Grève étudiante. A Paris, la Commune libre de Tolbiac

source : https://repor­terre.net/A-Tolbiac-les-etudiants-occu­pants-trans­forment-le-savoir-en-un-bien-commun

À Tolbiac, les étudiants occu­pants trans­forment le savoir en un bien commun
31 mars 2018 / Maxime Lerolle (Repor­terre)

Jeudi, l’oc­cu­pa­tion de la fac Tolbiac, à Paris, s’est pour­sui­vie toute la jour­née. L’oc­ca­sion de réin­ven­ter le partage des savoirs, au gré des débats et des projec­tions. Et d’al­ler un peu plus loin dans la conver­gence des luttes, en présence d’étu­diants d’autres établis­se­ments et de chemi­nots.

Paris, repor­tage
L’am­biance a changé à Tolbiac.
Depuis lundi 26 mars, les étudiants qui occupent le site de Paris 1 ont réor­ga­nisé l’uni­ver­sité du tout au tout. Jeudi 29 mars, le temps n’était plus à la défense des barri­cades, à présent déser­tées, mais aux déci­sions collec­tives en assem­blées géné­rales. Si l’AG de lundi a rassem­blé près d’un millier de personnes, celle de jeudi matin en a accueilli au moins 1.200. Et le nombre de voix en faveur de la prolon­ga­tion de l’oc­cu­pa­tion — recon­duite jusqu’à mardi 3 avril — ne cesse de croître.
C’est que la réus­site du modèle auto­géré de la « Commune libre de Tolbiac » a séduit plus d’un indé­cis. Avec des règles de vie affi­chées un peu partout dans l’éta­blis­se­ment, l’oc­cu­pa­tion a lieu dans le plus grand calme. Les acti­vi­tés se déroulent paisi­ble­ment, sous le regard bien­veillant du person­nel de sécu­rité. Jean-Daniel [*], un vigile présent à Tolbiac depuis le début de l’oc­cu­pa­tion, se sent proche des étudiants : « Nous faisons en sorte que tout se passe bien. On est tous ensemble avec les étudiants, parce que nous avons des idées qui vont dans le même sens que les leurs. »

Le calme qui règne dans les couloirs cet après-midi n’est qu’ap­pa­rent. La « Commune libre de Tolbiac » foisonne d’ini­tia­tives en tous sens. Parmi elles, l’Uni­ver­sité ouverte a orga­nisé dans l’am­phi L les « 12 h du savoir », une série d’in­ter­ven­tions de docto­rants, char­gés de cours et profes­seurs en socio­lo­gie, auxquelles s’ajoutent deux projec­tions de films — dont Les Nouveaux Chiens de garde — et une présen­ta­tion du Théâtre de l’op­pri­mé·e. Chaque inter­ven­tion dure une quin­zaine de minutes, suivie d’un débat. Entre autres thèmes évoqués : le service civique comme contrôle de la jeunesse, le RSA comme contrôle social, Parcour­sup et l’ex­clu­sion des filles des milieux popu­lai­res…

« Ça fait plai­sir que ce soit la révo­lu­tion ! »
Personne ne sait vrai­ment d’où vient l’ini­tia­tive. Baptiste [*], un inter­ve­nant, s’étonne de cette orga­ni­sa­tion spon­ta­née : « Ç’a été très vite, il y a eu un appel à parti­ci­pa­tion et ça s’est rempli on sait pas trop comment. » Une tren­taine de personnes assiste tout au plus à chaque séance ; mais les visages changent à chaque fois. Le petit nombre de parti­ci­pants et le carac­tère bricolé de l’évé­ne­ment font sourire une inter­ve­nante : « Y a pas foule, mais ça fait quand même plai­sir que ce soit la révo­lu­tion ! »

De la révo­lu­tion, il est bien ques­tion. Les 12 h du savoir révo­lu­tionnent la produc­tion des savoirs univer­si­taires, que l’évé­ne­ment asso­cie étroi­te­ment à l’ac­tion mili­tante. Le ton infor­mel y compte pour beau­coup. Marie-Paule Couto, maître de confé­rences en socio­lo­gie à Paris 8 invi­tée à l’évé­ne­ment, appré­cie le format, qui permet de « s’af­fran­chir des barrières insti­tu­tion­nelles », de « trans­mettre des infor­ma­tions alter­na­tives » et de « lier la recherche et le posi­tion­ne­ment poli­tique ».

Quant aux débats qui suivent chaque inter­ven­tion, ils inter­rogent l’enquête socio­lo­gique d’un point de vue prag­ma­tique, par exemple sur le service civique : le thème « comment penser la lutte contre le service civique avec les luttes étudiantes en cours » suscite de nombreuses réac­tions du public. Une première ques­tion fuse :
« Est-ce qu’il n’y a pas malgré tout du dévoue­ment béné­vole ?
— Si, mais moins que la recherche d’une rému­né­ra­tion ou d’une première expé­rience profes­sion­nelle, réplique l’in­ter­ve­nante.
— Alors comment mener la lutte sur un terrain où les jeunes restent au plus six mois ?
— C’est diffi­cile. Aucun syndi­cat, sauf Soli­daires Assos, ne s’est saisi du sujet.
— Le service civique a détourné le voca­bu­laire : on ne parle plus de “travail”, mais de “mission” ; plus d’“embauche”, mais d’“accueil”, s’in­surge une étudiante. Comment récu­pé­rer à notre compte la notion d’en­ga­ge­ment ?
— Peut-être en démon­trant qu’il existe un conti­nuum entre le travail gratuit du service civique et le travail forcé des travaux d’in­té­rêt géné­ral, de manière à décré­di­bi­li­ser le service civique ? » propose un autre étudiant, qui s’ap­puie sur l’exemple, donné au cours de l’in­ter­ven­tion, de jeunes à qui l’on a proposé le service civique comme substi­tu­tion d’une peine de prison.

Plus géné­ra­le­ment, une ques­tion taraude chaque débat : comment la recherche peut-elle nour­rir les luttes sociales ?

Pas de fron­tière entre connais­sance et action
En expé­ri­men­tant une autre manière de produire le savoir, la Commune libre de Tolbiac ne sépare pas la connais­sance de l’ac­tion. Un autre lieu fait le pont entre ces deux volets du mili­tan­tisme : l’am­phi K, trans­formé en « amphi silen­cieux ». Ici, les étudiants révisent leurs partiels, prévus dans un mois. Mais sans pour autant se couper de l’oc­cu­pa­tion. Virgile [*] jongle ainsi « entre les AG, les commis­sions et le travail perso ». Quant à Ariane [*], elle se réjouit de cet espace, qui « conci­lie les acti­vi­tés et les études ».

Si personne ne peut prédire l’évo­lu­tion de ce que Georges Haddad, le président de Paris 1, a quali­fié de « Notre-Dame-des-Landes sous forme univer­si­taire », (sur France Culture vendredi matin) on peut s’at­tendre à de nouvelles expé­ri­men­ta­tions collec­tives. « Essayer une base diffé­rente », « faire une offre de savoir diffé­rente », « faire des choses avec d’autres » : les appli­ca­tions restent impré­cises et les idées vagues, mais les mots traduisent la recherche d’une alté­rité, d’un quelque chose qui motive occu­pantes et occu­pants. Une chose est certaine : aux mains des occu­pants, le savoir devient un bien commun.

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