Loi asile-immi­gra­tion : recul pour les droits des étran­gers

Reçu des Etats géné­raux des migra­tions:

CÉLINE MOUZON07/09/2018

Feu vert : le Conseil consti­tu­tion­nel a très large­ment validé hier la loi asile et immi­gra­tion adop­tée le 1er août par l’As­sem­blée natio­nale au terme de plusieurs mois de débats. La non-confor­mité partielle de la déci­sion porte sur des points de procé­dure parle­men­taire. Le texte final, qui sera publiée au jour­nal offi­ciel dans les prochains jours, reste dans la lignée du projet présenté en conseil des ministres fin février par le ministre de l’In­té­rieur, Gérard Collomb.

Depuis 1980, il s’agit de la 28e loi sur l’im­mi­gra­tion – soit en moyenne une réforme tous les seize mois. La dernière loi sur l’asile remonte à juillet 2015, et celle sur les étran­gers à mars 2016. Cela pose des problèmes d’ap­pro­pria­tion pour les premiers concer­nés, les étran­gers, et pour les profes­sion­nels (travailleurs sociaux, avocats, magis­trats, …), et soulève la ques­tion de la lisi­bi­lité et de l’ef­fec­ti­vité du droit.

Selon le gouver­ne­ment, cette loi pour­suit trois objec­tifs : la réduc­tion des délais d’ins­truc­tion de la demande, le renfor­ce­ment de la lutte contre l’im­mi­gra­tion irré­gu­lière et l’amé­lio­ra­tion de l’ac­cueil des étran­gers admis au séjour pour leurs compé­tences et leurs talents. En réalité, derrière l’af­fi­chage entre « huma­nité et fermeté », c’est le recul des droits des étran­gers qui domine, orga­nisé autour de mesures dissua­sives (voir notre article). 

Asile : procé­dures expé­di­tives et garan­ties moindres

Les délais pour deman­der l’asile sont écour­tés : au lieu de 120 jours pour dépo­ser sa demande une fois arrivé en France, un étran­ger ne dispo­sera plus que de 90 jours. Passée cette échéance, il courra le risque d’être placé en « procé­dure accé­lé­rée », une procé­dure déro­ga­toire dont les délais sont plus serrés et où la Cour natio­nale du droit d’asile statue à juge unique (et non en forma­tion collé­giale de trois juges). Cette mesure ne répond pas à l’en­gor­ge­ment des dispo­si­tifs d’asile et fragi­lise les deman­deurs. D’autres délais sont raccour­cis, comme celui pour deman­der l’aide juri­dic­tion­nelle (souvent néces­saire pour se faire accom­pa­gner par un avocat) en cas de recours contre une déci­sion de l’Of­pra, l’or­ga­nisme qui instruit les demandes d’asile. 

Plusieurs caté­go­ries de deman­deurs d’asile pour­ront se voir expul­sées du terri­toire français avant d’avoir épuisé toutes les voies de recours

Plusieurs caté­go­ries de deman­deurs d’asile pour­ront se voir expul­sées du terri­toire français avant d’avoir épuisé toutes les voies de recours (y compris devant la Cour natio­nale du droit d’asile). Cela concerne notam­ment les deman­deurs issus de pays d’ori­gine dits sûrs.

La langue d’échange pourra être choi­sie par l’ad­mi­nis­tra­tion et la noti­fi­ca­tion des déci­sions pourra se faire sur tout support (y compris par SMS ou email).

La Cour natio­nale du droit d’asile pourra impo­ser la visio-confé­rence pour l’au­dience du deman­deur, sans son consen­te­ment. Cela soulève des ques­tions par rapport au droit à un procès équi­table (article 6 de la Conven­tion euro­péenne des droits de l’Homme) et à l’or­ga­ni­sa­tion de l’au­dience (l’avo­cat sera aux côtés de son client, mais du coup, loin du juge).

La loi prévoit un schéma natio­nal d’ac­cueil des deman­deurs d’asile et d’in­té­gra­tion des réfu­giés, soit une répar­ti­tion des deman­deurs d’asile sur le terri­toire. Ce schéma existe en réalité déjà mais est peu appliqué. En cas de non-respect, l’ad­mi­nis­tra­tion pourra suspendre l’al­lo­ca­tion du deman­deur d’asile (6,80 euros par jour pour une personne seule).

Immi­gra­tion : plus d’en­fer­me­ment et une limi­ta­tion du droit du sol à Mayotte

La durée de la réten­tion, un dispo­si­tif qui n’a en prin­cipe pas voca­tion à punir, mais à permettre à l’ad­mi­nis­tra­tion d’or­ga­ni­ser l’éloi­gne­ment d’un étran­ger, est doublée : aujourd’­hui de 45 jours maxi­mum, elle pourra demain aller jusqu’à 90 jours. La réten­tion n’a pour­tant pas fait la preuve de son effi­ca­cité (voir ici égale­ment). La réten­tion des enfants n’est pas inter­dite, alors que les dommages psycho­lo­giques d’un enfer­me­ment, même court, sont consi­dé­rables à cet âge. D’autres enfer­me­ments sont prévus (assi­gna­tion à rési­dence pour 45 jours renou­ve­lables une fois pour un étran­ger ayant reçu une obli­ga­tion de quit­ter le terri­toire français).

La réten­tion des enfants n’est pas inter­dite, alors que les dommages psycho­lo­giques d’un enfer­me­ment, même court, sont consi­dé­rables à cet âge

Le délit de soli­da­rité subsiste avec quelques aména­ge­ments. 

A Mayotte est instau­rée une déro­ga­tion au prin­cipe du droit du sol : un enfant né de parents étran­gers ne pourra acqué­rir la natio­na­lité française à la majo­rité qu’à condi­tion expresse que l’un de ses parents ait résidé en France de manière régu­lière et inin­ter­rom­pue pendant plus de trois mois avant sa nais­sance.

Le texte porte le projet d’une immi­gra­tion choi­sie qui attire les plus diplô­més : le passe­port talent est étendu aux « sala­riés d’en­tre­prises inno­vantes » ainsi qu’à toute personne « suscep­tible de parti­ci­per au rayon­ne­ment de la France ». Il favo­rise la mobi­lité des étudiants et cher­cheurs entre leur pays d’ori­gine et la France.

Inté­gra­tion : des amélio­ra­tions peu nombreuses

Vraie amélio­ra­tion : les béné­fi­ciaires de la protec­tion subsi­diaire (une protec­tion complé­men­taire au statut de réfu­gié qui repré­sen­tait 42% des déci­sions d’ac­cord Ofpra et CNDA en 2017) se verront accor­der une carte de séjour pluri­an­nuelle de quatre ans et non plus un titre d’un an renou­ve­lable par périodes de deux ans. Le statut de réfu­gié, lui, ouvre droit à une carte de résident de dix ans. 

Les deman­deurs d’asile pour­ront travailler à partir de six mois après leur entrée sur le terri­toire contre neuf mois aujourd’­hui. Mais en pratique, l’au­to­ri­sa­tion de travail restera soumise à un régime restric­tif.

La dispo­si­tion qui évoquait pour la première fois les dépla­cés envi­ron­ne­men­taux a été décla­rée non conforme à la Cons­ti­tu­tion pour des raisons de procé­dures

 

La réuni­fi­ca­tion fami­liale est éten­due aux frères et sœurs pour les mineurs non accom­pa­gnés ayant obtenu une protec­tion : les parents les rejoi­gnant pour­ront désor­mais venir avec les enfants mineurs dont ils ont la charge. En 2017, seuls 381 mineurs non accom­pa­gnés ont obtenu une protec­tion.

Alors que pour la première fois, la loi évoquait l’enjeu des dépla­cés envi­ron­ne­men­taux, cette dispo­si­tion a été décla­rée non conforme à la Cons­ti­tu­tion pour des raisons de procé­dures.

Le texte entrera en vigueur en trois étapes : pour certaines dispo­si­tions, dès la publi­ca­tion au jour­nal offi­ciel, dans les prochains jours, pour d’autres, au 1erjanvier, pour d’autres encore, au 1er mars 2019.

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