La nouvelle loi Travail, une arme de plus contre les syndi­ca­listes comba­tifs.

Sur le Monde.fr du 7 juillet une tribune libre de cher­cheuses et cher­cheurs attire notre atten­tion.

« Dans les entre­prises, l’ac­tion des repré­sen­tants des sala­riés est loin d’être consi­dé­rée comme légi­time »
Toutes les études scien­ti­fiques montrent l’im­por­tance de la discri­mi­na­tion à l’égard des repré­sen­tants syndi­caux dans les entre­prises. Comment négo­cier à égalité dans ces condi­tions ? », inter­roge un collec­tif de cher­cheurs dans une tribune au « Monde ».

A l’heure où le gouver­ne­ment souhaite enga­ger une réforme profonde du fonc­tion­ne­ment du marché du travail et faire de l’en­tre­prise l’éche­lon central de régu­la­tion des rela­tions de travail, peu d’at­ten­tion est accor­dée aux résul­tats et aux conclu­sions conver­gentes appor­tés par les travaux de recherche sur les discri­mi­na­tions à l’en­contre des repré­sen­tants syndi­caux en entre­prise.
Le 7juin s’est tenu au minis­tère du travail un colloque (http://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statis­tiques
/etudes-et-syntheses/revue-travail-et-emploi/appels-a-contri­bu­tion/article/evene­ments-scien­ti­fiques) consa­cré à ce sujet,
à la suite de la paru­tion ces derniers mois de deux numé­ros spéciaux de la revue Travail et Emploi
(https://travai­lem­ploi.revues.org/6956) .

Les six articles de recherche consa­crés à la France (auxquelles nous avons contri­bué) et les quatre autres portant sur l’étran­ger (Royaume-Uni, Canada, Espagne et Turquie), dressent pour­tant un pano­rama unique de l’éten­due d’un phéno­mène jusqu’a­lors peu docu­menté.

 

Payés envi­ron 10% de moins
Premier diagnos­tic: à âge, sexe et diplôme égaux, les délé­gués syndi­caux en France sont payés envi­ron 10% de moins
que leurs collègues, en2011. Cet écart de salaire n’a pas évolué depuis 2004. Il découle du fait que les délé­gués sont  beau­coup moins promus: ils ont une proba­bi­lité infé­rieure de 30% que l’en­semble des sala­riés de décla­rer avoir eu une promo­tion sur une période de trois ans. Ce résul­tat corro­bore le ressenti des prota­go­nistes eux-mêmes: lorsqu’on leur pose la ques­tion direc­te­ment, 40% des délé­gués syndi­caux estiment que leur mandat a été un frein pour leur carrière.
Les travaux mono­gra­phiques et témoi­gnages publiés attestent, au-delà de la ques­tion du salaire, de la diver­sité des
pratiques anti-syndi­cales qui entravent au quoti­dien la repré­sen­ta­tion des inté­rêts de nombreux sala­riés dans les entre­prises.
Cette réalité est désor­mais avérée sur le terrain juri­dique: l’étude détaillée du conten­tieux pour discri­mi­na­tion syndi­cale
montre que lorsque des litiges sont enga­gés – malgré les diffi­cul­tés de l’ac­cès aux tribu­naux et aux preuves – ils font droit dans plus de 70% des cas aux demandes des sala­riés. Enfin, l’étude des accords d’en­tre­prise visant à proté­ger les syndi­ca­listes montre que ceux-ci ne sont effi­caces que pour les repré­sen­tants perma­nents des grandes entre­prises.
Des constats plus alar­mants encore sont faits dans les quatre pays très diffé­rents mention­nés plus haut. Les articles publiés font état de formes plus brutales de répres­sion syndi­cale qui persistent (Royaume-Uni) ou même se déve­loppent (Turquie) contre les travailleurs syndiqués: listes noires, licen­cie­ments ciblés, violences psychiques et physiques…

Une image de « planqués »
Malgré l’ac­cu­mu­la­tion de ces éléments empi­riques, l’idée d’une discri­mi­na­tion peine à faire son chemin. Pas assez actifs dans leur mandat, trop peu inves­tis dans leur travail, bref « planqués », telle est l’image souvent donnée des syndi­ca­listes.
Dans un contexte de syndi­ca­li­sa­tion faible (5% des sala­riés dans le secteur privé) et de forte mécon­nais­sance de la démo­cra­tie sociale et de ses enjeux, ces inter­pré­ta­tions, fondées sur des cas isolés mais large­ment relayés, peuvent se déve­lop­per faci­le­ment. Elles ne résistent cepen­dant pas à un examen appro­fondi.
C’est juste­ment quand les délé­gués sont le plus actifs (lorsqu’ils parti­cipent effec­ti­ve­ment aux négo­cia­tions) et lorsqu’il y
a des conflits ou des grèves dans l’en­tre­prise qu’ils sont le plus péna­li­sés en termes de salaire, et qu’ils se déclarent le
plus frei­nés dans leur carrière.
Un dernier indice, indi­rect celui-ci, de la répres­sion dont peuvent être victimes les délé­gués syndi­caux est leur absence
dans les deux tiers des entre­prises où ils pour­raient s’im­plan­ter: cette absence s’ex­plique en géné­ral par le fait qu’il n’y
a tout simple­ment pas de candi­dat pour occu­per ces fonc­tions. Là encore les chiffres sont parlants: plus d’un tiers des
sala­riés mentionnent la peur des repré­sailles comme une raison de la faible syndi­ca­li­sa­tion en France.

 

Prise de conscience
Ce tableau de la situa­tion des syndi­cats et de la repré­sen­ta­tion des inté­rêts des sala­riés amène à ques­tion­ner
l’ef­fec­ti­vité pratique des réformes propo­sées par le gouver­ne­ment. Est-il vrai­ment raison­nable de prétendre que les
condi­tions de travail doivent désor­mais se défi­nir dans les entre­prises, alors que dans deux tiers d’entre elles il n’y a pas
d’in­ter­lo­cu­teur pour négo­cier? Et que dans les autres, les indices s’ac­cu­mulent pour montrer que l’ac­tion de ces
inter­lo­cu­teurs est régu­liè­re­ment entra­vée, et qu’ils sont affai­blis indi­vi­duel­le­ment?
Quoique l’on pense par ailleurs de l’idée de flexi­bi­li­ser le marché du travail ou encore d’as­sou­plir un droit du travail qui
serait trop contrai­gnant, si l’on consi­dère que la négo­cia­tion collec­tive en entre­prise est primor­diale pour notre marché
du travail, celle-ci doit pouvoir se faire dans des condi­tions construc­tives, autre­ment dit suivant un rapport de force
équi­li­bré entre les parties en présence. Cela suppose que les repré­sen­tants des inté­rêts des sala­riés dans l’en­tre­prise
soient trai­tés de manière juste, que leur rôle y soit non pas seule­ment protégé, mais reconnu et soutenu.

La créa­tion d’un Obser­va­toire de la répres­sion et de la discri­mi­na­tion syndi­cales (http://obser­va­toire-repres­sion­syn­di­cale.
org/) et la saisine récente du défen­seur des droits et du Conseil écono­mique, social et envi­ron­ne­men­tal

(Cese (http://www.lecese.fr/) ) témoignent que les syndi­cats et les pouvoirs publics commencent à prendre conscience
de l’am­pleur et de l’enjeu du problème. Mais le diagnos­tic que nous avons fait sur ce qui se passe concrè­te­ment dans
les entre­prises aujourd’­hui montre qu’on est encore loin d’avoir des repré­sen­tants dont l’ac­tion est consi­dé­rée comme
tota­le­ment légi­time.
Pour cela, nous propo­sons de nombreuses pistes, comme renfor­cer l’ef­fec­ti­vité des protec­tions pour les repré­sen­tants
du person­nel, donner un rôle plus impor­tant à l’en­semble des sala­riés dans le choix et la valo­ri­sa­tion de leurs
repré­sen­tants, ou encore former les lycéens et les jeunes travailleurs à la démo­cra­tie sociale.

 

Les signa­taires: Thomas Amossé (Labo­ra­toire inter­dis­ci­pli­naire de socio­lo­gie écono­mique,Lise/CNAM, Centred’é­tude de l’em­ploi et du travail),

Jérôme Bour­dieu (INRA, EHESS, Ecole d’éco­no­mie de Paris),

Thomas Breda (CNRS, Ecole d’éco­no­mie de Paris),

Vincent-Arnaud Chappe (CNRS, Centre de socio­lo­gie de l’in­no­va­tion),

Jean-Michel Denis (Univer­sité Paris-Est Marne-La Vallée),

Baptiste Giraud (Univer­sité d’Aix-Marseille),

Cécile Guillaume (Queen Mary Univer­sity of London),

Frédé­ric Guio­mard (Insti­tut de recherche sur l’en­tre­prise et les rela­tions
profes­sion­nelles, Irerp/univer­sité Paris-Ouest-Nanterre-La Défense),

Nico­las Hatz­feld (Insti­tu­tions et dyna­mique­shis­to­riques de l’éco­no­mie et de la société, IDHES/Univer­sité d’Evry-Val-d’Es­sonne),

Amael Marchand (Labo­ra­toire tech­niques terri­toires et socié­tés, LATTS/Univer­sité Paris-Est/Ecole des Ponts/CNRS),

Inès Meftah (Irerp/Univer­si­téPa­ris-Ouest-Nanterre-La Défense),

Etienne Pénis­sat (Centre d’études et de recherches admi­nis­tra­tives, poli­tiques etso­ciales, Ceraps/CNRS/univer­sité de Lille-2),

Jean-Marie Pernot (Insti­tut de recherches écono­miques et sociales,IRES),

Sophie Pochic (CNRS, Centre Maurice-Halb­wachs).

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