Le confi­ne­ment ne tient pas lieu de congés payés

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Publié dans Libé­ra­tion / 

Par Jean-Marie Harri­bey, Esther Jeffers, , membres des Écono­mistes atter­rés ,

Pierre Khalfa, Econo­miste, membre de la Fonda­tion Coper­nic et

Domi­nique Plihon, Econo­miste, membre d’At­tac

Travailler plus long­temps, comme le préco­nise le président du Medef, n’est pas la solu­tion pour relan­cer l’éco­no­mie. Il faut au contraire modi­fier en profon­deur les struc­tures produc­tives et mieux rému­né­rer les métiers peu valo­ri­sés que la crise a mis en avant.

Le président du Medef, Geof­froy Roux de Bézieux, affirme qu’« il faudra se poser la ques­tion des RTT et des congés payés ». La période de confi­ne­ment va se traduire, nous dit-il, par un arrêt de l’éco­no­mie de 30 à 40 % en moyenne. Ce qu’il oublie, c’est que les esti­ma­tions de l’In­see et de l’OFCE n’an­noncent un tel chiffre qu’en annua­li­sant l’im­pact mesuré sur un mois.

Quel serait le remède à la para­ly­sie de l’éco­no­mie ? « Retrous­ser ses manches et travailler plus long­temps » selon le président du Medef. Ainsi, ce sont les travailleurs qui font marcher l’éco­no­mie ! Ainsi, ce sont eux qui permettent la fameuse « créa­tion de richesse » ! Quand ? Pendant leur temps de travail. Il aura fallu une pandé­mie pour s’aper­ce­voir que ce sont les soignants, les ensei­gnants, les livreurs, les cais­sières, les éboueurs qui main­tiennent la société debout. Pendant ce temps-là, où sont les action­naires et leurs porte-parole, ceux qui ne paient pas d’im­pôts ou très peu ?

Allon­ge­ment de la durée de travail

La décla­ra­tion du président du Medef a pour elle le mérite de la clarté. Il s’agit pour les élites écono­miques qui nous ont mis dans la nasse de profi­ter de la crise sani­taire pour renfour­cher l’un de leurs prin­ci­paux chevaux de bataille : augmen­ter la durée du travail. Cela ne leur suffit pas que la loi d’ur­gence sani­taire et les ordon­nances l’ac­com­pa­gnant aient prévu de rallon­ger la durée hebdo­ma­daire du travail jusqu’à 44 heures, voire 60 heures si l’em­ployeur en ressent le besoin. Il s’agit d’al­ler encore plus loin en remet­tant en cause le prin­cipe des congés payés, ne serait-ce que pour l’an­née 2020. Et si ça ne suffi­sait pas, en 2021… aussi ?

Il y a quelques mois à peine, la société française débat­tait de la réforme des retraites. La pierre d’achop­pe­ment était l’âge pivot et l’âge d’équi­libre, soit comment faire travailler les sala­riés jusqu’à 64, 65 ans ? Le Medef deman­dait même 67 ans. La réforme est suspen­due, mais ne doutons pas que les préceptes qui y étaient conte­nus refe­ront surface. Monsieur Roux de Bézieux prend date.

Métiers indis­pen­sables

Même le président de la Répu­blique avait admis dans sa première inter­ven­tion télé­vi­sée qu’il nous faudrait chan­ger de modèle écono­mique après la pandé­mie. L’aug­men­ta­tion du temps de travail voulue par le Medef nous condui­rait-elle à un tel chan­ge­ment de modèle ? Sûre­ment pas. Elle consis­te­rait à relan­cer la machine écono­mique dans sa course folle au produc­ti­visme et dans la dégra­da­tion géné­rale de la condi­tion au travail. Ce serait oublier la leçon écono­mique essen­tielle de la pandé­mie : distin­guer les acti­vi­tés essen­tielles, celles qui sont utiles à la société, de celles qui conduisent au gaspillage et à la dégra­da­tion de la biodi­ver­sité, au réchauf­fe­ment du climat et à l’en­fer­me­ment des travailleurs les plus utiles dans des condi­tions de travail et de salaires les plus dégra­dées. De plus, alors que le chômage risque de faire un bond spec­ta­cu­laire, travailler plus long­temps n’est pas la solu­tion. Il faut au contraire reprendre le mouve­ment histo­rique de baisse du temps de travail qui a permis de créer massi­ve­ment des emplois malgré la persis­tance de gains de produc­ti­vité plus ou moins impor­tants suivant les périodes.

Alors, pas de retour à l’an­cien monde ! Recon­nais­sons la valeur du travail, de celles et ceux qui ont permis que la société conti­nue à fonc­tion­ner. Les femmes, infir­mières, sages-femmes, aides soignantes, auxi­liaires de vie, cais­sières sont en première ligne d’une longue liste. Mais ces métiers indis­pen­sables sont mal rému­né­rés, peu valo­ri­sés. Il est temps de leur accor­der une vraie recon­nais­sance et d’aug­men­ter leurs salaires.

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