Une gauche debout contre le rassem­ble­ment poli­cier

« Regards » le 20 mai

http://www.regards.fr/poli­tique/article/contre-le-rassem­ble­ment-poli­cier-cette-gauche-debout?fbclid=IwAR1t7Zh2V-wjH2DhJSxORU3jq7u_E6ffbdUwGInUEOS4Dz4zGxKTOZj3eK4

Hier, alors qu’on pouvait savou­rer nos premières bières en terrasse, certains se sont inter­ro­gés : mais qu’est donc allée faire une partie de la gauche à la mani­fes­ta­tion à l’ap­pel des très droi­tiers syndi­cats de police ? Ils en veulent à cette gauche qui a défilé hier avec les poli­ciers aux côtés de Gérald Darma­nin, Éric Zemmour ou encore Jordan Bardella – et le font savoir haut et fort, notam­ment sur les réseaux sociaux. Preuve que les insou­mis, Géné­ra­tion.s, Le Parti radi­cal de Gauche et le Nouveau Parti Anti­ca­pi­ta­liste n’étaient pas les seuls à refu­ser d’y être.

Parce que si les médias ont mis en scène, de manière gros­sière, l’iso­le­ment de Jean-Luc Mélen­chon – présenté comme le seul repré­sen­tant d’un mouve­ment poli­tique à ne pas se joindre à la mobi­li­sa­tion des poli­ciers – nombreux sont pour­tant les syndi­cats, les asso­cia­tions, les ONG, les collec­tifs et quelques grandes figures intel­lec­tuelles à s’être alar­més de ce qui se jouait, hier, devant le Palais Bour­bon – et notam­ment par la présence de la gauche. La présence d’Oli­vier Faure (PS), d’Anne Hidalgo (PS), de Fabien Rous­sel (PCF) ou encore de Yannick Jadot (EELV) a fait grin­cer des dents, à gauche bien sûr, mais c’est au sein même des orga­ni­sa­tions que les débats ont été les plus vifs. Loin de l’una­ni­misme fantasmé par une grande partie de la classe poli­tique et des prin­ci­paux médias. 
 
Il a fallu attendre mardi soir pour connaitre la déci­sion offi­cielle d’EELV : ira/ira pas – alors que Jadot avait déjà annoncé sa parti­ci­pa­tion dès le début de la jour­née ? Si l’im­mense majo­rité des écolo­gistes n’a pas souhaité se joindre à la mobi­li­sa­tion – à l’ins­tar de Marine Tonde­lier, de Sandrine Rous­seau ou d’Éric Piolle – le commu­niqué du parti écolo, bien que critique à l’égard de l’ini­tia­tive, ne formu­lait aucune consigne claire. Côté PCF, les mili­tants n’ont que peu goûté la séquence de leur patron : quelques jours après être entré en campagne prési­den­tielle sur le thème de la sécu­rité, sa parti­ci­pa­tion au rassem­ble­ment d’hier – qui n’a fait l’objet d’au­cun débat – a été vive­ment contes­tée et moquée sur les réseaux sociaux.

Pour autant, diffi­cile de trou­ver les images de Fabien Rous­sel à la mani­fes­ta­tion. Malaise. La tribune de la dépu­tée commu­niste, Elsa Faucillon, dans laquelle elle assume que « l’hon­neur de la gauche, c’est de ne pas aller au rassem­ble­ment », paru hier dans Libé a été forte­ment parta­gée. Enfin côté socia­listes : « On y est allé par loyauté au parti qui en avait décidé ainsi », lâche un député. Mais les propos de Faure risquent de lais­ser des traces : « Il faut un droit de regard de la police sur les peines de justice et inven­ter une colla­bo­ra­tion », a-t-il assumé. Et même s’il a fait marche arrière depuis, « c’est une faute poli­tique : l’équi­valent de la déchéance de natio­na­lité pour François Hollande », lâche un cadre du PS. Ambiance. 
 
La colère était aussi palpable du côté du mouve­ment social et des syndi­cats. Le ton est souvent grave. Et contrai­re­ment à ce qui a été martelé, notam­ment à la tribune du rassem­ble­ment hier, tous les syndi­cats de police n’étaient pas soli­daires du mouve­ment. VIGI-Minis­tère de l’In­té­rieur dénonçait dans un commu­niqué de presse « la récu­pé­ra­tion du meurtre de leur collègue Eric Masson ». De son côté, Sud Inté­rieur a commenté l’évé­ne­ment de la jour­née d’hier : « Un meeting syndi­cal (poli­tique ?) pro-sécu­ri­taire où le pouvoir exécu­tif a mis la pres­sion sur les pouvoirs judi­ciaire & légis­la­tif ».

Quid des liber­tés publiques ?

Le Syndi­cat de la Magis­tra­ture n’y va pas par quatre chemins non plus : « s’en­gouf­frer dans l’ins­tru­men­ta­li­sa­tion des drames récem­ment vécus par deux fonc­tion­naires de police est bien commode pour nos élus et ministres : ils espèrent ainsi faire oublier les renon­ce­ments des gouver­ne­ments qui se sont succé­dés. Le nouvel hori­zon que dessinent nos ministres et élus en parti­ci­pant à cette mani­fes­ta­tion et en s’as­so­ciant aux reven­di­ca­tions poli­cières, est celui d’une société dans laquelle la police devient une puis­sance auto­nome. » Et d’in­ter­ro­ger : « Quel est le nom de ce régime ? » Cinglant.

Du côté du mouve­ment social, la porte-parole d’At­tac, Auré­lie Trouvé s’est dite inquiète des dérives d’une partie de la gauche : « Cette mani­fes­ta­tion s’ap­pa­rente à un coup de force poli­tique. Une manière de faire pres­sion sur la justice et l’As­sem­blée natio­nale pour renché­rir sur le sécu­ri­taire. Dans un contexte assez grave de conta­gion de la société par les idées d’ex­trême droite, il faut garder des digues et ça commence par ne pas aller mani­fes­ter avec Darma­nin, Bardella ou Zemmour. Ce qui est grave dans cette affaire, c’est surtout d’un point de vue de la recons­truc­tion d’une gauche qui soit solide sur ses valeurs sociales et de l’éco­lo­gie mais aussi ses valeurs socié­tales – et notam­ment des ques­tions de liber­tés publiques et de l’éga­lité réelle. »

L’hon­neur de la gauche

Chez les intel­lec­tuels, d’ha­bi­tude si prompts à dégai­ner une tribune, les prises de posi­tion restent timides. Peut-être vien­dront-elles ces jours-ci. Pour le philo­sophe Michaël Fœssel, « quand une mani­fes­ta­tion se tient à moins de 100 mètres de l’As­sem­blée natio­nale, elle devrait au moins susci­ter la prudence. Lorsque ses reven­di­ca­tions, notam­ment quant aux peines auto­ma­tiques, sont anti­cons­ti­tu­tion­nelles, elle devient suspecte. Quand elle reçoit le soutien, à une excep­tion notable près, de l’una­ni­mité des partis poli­tiques, elle annonce l’aban­don de l’Etat de droit par ceux-là mêmes qui sont censés l’in­car­ner. » De son côté, le socio­logue Didier Eribon a salué les mots du commu­niqué de Jean-Luc Mélen­chon : « Merci de sauver l’hon­neur de la gauche mis à mal par l’ef­fon­dre­ment poli­tique et moral du Parti socia­liste, des Verts, du Parti commu­niste. »

Le poli­tiste Bertrand Badie a salué de son côté l’édi­to­rial de Regards qui appe­lait à ne rien céder à l’ex­trême droite et à ne pas aller au rassem­ble­ment. À noter aussi, l’édi­to­rial de Thomas Legrand, mercredi matin. Face à l’una­ni­misme média­tique, la voix du jour­na­liste de France Inter sonnait juste : « La situa­tion traduit, non pas la soli­da­rité du gouver­ne­ment et des oppo­si­tions à l’égard des forces de l’ordre, mais leur incroyable soumis­sion, leur panique face aux exigences de ce que l’on peut appe­ler le pouvoir de la police ». Enfin, l’his­to­rienne Laurence De Cock, bien que « très inquiète pour l’ave­nir de la gauche », ironise : « L’avan­tage d’al­ler mani­fes­ter auprès du Rassem­ble­ment natio­nal et aux côtés de la police, c’est qu’il sera désor­mais diffi­cile de repro­cher à une partie de la gauche d’al­ler mani­fes­ter avec n’im­porte qui. » Prenons-le comme ça…

Pierre Jacque­main et Pablo Pillaud-Vivien

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