« Persé­vé­rer dans son être » ou oser le chan­ge­ment |

 

Texte de Samy Joshua, mili­tant d’En­semble!, élu Front de gauche à Marseille dans la mairie diri­gée par le FN Ravier. Diri­geant de la gauche radi­cale.

« Persé­vé­rer dans son être » ou oser le chan­ge­ment | Le Club de Media­part

Malgré leur crise, beau­coup de secteurs de la gauche y compris radi­cale choi­sissent l’im­mo­bi­lisme. La France Insou­mise, elle, a gagné de haute lutte la respon­sa­bi­lité de construire la nouvelle force de rupture dont les luttes popu­laires ont plus besoin que jamais. Un défi à rele­ver, un « proces­sus consti­tuant » à lancer.

« Persé­vé­rer dans son être » ou oser le chan­ge­ment

 

« J’ai suivi atterré les polé­miques fusant de toutes les parties de la gauche contre Mélen­chon et la France Insou­mise (FI). Perti­nentes parfois, mais le plus souvent insi­dieuses ou brutales.. Pas que la ques­tion soit taboue. De nombreuses ques­tions parfois de fond méri­taient débat, et c’est toujours le cas. Mais la violence et la déme­sure des attaques géné­ra­li­sées au fur et à mesure que l’am­pleur du succès s’an­nonçait étaient d’une autre nature. Que je n’avais jamais rencon­tré à ce point dans ma pour­tant longue vie mili­tante[i]

 

Pourquoi ceci ? J’ai fini par trou­ver une réponse chez Spinoza. La nouveauté de la situa­tion et ce qu’elle impliquait étaient simple­ment trop grands. Or « L’ef­fort par lequel toute chose tend à persé­vé­rer dans son être n’est rien de plus que l’es­sence actuelle de cette chose. ». On s’est habi­tué en 45 ans, depuis le Congrès d’Epi­nay, à une géogra­phie fami­lière de la gauche. Le PS glis­sait à droite mais restait hégé­mo­nique. Sa gauche pestait, mais caution­nait. Le PCF multi­pliait les critiques, mais lui restait lié de l’ex­té­rieur, s’af­fai­blis­sant de ce fait sans pouvoir décro­cher vrai­ment. L’ex­trême-gauche dénonçait trahi­son sur trahi­son, comp­tant sur les luttes pour venir à bout du masto­donte, mais sans jamais y parve­nir. Et, ici et là, les consciences morales décri­vaient avec justesse la chute sans fin de cette gauche perdue. Toute une chaîne qui s’ali­men­tait d’elle-même et dont chaque maillon, soli­daire de l’en­semble, « persé­vé­rait dans son être » tout en procla­mant que bien­tôt c’en serait fini. Et voilà que Mélen­chon approche les 20%, que le PS est à terre comme EELV, le PC à 2.7%, l’ex­trême gauche margi­na­li­sée, les consciences morales désarçon­nées.

 

La chaîne est détruite, dont les maillons se tenaient les uns les autres ; le chan­ge­ment est là. Ne ressem­blant en rien à ce qui fût mûre­ment pensé[ii]. Plus moyen de persé­vé­rer dans son être, d’où les dérai­sons de la raison qui s’en suivirent[iii].

Des ques­tions déci­sives à discu­ter il n’en manque certes pas. Regar­dons la ques­tion dite « du respect de la diver­sité », que FI est accu­sée de piéti­ner. Certes celle-ci est consti­tu­tive de la gauche en effet, pas de doute sur ce point. Mais elle est entiè­re­ment respec­tée quand, dans des termes quasi iden­tiques, Besan­ce­not et ses amis appellent à la résis­tance unie[iv], Cémen­tine Autain à un « Front social et poli­tique » et Mélen­chon à un « Front Popu­laire » pour s’op­po­ser à Macron. Toute autre chose est la discus­sion quant à la construc­tion d’une nouvelle force poli­tique commune. Le NPA exclut en pratique de faire en France le même chemin que Pode­mos. Guillaume Balas a proclamé la néces­sité de rompre avec « une gauche radi­cale dure », donc avec ceux et celles qui ont soutenu la campagne de Mélen­chon. Le PCF vient de renon­cer à son dépas­se­ment une fois de plus. Si le PC et les hamo­nistes ne veulent déci­dé­ment pas en être, qu’y peut-on ? Une fois de plus le PCF va tenter d’en­ga­ger sa propre refon­da­tion pour « rede­ve­nir le parti des classes popu­laires ». Il y a quelques années alors que je m’éton­nais de l’hos­ti­lité que mani­fes­tait le PCF aux efforts de dépas­se­ment enga­gés par Guy Hermier avec son « pôle de radi­ca­lité », ce dernier m’a expliqué une chose fonda­men­tale, la « théo­rie de la paren­thèse ». Pour l’ap­pa­reil du Parti m’a-t-il dit, une paren­thèse néfaste s’est ouverte (quand, ça restait en discus­sion), mais elle se refer­mera un jour, et le Parti rede­vien­dra aussi puis­sant que le Parti de Thorez. On y est encore. Bien sûr qu’il faut respec­ter le choix de Hamon et Balas de recons­ti­tuer une social-démo­cra­tie clas­sique si c’est possible. Comme celui que le PC vient de confir­mer. Mais on a le droit de dire en même temps dans ce cas que c’est une impasse que personne n’est obligé d’em­prun­ter. On discute là de posi­tion­ne­ments poli­tiques, pas des indi­vi­dus le plus souvent parfai­te­ment dignes de respect de part leur enga­ge­ments de tous les jours dans des combats diffi­ciles. Mais oui, c’est une impasse, d’au­tant plus morti­fère que la gauche est dans l’état que nous connais­sons. Nous le savons d’ex­pé­rience avec le bilan du Front de Gauche. Impos­sible de progres­ser sous la forme d’un cartel fermé, qui plus est quand des compo­santes prin­ci­pales n’ima­ginent pas une seconde d’al­ler plus loin dans le dépas­se­ment.

 

Enfin il y a la ques­tion de « la diver­sité », mais dans le cadre d’une force commune. Problème majeur s’il en est, touchant à celle d’un fonc­tion­ne­ment démo­cra­tique. Mal réso­lue pour l’heure dans des expé­riences semblables comme Pode­mos. Néces­saire pour le respect des histoires diverses qu’i­né­vi­ta­ble­ment cette force regrou­pera, qui ne sont pas que des survi­vances du passé, mais aussi des appuis pour des visions plurielles d’ave­nir en débat. Mais l’es­sen­tiel n’est pas là, il est de parve­nir à donner réel­le­ment le pouvoir de déci­der en toutes choses aux personnes qui s’en­ga­ge­ront dans l’aven­ture. Mélen­chon, dans des remarques pour l’ins­tant peu systé­ma­ti­sées, craint un retour des vieilles procé­dures (celles du PS par exemple) qui n’ont brillé ni par leur effi­ca­cité, ni par leur démo­cra­tie. Il a raison de vouloir proté­ger d’abord la force d’ini­tia­tive « en réseaux » qu’a démon­trée la campagne. Mais il dit aussi que le problème en tant que tel est quasi­ment surmonté de par l’exis­tence d’un programme, l’Ave­nir en Commun, réfé­rence commune. Mais non ! Tout d’abord un programme n’est pas chose figée, il s’ap­pro­fon­dit et s’adapte. Comment y procé­der est une vraie ques­tion d’or­ga­ni­sa­tion. De plus il est sujet à inter­pré­ta­tion pour ses consé­quences. Quand il a fallu défi­nir une posi­tion pour le second tour de la Prési­den­tielle, le programme n’a pas suffi. Il a fallu, comme c’est à son honneur, une consul­ta­tion des adhé­rent-e-s de la FI, par la seule procé­dure possible, le vote. Et la vie se char­gera de poser encore et encore des choix stra­té­giques impré­vus : c’est l’ordre des choses. La démo­cra­tie, consiste à les remettre dans les mains du tout venant des adhé­rent-e-s. Ou alors, comme obli­ga­toi­re­ment déci­sions il y a, c’est qu’elles leur échappent.

 

Le défi est là. Pas les solu­tions clé en mains puisque aucune de celles du passé ne sont récu­pé­rables telles quelles. La FI peut et doit rele­ver ce défi. Il faut inven­ter en marchant. Compte tenu des succès rencon­trés, et aussi du refus acté d’autres forces de gauche déci­sives de s’en­ga­ger dans la construc­tion d’une nouvelle force de rupture, c’est de la FI que dépend désor­mais de doter le pays d’une force à la mesure des besoins des combats sociaux, démo­cra­tiques, euro­péens, écolo­giques. Avec un « proces­sus consti­tuant » pour fonder un nouveau mouve­ment, aux mains des membres qui ont fait les campagnes élec­to­rales et souhaitent pour­suivre, et en même temps ouvert à ceux qui déci­de­raient de s’y joindre. Et ils ne manque­ront pas. Spinoza toujours nous dit « Chaque chose, autant qu’il est en elle, s’ef­force de persé­vé­rer dans son être. ». Autant qu’il est en elle. Or il s’avère que nombre de groupes ou de mili­tant-e-s ont « en eux » cette volonté ancienne de forger une force nouvelle. A toutes celles-là et ceux-là, en parti­cu­lier les anti­ca­pi­ta­listes, je dis : persé­vé­rez tout autant dans cet être là, misez sur le chan­ge­ment, c’est le moment. Sans aucune certi­tude de réus­sir, mais qui peut promettre ça ? Comme disait mon ami Daniel Bensaïd, après Gram­sci, on ne peut prévoir que la lutte. Non son issue.

Samy Joshua, 26–06–2017

 

[i] Avec en miroir une violence tout autant dispro­por­tion­née de certains parti­sans de Mélen­chon. Toute cette phase d’une grande bruta­lité devrait passion­ner les cher­cheurs à venir, sur une ques­tion briè­ve­ment abor­dée dans un texte Bulles cogni­tives et problèmes démo­cra­tiques – Produire de la diver­sité ne produit pas auto­ma­tique­ment du commun, https://www.europe-soli­daire.org/spip.php?arti­cle39945

[ii] Et pour­tant, si la forme précise était impré­vi­sible, on pouvait savoir à quoi s’at­tendre. Je disais ici-même en 2013 « Si donc ceci, malheu­reu­se­ment, se confirme et s’ac­cen­tue, alors oui, ce sera « la fois de trop ». Et toutes celles et ceux qui auront gardé un milli­mètre de liens et de complai­sance avec ce système seront reje­tés avec la même force, même si c’est parfois injuste. », https://blogs.media­part.fr/samy-johsua/blog/030313/des-elec­tions-italiennes-la-fois-de-trop-en-france

[iii] Voilà un prétendu « natio­nal popu­liste » qui triomphe dans les cités popu­laires sans que quiconque s’in­ter­roge sur la contra­dic­tion… Mystère de la dialec­tique.

[iv] https://blogs.media­part.fr/les-invites-de-media­part/blog/160617/construire-une-oppo­si­tion-mili­tante-macron-main­te­nant