La dialec­tique, l’His­toire et la tactique

« Celui qui ne connaît pas l’His­toire est condamné à la revivre » Karl Marx

« Pendant quarante-trois ans de ma vie consciente, je suis resté un révo­lu­tion­naire ; pendant quarante-deux de ces années, j’ai lutté sous la bannière du marxisme. Si j’avais à recom­men­cer tout, j’es­saie­rais certes d’évi­ter telle ou telle erreur, mais le cours géné­ral de ma vie reste­rait inchangé. Je mour­rai révo­lu­tion­naire prolé­ta­rien, marxiste, maté­ria­liste dialec­tique, et par consé­quent athée intrai­table. Ma foi dans l’ave­nir commu­niste de l’hu­ma­nité n’est pas moins ardente, bien au contraire, elle est plus ferme qu’au temps de ma jeunesse.
Nata­cha vient juste de venir à la fenêtre de la cour et de l’ou­vrir plus large­ment pour que l’air puisse entrer plus libre­ment dans ma chambre. Je peux voir la large bande d’herbe verte le long du mur et le ciel bleu clair au-dessus du mur, et la lumière du soleil sur le tout. La vie est belle. Que les géné­ra­tions futures la nettoient de tout mal, de toute oppres­sion et de toute violence et en jouissent plei­ne­ment. » Léon Trotsky

Publié dans notre jour­nal local « Prenons Parti » (1), mon texte « Unifier pour recons­truire un nouvel outil poli­tique » (ci-après), sur la néces­sité de recons­truire un outil poli­tique à gauche du PS fait débat. En effet, sur le site de l’or­ga­ni­sa­tion « Ensemble !86 » (membre du Front de Gauche), Pascal Canaud, mili­tant poite­vin, apporte une analyse diffé­rente de la mienne, notam­ment sur les rapports au Parti commu­niste français.

Le cama­rade dit rejoindre mon analyse globale de la situa­tion. C’est-à-dire un recule de la conscience de classe, la décom­po­si­tion du mouve­ment ouvrier orga­nisé, le retard dans la course de vitesse idéo­lo­gique enga­gée avec le FN, l’ab­sence de luttes signi­fi­ca­tives et la volonté de tout recons­truire. C’est un bon point de départ puisque, de là, la discus­sion peut se mettre en place. Néan­moins, Pascal C. ne partage pas un point de vue essen­tiel de mon analyse : celle du Parti commu­niste mais, plus globa­le­ment, des vieux appa­reils poli­tiques du mouve­ment ouvrier.

Je vais tâcher, dans ce texte, de polé­miquer sur le fond avec Pascal, un cama­rade avec qui, au quoti­dien, je milite depuis des années dans moult luttes. Mais, avec qui j’ai, poli­tique­ment, des désac­cords qui me paraissent radi­caux, 1. sur l’ana­lyse des vieux appa­reils poli­tiques et 2. sur l’ap­proche tactique qu’est l’unité, que l’on nomme dans notre jargon « FUO » (front unique ouvrier).

Avant toute chose, quand même, il est impor­tant que je revienne sur quelques affir­ma­tions du cama­rade qui sont erro­nées, non sur l’ana­lyse, mais sur le sens donné à mes propos. En effet, mon article, publié dans un jour­nal au format papier est confronté à un problème déli­cat : celui du nombre de signes… C’est la raison pour laquelle je ne fais pas une analyse d’EELV. Mais à la page précé­dant l’ar­ticle dont nous discu­tons là, il y a un autre billet (1), faisant réfé­rence à l’ex­pé­rience « Osons Poitiers » et mettant en avant un certains nombres de « critiques » d’EELV. Certes, celles-ci ne concernent pas une éven­tuelle bureau­cra­ti­sa­tion du parti de Cécile Duflot (ce parti est bureau­cra­tisé mais il me semble que la nature d’EELV est tota­le­ment diffé­rente de celle du PCF, histo­rique­ment, numé­rique­ment et idéo­lo­gique­ment, je prends note, quand même, du fait qu’il faille analy­ser la bureau­cra­tie de cette orga­ni­sa­tion). Mais reve­nons à nos moutons. L’angle choi­sit dans l’ar­ticle de Prenons Parti sur « Osons Poitiers » est celui des désac­cords stra­té­giques sur le rôle de l’État, de la subver­sion, en quelques sortes, les diffé­rences entre « réforme et révo­lu­tion » même si c’est plus compliqué que cela. Bref. Tout cela pour dire que non, nous ne faisons pas une fixette sur le seul PCF.

Enfin, sur la fin du texte, et l’hy­po­thé­tique ton prophé­tique que j’uti­li­se­rais en disant « notre heure arri­vera ». Là encore, il n’est pas possible de déce­ler une vision quasi reli­gieuse dans ce que j’écris. D’abord parce que dans la même phrase, il est dit qu’il faut se prépa­rer et agir dès main­te­nant. Ensuite parce que les mili­tants du NPA sont enga­gés dans toutes les luttes actuelles, de progrès social et écolo­gique, et que nous refu­sons la poli­tique du tout ou rien, du gauchisme le plus sectaire. À Poitiers, notre réalisme va même jusqu’à avoir des élues… mais ces élues (avec un e puisque nous n’avons que des femmes élues) jouent un rôle révo­lu­tion­naire dans l’Ins­ti­tu­tion, en défen­dant un programme de rupture et en refu­sant de gérer des collec­ti­vi­tés sans cette pers­pec­tive de rupture. Je ne rentre pas dans le débat sur le rôle des élus (bien que ce soit lié) mais il faudra l’avoir égale­ment. Sur ce, les deux points étant éclair­cit, venant en aux deux temps énon­cés plus haut qui, il me semble, sont ceux qui font débat entre nous ; sans fausse polé­mique.

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S’ins­pi­rer du meilleur, s’éman­ci­per du pire

En effet, je le répète. La crise poli­tique que nous connais­sons aujourd’­hui est en grande partie liée à la décom­po­si­tion poli­tique de la gauche ouvrière. Dire cela néces­site de comprendre les sources de la crise. D’abord, la chute de l’URSS, qui a ouvert une nouvelle période, mettant fin à l’idée qu’une autre société est possible (d’où le TINA de la Dame de fer et le libé­ra­lisme triom­phant). Cette chute n’est pas sans cause. La contre-révo­lu­tion stali­nienne étant bien évide­ment la prin­ci­pale respon­sable dans la mise aux abîmes de la grande révo­lu­tion d’oc­tobre 1917. En France, le PCF a joué un rôle parti­cu­liè­re­ment suiviste en défen­dant et appliquant le pire de la tradi­tion stali­nienne. Cela a eu pour effet de faire de ce parti une orga­ni­sa­tion bureau­cra­ti­sée, avec un centra­lisme loin d’être démo­cra­tique.

De plus, l’uti­li­sa­tion du terme commu­niste par les stali­niens rend la tâche diffi­cile pour faire émer­ger une vraie force éco-commu­niste aujourd’­hui. Une société utopique, de bon sens, plani­fiée démo­cra­tique­ment.

Dire cela ne veut pas dire que les centaines de milliers de mili­tants commu­nistes étaient de fourbes stali­niens, rêvant de goulags ou autres procès poli­tiques. Non. C’est vouloir démon­trer qu’un appa­reil poli­tique ayant joué un rôle funeste dans l’His­toire ne peut être le cadre de l’éman­ci­pa­tion humaine.

En revanche, le PCF, et ses mili­tants, ont su porter l’es­poir d’un monde meilleur, à travers le monde entier, et parti­cu­liè­re­ment en France. C’est pourquoi il est évident qu’il ne faut pas balayer d’un revers de la main ce parti, son histoire et encore moins ses mili­tants. Mais il ne faut pas se mentir non-plus. Oui, nous pouvons mener des tonnes de luttes ensemble, mais nous ne pour­rons le faire qu’en s’éman­ci­pant des cadres insti­tu­tion­nels, comme celui du PCF, devenu une énorme machine élec­to­rale ; plus exac­te­ment ce parti ne vit plus que pour survivre, d’où ses compro­mis­sions avec la bour­geoi­sie incar­née par le PS.

Ma critique n’est néan­moins pas réser­vée au PCF. Les Trots­kystes, par exemple, n’ont pas toujours eu des posi­tions excel­lentes. Et nombre de compor­te­ments héri­tés du trots­kysme aujourd’­hui sclé­rosent le NPA, comme la LCR en son temps. En effet, la 4ème Inter­na­tio­nale a été extrê­me­ment utile pour main­te­nir un courant commu­niste démo­cra­tique. Ernest Mandel, cité par Pascal, a effec­ti­ve­ment préco­nisé diffé­rentes atti­tudes à adop­ter dans un parti pour éviter la bureau­cra­ti­sa­tion. Mais ces préco­ni­sa­tions sont direc­te­ment liées aux atti­tudes stali­niennes, puisque toutes les orga­ni­sa­tions poli­tiques de l’époque étaient issues du PCF, ou, du moins, se compa­raient à lui ! Aujourd’­hui, le droit de frac­tion dans des orga­ni­sa­tions comp­tant moins de 3000 mili­tants est rela­ti­ve­ment ridi­cule. Pire, ce modèle de démo­cra­tie devient une forma­lité et bloque tout proces­sus de construc­tion. Mais rien de mieux existe, donc cette méthode reste la moins pire. Par ailleurs, la démo­cra­tie fait direc­te­ment partie du meilleur du mouve­ment ouvrier, dont il faut s’ins­pi­rer. Mais, une des autres valeurs dont il faut s’ins­pi­rer, c’est l’uto­pie et la créa­tion. C’est là que le bas blesse. Effec­ti­ve­ment, comme le dit Pascal, en Espagne, Pode­mos est une orga­ni­sa­tion bureau­cra­ti­sée, une forme de néo-réfor­misme. Mais, le fait que des milliers de personnes s’em­parent de cet instru­ment démontre que ce type d’or­ga­ni­sa­tion a un sens. La bureau­cra­tie de Pode­mos est dépas­sée, dans de nombreuses villes, par des mili­tants qui ne demandent pas l’avis des chefs et parfois sur des bases très clai­re­ment anti­ca­pi­ta­listes. Or, cela n’est pas possible dans un parti d’ori­gine stali­nienne puisque, juste­ment, le rôle de parti est semblable à celui de patrie. Le Parti est ce qui rassemble, plus que les idées défen­dues par le Parti. L’in­té­rêt du Parti passe avant tout. C’est pour cela que des « pans entiers » du PCF n’ont jamais rejoints les trots­kystes et qu’ils ne le feront sans doute jamais. Coller aux baskets du PCF en disant « on veut l’unité, on critique de temps en temps mais on veut la même chose, et on est vache­ment démo­cra­tiques » ne marche pas. Vouloir faire pareil, en mieux, ne marche pas. D’abord et avant tout car l’His­toire ne se répète jamais deux fois à l’iden­tique. Ou alors, l’évé­ne­ment arrive sous la forme d’une tragé­die, puis se répète sous celle d’une farce, pour para­phra­ser Marx.

Non. Il faut construire autre chose, à côté, par en bas, et les mili­tants commu­nistes ont bien entendu un rôle à y jouer, s’ils le souhaitent. En atten­dant, nous conti­nuons, bien sûr, et nous ne l’avons à aucun moment remis en cause, de lutter avec les mili­tants commu­nistes, contre le fascisme, pour les droits des réfu­giés et des sans-papiers… mais malheu­reu­se­ment pas pour la sortie du nucléaire ou, plus globa­le­ment, pour une poli­tique d’objec­tion de crois­sance puisque le PCF ne partage pas ces reven­di­ca­tions.

Au-delà des désac­cords orga­ni­sa­tion­nels, des désac­cords poli­tiques

Pascal passe rapi­de­ment sur un point essen­tiel de la période en disant que ma critique de l’orien­ta­tion poli­tique du PCF se limite à Poitiers. Cama­rade, le PCF ne s’est pas allié aux Muni­ci­pales avec le PS qu’à Poitiers. A titre d’exemple, et pas des moindres, il l’a fait à Paris, capi­tale du pays, où l’enjeu était sans doute le plus impor­tant ! Mais il l’a aussi fait à Toulouse, et dans la réalité, il l’a fait dans une majo­rité de grandes villes ! Pas besoin d’être au NPA pour dire cela. À l’époque, le FDG a failli explo­ser puisque les cama­rades du PG étaient furieux, cette stra­té­gie mettant la dyna­mique FDG à mal. À dire vrai, ils avaient mille fois raison ! Ne pas assu­mer plei­ne­ment la rupture avec le PS aujourd’­hui est suici­daire ! Or, le PCF ne rompt pas avec le PS. Par ailleurs, à titre infor­ma­tif, le PCF refuse toujours de se dire opposé au gouver­ne­ment quand Mélen­chon et le PG l’as­sument tota­le­ment. Enfin, cama­rade Pascal, comme tu nous le dis le PCF est poli­tique­ment opposé au PS au niveau euro­péen, et c’est vrai. Mais que penser de sa posi­tion vis-à-vis de Tsipras aujourd’­hui ? Tsipras est en train de faire la démons­tra­tion que la gauche radi­cale au pouvoir est impuis­sante, et le PCF le soutient… Alors que le PG soutient l’Unité Popu­laire. Pourquoi Ensemble ne tranche-t-il pas clai­re­ment ses rapports en privi­lé­giant des alliances avec le PG et le NPA, alors que poli­tique­ment ces trois orga­ni­sa­tions se retrouvent ? Au même titre, pourquoi le PG fait du pied à EELV au moment où ce parti se vautre sur la scène euro­péenne, en refu­sant de dénon­cer très clai­re­ment des Insti­tu­tions anti-démo­cra­tiques, et en refu­sant, dans le même temps, de s’op­po­ser au PS, en disant toujours être dans la « majo­rité prési­den­tielle » ? En fait, le problème, il est que les accords d’ap­pa­reils priment sur le reste puisque tout ce beau monde mise sur une éman­ci­pa­tion léga­liste, dans le cadre des Insti­tu­tions actuelles. Tout prouve pour­tant qu’une rupture anti­ca­pi­ta­liste est néces­saire. À vrai dire, il n’est pas possible d’être réfor­mistes à gauche… puisque le déve­lop­pe­ment anti-démo­cra­tique de l’UE a pris une telle ampleur que les États ne sont pas souve­rains… alors comment les peuples pour­raient-ils l’être en se canton­nant à vouloir exer­cer le pouvoir d’État ?

Bien sûr nous n’al­lons pas décré­ter des rassem­ble­ments citoyens. C’est ridi­cule. De fait, si un parti appelle à un mouve­ment citoyen, alors celui-ci, dépourvu de la fibre spon­ta­née, perd toutes visions subver­sives. Mais nous pouvons faire des choses ensemble. PG, NPA, Ensemble, AL, OCL, MOC, LO, écolo­gistes de gauche… nous pouvons nous rassem­bler et porter un message : oui, une autre poli­tique est possible. Et ce message, nous pouvons le porter si et seule­ment si nous sommes tota­le­ment indé­pen­dants du PS. Mais cela n’est pas suffi­sant. L’in­dé­pen­dance, bien que néces­saire, n’a de sens que si la notion de rupture y est asso­ciée. La propo­si­tion portée par le PG pour un sommet inter­na­tio­na­liste du Plan B , ou encore celle portée par Olivier Besan­ce­not du NPA, un député euro­péen de Pode­mos et un diri­geant de l’Unité popu­laire en Grèce pour un Auste­rexit sont des moyens de nous retrou­ver pour élabo­rer une nouvelle offre poli­tique. Sans déma­go­gie, nous ne décré­te­rons pas à nous seuls la forme que doit prendre une orga­ni­sa­tion nouvelle. Mais avec humi­lité, nous pouvons dire clai­re­ment que, oui, l’uto­pie d’un monde meilleur à mettre en place existe, loin des accords élec­to­ra­listes et des recom­po­si­tions parle­men­taires. Dans la rue, dans la lutte et dans les élec­tions, redon­nons l’es­poir.

Alexandre Raguet

(1) : Chacune ou chacun peut ache­ter notre jour­nal le samedi après-midi en centre-ville de Poitiers, ou bien en le deman­dant à un mili­tant du NPA86. Le Prix est libre.

 

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Le texte de la revue « Prenons Parti »

Unifier pour recons­truire un nouvel outil poli­tique

“Dans la conti­nui­té du texte sur l’ex­pé­rience poite­vine « Osons Poitiers », cette contri­bu­tion a pour but d’ap­pro­fon­dir la discus­sion sur la crise poli­tique et démo­cra­tique que nous vivons, la crise de repré­sen­ta­tion des struc­tures mili­tantes, et les enjeux pour les anti­ca­pi­ta­listes aujourd’­hui.”

Nous vivons un de ces temps poli­tiques où les textes d’ana­lyses les plus pous­sés, les plus justes, les plus inté­res­sants, se trouvent en quelques instants dépas­sés et inau­dibles. Le bras de fer entre le peuple grec et les insti­tu­tions euro­péennes évo­lue chaque jour. Or, de cette expé­rience, bien des choses décou­le­ront. C’est pour cela que ce texte tentera de ne pas parler direc­te­ment des derniers évé­ne­ments. Ce n’est pas son but. Le temps poli­tique étant multi­plié par 3 en période de crise, je ne souhaite pas que la lecture actuelle de l’ar­ticle soit dénuée d’in­té­rêt pratique, le papier encore chaud et l’encre toute fraîche. Mais il est, dans le même temps, impos­sible de faire sans la Grèce, sans l’Es­pa­gne…

En effet, nos regards sont tour­nés vers ces deux pays du sud de l’Eu­rope qui, alors que la majo­ri­té des nations euro­péennes tombe dans la rési­gna­tion et l’ex­trême- droite, voient des forces jeunes au carac­tère anti-austé­ri­té émer­ger. Il ne sert néan­moins stric­te­ment à rien de vouloir copier-coller des évé­ne­ments, des construc­tions. Cela ne marche pas. Syriza en Grèce et Pode­mos en Espagne, bien qu’ayant de nombreux points en commun, ne se sont pas fait de la même manière. Nous devons les étu­dier, afin d’avoir une ligne poli­tique et tactique adéquate ici, en France.

Une approche globale de la situa­tion

Dans un billet publié sur mon blog Media­part*, inti­tu­lé « Chan­ger le monde qui nous change autant que nous le chan­geons  », je tentais, à l’aide d’ana­lyses de Daniel Bensaïd, d’avoir une approche de la crise des partis en trois temps qui peut se résu­mer ainsi :

Nous vivons une crise du capi­ta­lisme sans pré­cédent, la socié­té en est le reflet, elle se frac­ture. Les partis révo­lu­tion­naires ne sont pas adap­tés à cette crise de socié­té, leur fonc­tion­ne­ment « mino­ri­taire » mettant de larges masses à l’é­cart. Cela a pour conséquence un affai­blis­se­ment géné­ra­li­sé du « mouve­ment ouvrier », de la gauche, qui, dans le même temps, est tota­le­ment divi­sé. Il faut alors recom­po­ser à gauche du PS, pour recons­truire un nouvel outil.

L’uni­té est utile mais ne doit pas amener à la compro­mis­sion puisque, juste­ment, la crise poli­tique et de repré­sen­ta­tion est le fruit des diverses trahi­sons de la gauche tradi­tion­nelle. La rupture avec le PS et ses alliés est un préa­lable indis­cu­table. Avec cette base, il faut créer du neuf, en s’ins­pi­rant du « meilleur du mouve­ment ouvrier », commu­niste, socia­liste, éco­lo­giste, liber­taire, révo­lu­tion­naire. Il faut paraître rassem­bleurs et surtout pas « poli­ti­ciens ». Or, de nos jours, seule une frac­tion des travailleurs et de la jeunesse, très poli­ti­sée, voit d’un bon œil l’uni­té « gauche de gauche ». Les autres perçoivent des « arran­ge­ments » par en haut.

Enfin la crise des partis est aussi une crise de perte de cré­di­bi­li­té idéo­lo­gique. Nous sommes inca­pables d’im­po­ser notre voca­bu­laire dans le débat public. Inca­pables d’être « hégé­mo­niques » au sens gram­scien(1) du terme, c’est-à-dire, pas de manière auto­ri­taire, mais idéo­lo­gique. Aujourd’­hui, l’idéo­lo­gie néo-libé­rale est ultra-hégé­mo­nique, dans les médias et, aussi, dans les compor­te­ments des oppri­més qui ont inté­gré ces discours culpa­bi­li­sants des diri­geants (les pauvres coû­te­raient chers, pollue­raient, seraient dange­reux…). Il nous faut alors ré-inven­ter des idées, un programme, un voca­bu­laire « de classe ». Reprendre l’of­fen­sive sur notre terrain.

« Cours cama­rade, le vieux monde est derrière toi ! »

Nul ne peut nier qu’il y a, dans ces problèmes de recons­truc­tion d’un nouveau « parti », ou « parti-mouve­ment » (mais nous n’avons pas de mouve­ments spon­ta­nés pour l’heure), une diver­gence d’ap­pré­cia­tion entre un vieux mouve­ment ouvrier encore fort – bien que « mort-vivant », à l’image du PCF avec lequel il est néces­saire de travailler dans les mouve­ments vu son poids, mais avec lequel il est impos­sible d’al­ler très loin à cause de ses compor­te­ments « bureau­cra­tiques » et des rapports au PS qu’il conti­nue d’avoir. Et, de l’autre côté, l’é­mer­gence d’une nouvelle géné­ra­tion mili­tante.

Syriza et Pode­mos, à la diffé­rence du Front de Gauche en France, sont des « partis » qui n’in­tègrent pas les partis commu­nistes grecs et espa­gnols. L’autre grande diffé­rence est que l’aus­té­ri­té dans le sud de l’Eu­rope a été beau­coup plus forte qu’ici et cela a forcé à réa­gir vite. De grandes mobi­li­sa­tions ont eu lieu, notam­ment en Espagne, avec les Indi­gnés ou les « Mareas », qui ont rassem­blé des millions de personnes pendant de longs mois… Aujourd’­hui, Pode­mos est une ex-crois­sance des luttes, qui compte plus de 100.000 adhé­rents (les chiffres montent même à 350.000 adhé­rents selon les sources !) dans envi­ron 2000 comi­tés locaux.

En France, il n’y a pas de lutte massive à l’é­chelle natio­nale. L’aus­té­ri­té, pour­tant, est bien là. Mais elle arrive lente­ment. La grenouille cuit petit à petit, dans l’eau froide d’abord, puis, lorsque l’eau est bouillante, il est trop tard. Il y a donc un pour­ris­se­ment de la situa­tion, pas une explo­sion, c’est une des raisons qui fait que le FN grimpe et qu’il se mute en parti respec­table, léga­liste, à la diffé­rence d’Aube Dorée en Grèce, parti néo-nazi de type « natio­na­liste révo­lu­tion­naire », sensible au coup d’É­tat. Dans les deux cas, il s’agit de l’ex­trême-droite, mais dans des situa­tions sociales diffé­rentes, l’une explo­sive, l’autre calme. Mais à la diffé­rence de la Grèce, nous sommes en retard sur les forces de la réac­tion. C’est bien le FN qui appa­raît comme la force « alter­na­tive » pour la masse des gens. Nous avons donc du pain sur la planche, pour construire un nouvel outil poli­tique ; redou­bler d’é­ner­gie dans la soli­da­ri­té inter­na­tio­nale, et tisser des liens avec la Grèce, l’Es­pagne, et tous les autres pays ; être pré­sents sur le terrain des luttes, mais aussi dans les quar­tiers, les villages, pour faire de la poli­tique, parler de nos idées.

Notre heure arri­vera, nous devons être prêts en éla­bo­rant et en agis­sant dès main­te­nant.

* http://blogs.media­part.fr/blog/alex…

(1) : Vient de la pensée d’An­to­nio Gram­sci, marxiste italien du Xxème siècle, connu notam­ment pour sa théo­rie de l’hé­gé­mo­nie cultu­relle, qui explique que le main­tient au pouvoir des capi­ta­listes n’est pas le seul fruit de l’é­co­no­mie, mais aussi de la culture des mots, des compor­te­ments, de l’His­toire, du « réel », des scien­ces… Il démontre que rien est neutre et que la lutte éco­no­miste n’est pas suffi­sante pour gagner le pouvoir ; il faut être sur tous les fronts, pour gagner l’hé­gé­mo­nie des possibles face à celle expliquant « qu’il n’y a pas d’al­ter­na­tive ».

Alexandre Raguet

3 réflexions sur « La dialec­tique, l’His­toire et la tactique »

  1. Nous avons un constat commun: le réformisme n’a plus de place à l’époque de ce capitalisme néolibéral planétaire qui ne veut qu’une atomisation des salarié.e.s, la destruction de leurs organisations.

    Nous avons un objectif commun : construite une hégémonie politique où la démocratie est réinventée, poussée jusque dans ses conséquences, s’imposant dans le monde du travail, pour un monde solidaire et égalitaire.

    Nous sommes d’accord pour une confluence des propositions concernant la Grèce pour faire vivre la solidarité internationaliste avec le mouvement populaire qui s’est exprimé massivement par un non au référendum en Grèce en juillet, comme tu le proposes à la fin de ton texte.

    Ce sont des convergences importantes qui devraient être approfondies.

    Venons en aux divergences.

    Nous pensons que le Front de gauche est la seule réponse existante sur la voie d’une conquête de l’hégémonie. J’ai (beaucoup de débats sont en cours, je ne peux pas engager Ensemble! ici) des divergences avec le PCF, et aussi avec le PG.

    Ici, il est question du PCF. Je ne dirai qu’en passant que j’ai publié sur ce site un texte, assez critique, sur le dernier livre de JL Mélenchon qui n’est plus président du PG mais qui intervient cependant dans les médias comme s’il l’était.

    Concernant le PCF, l’histoire explique des pesanteurs de son appareil (le PCF contrairement au PG ou à Ensemble a beaucoup d’élus et de permanents à perdre à rompre tout lien avec le PS), mais elle n’explique pas tout. Le PCF rompt avec le PS de fait et sur la durée, d’autant plus que le PS se rétracte en une machine électorale dirigée par des énarques sans conviction, gouvernant comme un néolibéral vulgaire.

    Ce n’est pas le cas partout et au mieux, certes. Mais cela même montre la diversité des courants dans le PCF, même si les expressions publiques et explicites de ces désaccords sont rares. Il y a des PCFs, il y a des contradictions au sein du PCF; et il y a une évolution certaine et positive ces dernières années du PCF.

    Tu parles des Municipales à Paris où le PCF a été le porte-fligue du PS, avec Ian Brossat, ce à juste titre. Mais JL Mélenchon vient de proposer que le Pierre Laurent qui fut alors à la manœuvre soit tête de liste en Ile de France d’une liste FdG. Mélenchon grand seigneur jette la rancune à la rivière, …et prépare l’élection présidentielle comme chacun.e. sait.

    Il y a un fait massif: la participation aux manifestations comme l’organisation de la fête de l’Humanité montre une vitalité du PCF encore grande. Nous devons donc articuler une alliance avec le PCF avec l’expression propre et sans concession de nos positions.

    De même avec le PG duquel nous sommes très très proches dans beaucoup de villes et beaucoup moins ailleurs. Idem avec EE-LV dont une fraction est de gauche et l’autre à qualifier plus tard.

    Nous faisons le pari que seule une force audible et pluraliste peut répondre aux exigences d’un anticapitalisme. Que seul le Front de gauche, malgré son état dégradé, est un outil politique pour ce faire.

    Il reste à Ensemble d’affirmer ses positions, de cesser de tenter interminablement et trop exclusivement de jouer les bons offices entre PCF et PG. Ce que nous faisons depuis quelques mois.

    Un dernier mot concernant Tsipras. Pierre Laurent, président du PGE, et le PCF soutiennent que Tsipras a limité les dégâts, il le soutient. Le PG et je crois la majorité d’ensemble soutiennent la logne défendue par Unité populaire. C’est une divergence à expliciter, à étudier. Ce n’est pas pour autant un motif pour dénoncer le PCF sur ce point, actuellement, selon moi. C’est le moment de relancer le mouvement de solidarité avec le peuple grec puisque les un.e.s t les autres nous sommes en accord pour en dire l’urgente nécessité.

    Pascal Boissel

  2. Merci Pascal pour ta réponse.

    Comme tu le sais, je partage tes remarques sur JL Mélenchon. Par ailleurs, le spectacle offert aux régionales par le FG et EELV est assez pitoyable.

    J’ai publié plusieurs textes sur JLM, et j’ai les mêmes réticences que toi sur le personnage, qui se donne aujourd’hui une image de grand seigneur vis-à-vis du PC et de EELV afin d’assurer le soutien le plus large autour de sa candidature en 2017.

    Je rappelle juste une chose. Mes deux textes parlent de la construction d’une nouvelle force politique, organisée… pas d’un front électoral ou d’un front de luttes, ni même du front unique. Or, je suis pour le front unique avec le PC. Mais pas pour construire une organisation avec lui. Parfois, et je le pense en ce moment, il faut se couper du PC à cause de ces comportements bureaucratiques (comme PL en Ile de France) et de ses liens au PS. Il y a une forme de contradiction, et c’est ce que je dis dans mon texte initial, il faut travailler avec le PC vu son poids dans la vieille classe ouvrière, mais il faut se démarquer de lui vu son pouvoir de nuisance vis-à-vis de la jeunesse militante, pour qui « les vieux appareils » sont un repoussoir.

    1. Alexandre, je ne sais pas si le spectacle présenté par le FdG et EE-LV et le NPA et LO pour les régionales est « pitoyable », attendons la fin des négociations et la publication des listes, puis les résultats pour voir. Pour l’instant, il n’ y a pas un intérêt majeur de beaucoup de monde pour cette élection proche.

      Si ton article visait à dire que les marxistes révolutionnaires n’envisagent pas de rentrer au PCF comme viennent de le faire Christian Piquet (un des fondateurs de feue la Gauche unitaire) et plusieurs de ses proches, la cause est entendue.

      Dans Ensemble nous avons fédéré des forces venant de la LCR puis NPA, de la Gauche unitaire (ex lcr aussi), des Alternatifs, des Communistes unitaires et d’autres. Ce mouvement a à se développer, pas nécessairement sous le seul périmètre politique actuel mais à se développer comme courant anticapitaliste et écologiste. Cette tâche est suffisamment ardue pour l’instant.

      Que d’autres courants issus du NPA nous rejoignent serait bien, par ailleurs.

       

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