Invi­ta­tion au débat sur la tran­si­tion éner­gé­tique

En juin 2015 s’est tenue une soirée d’Eu­rope Ecolo­gie Les Verts (EELV) à Buxe­rolles près de Poitiers autour du thème de la tran­si­tion écolo­gique avec 3 invi­tés :

Ronan Dantec, séna­teur EELV, membre du Conseil natio­nal de la Tran­si­tion écolo­gique

Emma­nuel Julien, président du direc­toir de la SERGIES (produc­teur d’éner­gie locale, filiale de la sore­gie)
Florent Dupont, cofon­da­teur de l’Ate­lier du soleil et du vent, « forma­tions, étude, recherche en éner­gie renou­ve­lable »

Il ne s’agit pas ici d’un compte rendu d’une soirée riche en infor­ma­tions mais de poser un débat.

Qu’en­tend-on par « tran­si­tion écolo­gique » ?

Depuis la révo­lu­tion indus­trielle, pour aller vite, la crois­sance écono­mique est basée sur l’uti­li­sa­tion de sources d’éner­gies carbo­nées (char­bon, pétrole, gaz) présentes dans le sous sol. A cela s’est ajou­tée l’uti­li­sa­tion de la fission nucléaire dont la France est la cham­pionne mondiale. La tran­si­tion écolo­gique consiste à sortir de ces éner­gies carbo­nées émet­trices de gaz à effet de serre (GES) dont la hausse est respon­sable du dérè­gle­ment clima­tique dans une large mesure. Cette défi­ni­tion, nous sommes de plus en plus nombreux à la complé­ter  par l’exi­gence de la sortie du nucléaire, pour d’autres raisons. En substi­tu­tion de ces éner­gies polluantes il est néces­saire de déve­lop­per le recours aux éner­gies renou­ve­lables qui sont légions : vent, marée, soleil, hydrau­lique, géother­mie, etc

Chan­ger d’éner­gies

Lors de la soirée d’EELV il a été mis l’ac­cent à juste titre sur la néces­sité de sortir de la centra­li­sa­tion actuelle de la produc­tion et de la distri­bu­tion d’éner­gie dont les modèles sont EDF et AREVA, de diver­si­fier les sources d’éner­gies plutôt que les concen­trer, pour aller à l’in­verse vers une relo­ca­li­sa­tion des lieux de produc­tion, une diver­si­fi­ca­tion des éner­gies exploi­tées, toute chose que peuvent permettre le renou­ve­lable. Il faut ajou­ter à cela une mise en réseaux de tous ces flux éner­gé­tiques de façon non centra­li­sée et non mono­po­lis­tique.

Tout cela a bien sûr un coût élevé, mais bien moindre que le nucléaire ou que les dégâts occa­sion­nés par la pollu­tion et les subven­tions aux éner­gies fossiles. Cela peut-être un gise­ment d’em­plois consé­quent et non délo­ca­li­sables. C’est de toute façon une néces­sité pour réduire dras­tique­ment la consom­ma­tion d’éner­gies fossiles pour la substi­tuer par le renou­vel­lable et pour la lais­ser dans le sol afin de réduire l’aug­men­ta­tion globale de tempé­ra­ture de la planète.

Des problèmes à soule­ver

Sur cette ligne de conduite sédui­sante, la soirée d’EELV appe­lait au soutien finan­cier indi­vi­duel et collec­tif au finan­ce­ment de projet éner­gé­tique allant dans ce sens. Par exemple la plate forme Lumo permet de finan­cer des projets concrets de produc­tion d’éner­gies renou­ve­lables dans le dépar­te­ment de la Vienne. Ce « civic crowd­fun­ding », le finan­ce­ment parti­ci­pa­tif civique ou épargne citoyenne, permet à tout un-e chacun-e d’être action­naire d’un projet avec une renta­bi­lité envi­sa­gée (mais non garan­tie) entre 2 et 5 % par an par vente de l’élec­tri­cité à EDF ou à une régie local d’élec­tri­cité.

Il est vrai, comme l’a rappelé le séna­teur EELV, que le finan­ce­ment de la tran­si­tion éner­gé­tique est un enjeu finan­cier gigan­tesque, à plusieurs milliards d’eu­ros pour la France. Le finan­ce­ment local proposé pendant la soirée, s’il n’est pas encore à la hauteur des montants néces­saires, est un premier pas dans le bon sens en mobi­li­sant l’en­ga­ge­ment de la popu­la­tion.

Nous voudrions ici poser des débats qui n’ont pas été évoqués et qui nous semble essen­tiels. Il ne s’agit pas dans ce qui suit de procès d’in­ten­tion. Nous ne connais­sons pas la posi­tion des inter­ve­nants sur les sujets abor­dés ci-après. Il s’agit plutôt de profi­ter de cette soirée pour pour­suivre la réflexion afin de ne pas tomber de Charybde en Scylla en matière de choix de société, ou en tout cas de ne pas se trom­per de visée.

Produc­ti­visme vert

Le grand absent de la soirée fut le thème du chan­ge­ment de consom­ma­tion qui implique­rait une réduc­tion des gaspillages en tout genre. Pour­tant là est la prin­ci­pale source d’éner­gie : l’ab­sence de gaspillage. Cela nous permet d’abor­der le fait que le déve­lop­pe­ment du renou­ve­lable peut très bien coha­bi­ter avec le gaspillage de l’élec­tri­cité et le pillage des autres ressources, par exemple des terres rares ou des métaux ou des aliments pour la produc­tion de viande ou d’es­sence. Le renou­ve­lable n’est pas en soi incom­pa­tible avec le frein à la recherche et à la produc­tion d’éner­gies autres que l’élec­tri­cité. Il est tentant pour le capi­ta­lisme de se peindre en vert pour déve­lop­per le tout élec­trique et main­te­nir le produc­ti­visme afin d’em­po­cher les divi­dendes qui en découlent et conser­ver égale­ment la main sur le péage de l’élec­tri­cité.

Le capi­ta­lisme serait tout à fait capable aussi de réduire les émis­sions de gaz à effet de serre (GES) – il l’a bien fait avec les CFC pour la couche d’ozone – et de conti­nuer de piller les pays qui possèdent des matières premières et d’en­gen­drer des pollu­tions pour l’ave­nir en préser­vant la produc­tion de produits jetables, de produits avec une obso­les­cence rapide comme par exemple certains panneaux solai­res…

Le capi­ta­lisme est tout a fait capable dans la même logique, car c’est sa nature profonde, de mettre en concur­rence les entre­prises au niveau mondial. Les coûts bais­se­ront par une augmen­ta­tion de la produc­tion certes, mais aussi et surtout par la baisse de la masse sala­riale mise en concur­rence elle-même (emploi, salaires, condi­tions de travail). Et ce jusqu’à la crise mondiale de surpro­duc­tion par manque d’ache­teurs solvables. C’est d’ailleurs ce que réus­sit le mieux le capi­ta­lisme : les crises.

Il peut exis­ter aussi un modèle du renou­ve­lable où les emplois non délo­ca­li­sables sont assu­rés par des travailleurs et travailleuses sans papier et/ ou par des emplois précaires.

Quelle propriété ?

Un point non évoqué pendant la soirée a été celui du contrôle de l’argent. L’épargne citoyenne permet à la popu­la­tion de s’en­ga­ger, y compris finan­ciè­re­ment, pour le renou­ve­lable. En même temps il nous semble impor­tant de rappe­ler qu’il faut résis­ter au petit refrain qui, sous des dehors de « tous respon­sables », dédouane les pouvoirs publics et l’éche­lon poli­tique de ses respon­sa­bi­lité premières et massives.

Dans la même veine, les béné­fices engran­gés par la vente d’élec­tri­cité à ERDF sortent le plus souvent de la poche des consom­ma­trices et consom­ma­teurs d’élec­tri­cité et rare­ment de la poche des posses­seurs de capi­tal.

D’autre part, les sommes gran­dis­sant, qui va contrô­ler cet argent ? Un des parte­naires de la Sergie c’est le Crédit Agri­cole qui, comme son nom l’in­dique, était au départ un réseau de banques mutua­listes pour le monde agri­cole et qui se trouve main­te­nant être une banque géné­ra­liste de taille mondiale, pas mieux que les autres, pas moins spécu­la­tive. Comment avoir confiance en ces orga­nisme-là pour gérer l’argent dans le sens du bien de la nature et des êtres vivants ? Ne serait-il pas mieux de porter l’exi­gence d’une banque publique contrô­lée par les élu-es, les sala­rié-es et les consom­ma­teurs ?

Pour l’ins­tant le finan­ce­ment par la plate forme Lumo inter­dit la revente des actions des projets et donc la spécu­la­tion directe. Mais quand les sommes en jeu seront plus impor­tantes  et à une autre échelle ? Une bulle spécu­la­tive sur le renou­ve­lable, sur leurs socié­tés et/ou leurs projets, est tout a fait dans les cordes du capi­ta­lisme. Il le fait déjà avec le « marché carbone ».

En guise de non conclu­sion

Il ne s’agit pas dans cet article de renâ­cler à l’ac­cé­lé­ra­tion de la tran­si­tion ou d’at­tendre que tout soit beau et pur pour le faire. Mais chemin faisant, on peut quand même se poser des ques­tions de fond, d’au­tant plus qu’on connaît l’adap­ta­bi­lité du système capi­ta­liste pour rebon­dir. Au prix de nos souf­frances, de notre santé et de bien des destruc­tions. C’est impor­tant, non ?

Pascal Canaud

2 réflexions sur « Invi­ta­tion au débat sur la tran­si­tion éner­gé­tique »

  1. Merci pour ce billet et le partage de ton point de vue.

    Effectivement, le gaspillage est surement le levier n°1, « l’énergie la moins chère étant celle que l’on ne consomme pas ». Il y a un gros travail d’éducation à faire sur ce point et c’est dommage qu’il n’y ai pas de véritables actions concrètes (détection des failles thermiques, des appareils énergivores …). Quand tu vois ce que consomme une box allumée 24/24 …

    Un point que tu n’as pas relevé, qui a été évoqué et que je n’avais jamais vu, c’est celui du réseau de distribution. Aujourd’hui le réseau géré par ERDF couvre toute la France. Que se passera-t-il quand le nombre de lieux de production autonome ou réseaux de production locale sera suffisamment développé et qu’il faudra maintenir un vieux réseau de distribution, utilisé probablement par ceux qui n’auront pas les moyens de produire leur propre énergie. Qui paiera ?

    Philippe

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