu­la­tion immé­diate de la dette est une demande mini­male puisque le Pakis­tan n’est plus en mesure de rembour­ser ses prêts et que ces inon­da­tions ont aggravé la situa­tion écono­mique du pays »

Dans de telles circons­tances, une annu­la­tion immé­diate de la dette est une demande mini­male puisque le Pakis­tan n’est plus en mesure de rembour­ser ses prêts et que ces inon­da­tions ont aggravé la situa­tion écono­mique du pays. Dans le contexte actuel, compte tenu de la règle de l’ONU sur « l’état de néces­sité », le Pakis­tan doit être auto­risé à utili­ser les fonds dispo­nibles pour répondre aux besoins vitaux des 33 millions de personnes touchées par les inon­da­tions et non pour rembour­ser sa dette, sans être pour­suivi pour manque­ment à ses enga­ge­ments.

Enfin, et surtout, les pays riches doivent assu­mer une part propor­tion­nelle à leurs respon­sa­bi­li­tés dans les actions mondiales en faveur du climat, afin de mettre un terme au chan­ge­ment clima­tique catas­tro­phique dont le Pakis­tan est la pire victime. Il est grand temps de leur rappe­ler leurs obli­ga­tions en matière de finan­ce­ment de la lutte contre le réchauf­fe­ment clima­tique, afin de remé­dier aux pertes et aux dommages tels que ceux que subit actuel­le­ment le peuple pakis­ta­nais.

Notes
[1] https://epaper.dawn.com/DetailI­mage.php? StoryI­mage=02_09_2022_001_006
[2] Le Pakis­tan dans une spirale d’en­det­te­ment parfaite avec les pires impacts de la pandé­mie
[3https://www.brecor­der.com/news/40152434/imf-says-pakis­tans-exter­nal-debt-to-reach-138568bn-in-2022–23
[4] https://tribune.com.pk/story/2374179/govt-mulls-taking-another-imf-loan-for-floods?fbclid=IwAR0Lu6b4MzQnm5vbdOb55M3OiIBry-yrnSirEh­wuBQUg2e_swgTr2xc0AXk
[5] https://www.voanews.com/a/cash-strap­ped-pakis­tan-reaches-agree­ment-with-imf-to-revive-bailout-loan/6658983.html

Abdul Khaliq
CADTM Pakis­tan
http://cadtm.org/Double-peine-pour-le-Pakis­tan-noye-sous-les-inon­da­tions-et-les-dettes

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