« Le Fil des communs », Elsa Faucillon. La priva­ti­sa­tion de l’Uni­ver­sité.

La Loi de program­ma­tion pluri­an­nuelle de la recherche ne répond en rien aux attentes d’un milieu rendu exsangue par des années de sous finan­ce­ment. Alors qu’une loi ambi­tieuse de soutien aux systèmes univer­si­taires était atten­due, la LPPR se contente de libé­ra­li­ser et de préca­ri­ser encore plus.

« Une loi histo­rique », « un aligne­ment des planètes » … que ne faut-il pas entendre de la part de la ministre Frédé­rique Vidal ! La réalité c’est que le gouver­ne­ment se moque ouver­te­ment de nous.

Finan­ciè­re­ment d’abord. La trajec­toire budgé­taire s’étale en effet jusqu’en 2030. Et les plus gros montants se concentrent sur les dernières années … ou comment promettre de l’argent pas tout de suite, mais pour les deux prochains quinquen­nats !

Ainsi, alors que le CESE affirme qu’il faudrait dès 2021 une augmen­ta­tion du budget de la recherche de 6 milliards d’eu­ros, l’an­née prochaine c‘est moins de 400 millions d’eu­ros que le gouver­ne­ment daignera allouer à la recherche.

Pour­tant il n’est plus néces­saire de prou­ver comme le milieu de la recherche souffre : entre 20% et 40% des étudiants vivent sous le seuil de pauvreté en France, plus de 40% des docto­rants font une thèse non finan­cée (dont 2/3 en sciences sociales) et sont obli­gés de se sala­rier à côté, plus de 40% des person­nels admi­nis­tra­tifs sont précaires, de nombreux docteurs se retrouvent sans poste, le taux horaire des vaca­taires est en dessous du SMIC et ceux-ci reçoivent leur salaire avec au moins 240 jours de retard … La préca­rité est géné­ra­li­sée.

Et cette loi va encore plus loin. En instau­rant le CDI de mission et les tenure tracks, la LPPR contourne le statut de fonc­tion­naire et enté­rine la contrac­tua­li­sa­tion forcée des métiers de la recherche.

En permet­tant de recru­ter des « jeunes talents » sur dossier, les tenure tracks (ou chaire de profes­seur junior) vien­dront concur­ren­cer les maitres et maîtresses de confé­rence en déro­geant aux moda­li­tés de recru­te­ment de ces derniers, tout en contour­nant le statut de cher­cheur-fonc­tion­naire.

Le CDI de mission permet­tra quant à lui de recru­ter pour les besoins d’une mission de recherche sur un temps limité. Un contrat qui s’ap­pa­rente donc à un CDD, mais qui réussi l’ex­ploit d’être encore moins protec­teur pour l’em­ployé. Passons l’af­front de l’uti­li­sa­tion du terme « CDI » pour un contrat qui s’en éloigne autant, ce nouveau statut permet de mettre fin au statut de fonc­tion­naire dans la recherche. Et risque évidem­ment d’être géné­ra­lisé à de nombreux autres secteurs.

Deuxième propo­si­tion de ce projet de loi allant à rebours complet des besoins qui s’ex­priment : la multi­pli­ca­tion des appels à projet.

Ceux-ci sont large­ment décriés par l’en­semble des cher­cheurs. Il demande en effet une masse de travail énorme, pour des gains souvent inexis­tants. Et provoque une bureau­cra­ti­sa­tion délé­tère de la profes­sion. Le temps passé à remplir des dossiers de candi­da­ture est autant de temps en moins pour écrire ou se consa­crer aux étudiants.

La multi­pli­ca­tion des appels à projet exacerbe égale­ment les inéga­li­tés au sein de la recherche : 20 univer­si­tés et grands établis­se­ments concentrent 80% des finan­ce­ments en France, renforçant les dispa­ri­tés entre les univer­si­tés d’élites et les univer­si­tés péri­phé­riques.

Et les appels à projet génèrent évidem­ment une logique compé­ti­tive. Alors que c’est au contraire la co-construc­tion des savoirs, la colla­bo­ra­tion et les échanges entre cher­cheurs qu’il faut encou­ra­ger.

Pour obte­nir les projets, les cher­cheurs tendent progres­si­ve­ment à se confor­mer à ce qui peut « rappor­ter », aban­don­nant les thèmes de recherche « trop atypiques » ou « pas en vogue ».

Pour­tant les appels à projet ne semblent muent par aucune logique véri­table. L’exemple du finan­ce­ment de la recherche sur le SRAS, aban­donné du jour au lende­main parce que le virus n’était plus d’ac­tua­lité résonne tris­te­ment à nos oreilles aujourd’­hui. Il explique en effet le retard pris par la recherche française en la matière et notam­ment son impré­pa­ra­tion face à l’épi­dé­mie de Covid19. 

Comme pour l’hô­pi­tal public, le gouver­ne­ment oeuvre ici au déman­tè­le­ment métho­dique du service public de la recherche. Afin d’en permettre la progres­sive priva­ti­sa­tion. Drama­tique­ment effi­cace.

L’as­phyxie complète des moyens pour l’uni­ver­sité oblige ainsi les univer­si­tés à se rappro­cher du secteur privé. Au détri­ment de la science ouverte. Le risque de dérive est simple en effet : une recherche privée va avoir pour corol­laire le besoin d’en­gran­ger des profits. Là où le service public de la recherche ne peut avoir de visée pure­ment lucra­tive. Ainsi la ques­tion centrale est celle-ci : la recherche doit-elle néces­sai­re­ment être rentable ? Pour le gouver­ne­ment la réponse est oui.

Ce projet de loi va limi­ter la recherche ouverte, pous­ser les cher­cheurs et cher­cheuses à un confor­misme intel­lec­tuel délé­tère, limi­tant consi­dé­ra­ble­ment les retom­bées béné­fiques de la recherche sur la société française. Le lien Recherche et Société est d’ailleurs très absent de ce texte. Il faut au contraire une recherche aux finan­ce­ments pérennes, qui permettent à une multi­tude de thèmes de recherche d’exis­ter, libre­ment.

Elsa Faucillon 

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