Ensemble ! Un mouve­ment poli­tique en quête d’iden­tité

Alors que le Front de gauche reste plombé par ses riva­li­tés internes et les limites stra­té­giques du PCF et du PG, Ensemble ! entend appor­ter sa pierre à la refon­da­tion d’un projet d’éman­ci­pa­tion et d’une alter­na­tive poli­tique. Au cœur de son iden­tité en construc­tion, face à la crise démo­cra­tique, l’enjeu de l’ap­pro­pria­tion citoyenne de la poli­tique.

Ensemble ! n’est pas la première force poli­tique à vouloir lutter contre l’aus­té­rité, contre toutes les domi­na­tions et discri­mi­na­tions. Elle n’est pas la seule à souhai­ter l’émer­gence d’une alter­na­tive poli­tique à gauche. Même s’il n’y en a pas pléthore, elle n’est pas non plus le seul espace poli­tique à se situer dans une pers­pec­tive d’éman­ci­pa­tion, ou à vouloir marier la ques­tion sociale, la ques­tion écolo­gique et la ques­tion démo­cra­tique. Reste que ces orien­ta­tions parta­gées sur le papier donnent lieu à des stra­té­gies et des pratiques contra­dic­toires.

Le PCF est histo­rique­ment du côté de la visée de trans­for­ma­tion de la société, mais il est miné par sa schizo-stra­té­gie : il conti­nue parfois de croire en la vieille union de la gauche, quitte à se lais­ser entraî­ner par la spirale morti­fère du PS… notam­ment pour préser­ver des postes d’élus. Il se veut de longue date le chantre de l’in­ter­ven­tion citoyenne, mais il reste en réalité réti­cent à enga­ger en grand la créa­tion d’es­paces poli­tiques qui donne­raient du pouvoir aux citoyens. Et le PG ? Plus clair sur la stra­té­gie, mais usant parfois d’une corde inuti­le­ment agres­sive vis-à-vis des autres forces, il porte aussi la « révo­lu­tion démo­cra­tique ». Mais il se posi­tionne comme une avant-garde desti­née à exer­cer le pouvoir d’État dont il aurait pris le contrôle afin de trans­for­mer la société, et non comme une force poli­tique dédiée à l’ap­pro­pria­tion popu­laire de la poli­tique. Enfin, le NPA reste coincé par son purisme radi­cal, qui le condamne à la margi­na­lité, et par une concep­tion clas­sique de l’ac­tion poli­tique (celle de l’avant-garde éclai­rée).

De fait, la singu­la­rité d’Ensemble ! est surtout de cher­cher à trans­for­mer la concep­tion de la poli­tique : pour qu’elle fasse la part belle à la citoyen­neté, pour relier les luttes de résis­tance, d’al­ter­na­tive et la construc­tion d’un projet projet, pour une action autant que possible débar­ras­sée des oripeaux des concep­tions tradi­tion­nelles de la poli­tique.

Ces concep­tions tradi­tion­nelles de la poli­tique relèvent de la tenta­tion, toujours présente, de parler à la place des premiers concer­nés, de s’iden­ti­fier comme un guide, de défi­nir en chambre fermée une offre poli­tique, un programme que les citoyens auraient à soute­nir, d’avoir des élus-repré­sen­tants qui sauraient ce qui est bon pour le peuple, et ainsi de suite. Elles restent encore bien vivantes dans la gauche d’al­ter­na­tive, et il ne suffit pas de vouloir s’en extir­per pour y parve­nir. Ce sont elles qui freinent le Front de gauche, dont les prin­ci­pales compo­santes craignent toujours de perdre le gouver­nail. Ce sont ces concep­tions dépas­sées qui le conduisent à n’avoir pas donné suite jusqu’à présent à l’idée émise pour­tant de toutes parts que le Front de gauche doit se trans­for­mer en Front du peuple. Ce sont elles qui restent en diffi­culté pour inven­ter un nouveau rapport avec la société, alors que toutes les forces font le diagnos­tic que le système poli­tique ne répond plus aux enjeux démo­cra­tiques contem­po­rains.

Ensemble ! ne prétend pas avoir résolu ces ques­tions, ni trouvé la bonne formule. Mais le mouve­ment a au moins compris qu’un chan­ge­ment de para­digme démo­cra­tique est néces­saire à la réin­ven­tion de la poli­tique. Et que c’est cela qui peut récon­ci­lier une vision de court et de moyen termes, et une vision de long terme, apte par exemple à prendre en compte les trans­for­ma­tions anthro­po­lo­giques à l’œuvre dans la société. Ainsi, l’ac­cès géné­ra­lisé à une éduca­tion de haut niveau et la montée des aspi­ra­tions à maîtri­ser sa vie, ou à trou­ver un équi­libre entre épanouis­se­ment person­nel et vie en société, obligent désor­mais à conce­voir autre­ment l’ac­tion poli­tique.

Concrè­te­ment, il n’y a plus de masses à éduquer par le parti (mais des espaces d’éla­bo­ra­tion en commun à co-construire), et il n’y a plus de mono­pole de la légi­ti­mité des insti­tu­tions parti­daires (mais une plura­lité de réseaux poli­tiques). Il y a l’ex­pé­rience concrète vécue par des personnes, la mobi­li­sa­tion de l’es­prit critique y compris à l’in­té­rieur des orga­ni­sa­tions, la place de la subjec­ti­vité et le rôle de l’af­fec­tif (à la place des préten­dues « sciences poli­tiques »)… diamé­tra­le­ment oppo­sés à l’idée que tout le monde doit penser pareil et que les mili­tants doivent être disci­pli­nés. Les mili­tants sont et seront indis­ci­pli­nés, et l’ef­fi­ca­cité ne se construira plus sur le registre de l’unité procla­mée, de l’obli­ga­tion régle­men­taire, du culte du chef ou sous la menace de l’ac­cu­sa­tion de traî­trise. C’est tout un monde poli­tique qui meurt à petits feux, qui met aussi en cause la notion phare du centra­lisme démo­cra­tique : l’idée que tout le monde devrait appliquer la déci­sion prise à la majo­rité. Désor­mais, on peut espé­rer que plus personne ne consi­dère que l’on doive défendre des idées qu’on ne partage pas, sous prétexte qu’on est mino­ri­taire !

Un mouve­ment plura­liste

À la diffé­rence du PCF, du PG et du NPA, où la diver­sité reste malheu­reu­se­ment – un peu, beau­coup… – un problème (dont témoignent encore et encore les polé­miques internes et les départs, expli­cites ou sur la pointe des pieds), Ensemble ! a démarré en étant d’em­blée un mouve­ment plura­liste, du fait de la diver­sité de ses initia­teurs (lire « D’où vient Ensemble !« ). Ainsi, lors de la consti­tu­tion, il a été écrit : « Nous sommes convain­cus que c’est de la confron­ta­tion et du métis­sage des parcours et des cultures poli­tiques que peut se créer du nouveau en poli­tique, et qu’une logique de dépas­se­ment et de conver­gence de forces aux tradi­tions poli­tiques diffé­rentes est néces­saire pour favo­ri­ser l’émer­gence d’un mouve­ment trans­for­ma­teur.  » De la capa­cité à faire vivre cette orien­ta­tion dépen­dra le succès ou non de l’am­bi­tion d’ « avan­cer dans la voie du rassem­ble­ment d’un front poli­tique, social et popu­laire, à même d’as­su­mer la confron­ta­tion avec les classes domi­nantes, et de construire un rassem­ble­ment majo­ri­taire pour une alter­na­tive de gauche à la poli­tique du gouver­ne­ment actuel ».

Toute la diffi­culté est de ne pas retom­ber dans les méca­niques rouillées des formes poli­tiques clas­siques, c’est-à-dire dans l’ef­fi­ca­cité d’un fonc­tion­ne­ment en mode « rouleau compres­seur », qui est toujours plus simple à mettre en œuvre qu’un mode concerté et ouvert. Or, tout pousse dans l’autre sens. Le système média­tique, par exemple : parce qu’il faudrait sur chaque ques­tion brico­ler immé­dia­te­ment un point de vue simple, c’est-à-dire super­fi­ciel, cari­ca­tu­ral ou répé­ti­tif. Autre exemple : les modes de struc­tu­ra­tions des forces poli­tiques, qui conduisent à ce que les déci­sions soient concen­trées par un nombre très limité de personnes, qui d’ailleurs sont seules à avoir toute l’in­for­ma­tion. Et, toujours parce qu’il faut être effi­cace, la tendance à se repo­ser prin­ci­pa­le­ment sur les plus dispo­nibles, qui sont toujours les mêmes, ce qui se fait toujours au détri­ment des moins aguer­ris, des moins formés… C’est ici, où le fond et la forme inter­agissent complè­te­ment, que des formes inno­vantes sont à inven­ter, à expé­ri­men­ter, en sachant que c’est une culture poli­tique nouvelle qu’il s’agit de faire naître : cela pren­dra du temps, mais il s’agit de ne pas perdre l’objec­tif.

Soyons main­te­nant réalistes : seule une parti­ci­pa­tion élar­gie à la défi­ni­tion de l’orien­ta­tion d’Ensemble !, à ses lieux d’éla­bo­ra­tion et à la construc­tion de ses initia­tives peut faire avan­cer son projet dans le bon sens. C’est là qu’il faut en appe­ler aux nombreux mili­tants qui ont mis la clef sous le paillas­son des tenta­tives précé­dentes, et qui sont aujourd’­hui sur le bord du chemin. Ils attendent pour voir, souvent avec un scep­ti­cisme bien­veillant. Leurs conver­gences avec des citoyens inté­res­sés – une partie des lecteurs de Cerises, peut-être ! – et avec les nouvelles géné­ra­tions, qui sont souvent plus poli­ti­sées que ce que l’on croit, est une des clefs pour concré­ti­ser les inten­tions d’un mouve­ment nais­sant.

Les atouts et les défits d’un mouve­ment en construc­tion

Pourquoi l’ex­pé­rience d’En­semble !, à la diffé­rences d’autres tenta­tives, peut-elle réus­sir ? Et à quelles condi­tions ?

Ensemble ! a une masse critique pour peser

À la diffé­rence de précé­dents regrou­pe­ments, Ensemble ! rassemble d’em­blée plusieurs petites forces tota­li­sant des milliers d’adhé­rents possibles à moyen terme. Cela permet une présence terri­to­riale nette­ment plus impor­tante que chacune des forces initia­trices et cela ouvre des possi­bi­li­tés d’être présent dans toutes les luttes de résis­tances et mouve­ments portant des exigences de droits et de trans­for­ma­tion (des actions contre l’aé­ro­port Notre-Dame-des-Landes aux initia­tives pour la gratuité, des mani­fes­ta­tions contre l’ex­trême-droite aux mobi­li­sa­tions contre la réforme terri­to­riale ou face aux nouvelles mesures d’aus­té­rité du gouver­ne­ment). Cela donne de toutes autres capa­ci­tés à mener des campagnes et peser dans le débat public. L’enjeu est alors… de prendre des initia­tives.

Ensemble ! est déjà une fédé­ra­tion plura­liste

La conver­gence de mili­tants issus d’une vraie diver­sité de sensi­bi­li­tés de la gauche d’al­ter­na­tive fait d’Ensemble ! un mouve­ment plura­liste de fait. Peu à peu, les compo­santes initiales envi­sagent de se fondre dans le nouveau mouve­ment, ne serait-ce que pour ne pas doublon­ner les instances et des lieux d’ini­tia­tives poli­tiques. Un enjeu est alors que le proces­sus de fusion entre les compo­santes initiales ne vise surtout pas à faire dispa­raître les spéci­fi­ci­tés et les apports singu­liers, mais à faire de sa richesse initiale et de l’agré­ga­tion de nouvelles moti­va­tions une force récur­rente.

Ensemble ! veut dépas­ser la césure entre mouve­ment social et poli­tique

La parti­ci­pa­tion de mili­tants syndi­caux et asso­cia­tifs aguer­ris, eux-mêmes en dialogue avec de nombreux autres mili­tants, signi­fie des possi­bi­li­tés nouvelles de conver­gence et de travail en commun sur le rapport entre le mouve­ment social et la poli­tique insti­tu­tion­nelle. Il s’agit d’al­ler au-delà des concep­tions anciennes : l’offre poli­tique comme simple prolon­ge­ment de l’en­ga­ge­ment asso­cia­tif ou syndi­cal (ce système de relais ne fonc­tionne plus depuis des décen­nies) ; le syndi­cat, l’as­so­cia­tion consi­dé­rés comme des terrains d’in­fluence du poli­tique, où il s’agi­rait de peser pour une orien­ta­tion révo­lu­tion­naire. La ques­tion de l’in­ven­tion d’un rapport autre qu’un lien de subor­di­na­tion, posée depuis plus de dix ans, reste un enjeu crucial. Elle est d’ailleurs un enjeu de plus en plus prégnant si l’on décor­tique la stra­té­gie du Front natio­nal, qui, préci­sé­ment, s’ap­puie sur la césure entre syndi­ca­lisme et alter­na­tive : aux syndi­cats la protes­ta­tion, à lui l’al­ter­na­tive, avec la mise en place d’un discours qui fait de la lutte contre l’aus­té­rité un point de conti­nuité entre les deux mondes (syndi­cal et poli­tique). Avec les suites de la prépa­ra­tion de la mani­fes­ta­tion du 12 avril, des possi­bi­li­tés nouvelles se dessinent dans ce domaine à la rentrée.

Ensemble ! porte une concep­tion alter­na­tive du Front de gauche

Après l’eu­pho­rie des débuts du Front de gauche, sa nature de cartel de partis est deve­nue un handi­cap évident aux yeux de tous : élec­teurs, mili­tants et respon­sables des forma­tions qui l’ont initié. Désor­mais, l’idée que le Front de gauche doit se trans­for­mer pour faire place aux citoyens est expli­ci­te­ment défen­due dans toutes ses instances et elle est portée publique­ment… Sauf que cela ne se produit pas. Faute d’être plei­ne­ment enten­due, Ensemble ! ne devrait-il pas être lui-même la compo­sante citoyenne du Front de gauche ?

Ensemble ! média­teur du Front de gauche ?

En réfu­tant avoir à choi­sir entre le PC et le PG, et en portant la volonté précé­dem­ment évoquée de faire du Front de gauche un front popu­laire, Ensemble ! rend bien sûr service à la gauche d’al­ter­na­tive. Il s’agit d’évi­ter un écla­te­ment du seul espace poli­tique du côté gauche qui a porté, au cours des dernières années, un début de dyna­mique poli­tique. Au-delà de cet atta­che­ment au Front de gauche, qui parle surtout à ceux qui sont déjà convain­cus, il s’agit de porter l’idée d’une conver­gence toujours plus large pour avoir des chances de renver­ser effec­ti­ve­ment la domi­na­tion du social-libé­ra­lisme à gauche. L’enjeu à ce propos est bien sûr qu’Ensemble ! ne soit pas simple­ment dans une posi­tion de conci­lia­tion entre le PC ou le PG, où il faudrait toujours trou­ver le juste milieu entre les deux grands. Cela condui­rait le mouve­ment à ne pas porter ses fonda­men­taux.

L’éco­lo­gie, les classes popu­lai­res…

Parmi les premières commis­sions à se mettre en place, la commis­sion écolo­gie est l’une des plus actives. C’est qu’il existe au sein d’Ensemble ! une fibre spéciale, qui entend asso­cier la ques­tion sociale et la ques­tion écolo­gique, contre l’op­po­si­tion entre les deux promue par les adver­saires de l’éman­ci­pa­tion. La sensi­bi­lité porteuse de la ques­tion des quar­tiers popu­laires, de la lutte contre les discri­mi­na­tions et pour l’éga­lité est elle aussi présente dans le mouve­ment, avec la créa­tion toute récente d’une commis­sion dédiée à l’éga­lité des droits. Elle s’ajoute à la commis­sion fémi­nisme et à la commis­sion éduca­tion, ainsi qu’à la toute nouvelle commis­sion démo­cra­tie active et auto­ges­tion, dont les produc­tions seront déci­sives pour forger l’iden­tité du mouve­ment. De nombreux mili­tants du mouve­ment de tout le pays se retrou­ve­ront du 25 au 28 août à Pau, dans les Pyré­nées Atlan­tiques, pour la première univer­sité d’été du mouve­ment, qui promet d’être un moment fort pour y travailler. Elle est ouverte à la parti­ci­pa­tion de toutes et tous.

Gilles Alfonsi, le 4 juillet 2014. Publié sur le site de Cerises.

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