Unidos Pode­mos, un pari en construc­tion

Le 26 Juin, le « sorpaso » annoncé n’a pas eu lieu. Unidos Pode­mos la coali­tion élec­to­rale emme­née par Pode­mos et soute­nue par Izquierda Unida (IU), n’a pas réussi à dépas­ser le PSOE, contrai­re­ment à ce qu’an­nonçaient la plupart des sondages de fin de campagne. À l’an­nonce des résul­tats, la décep­tion était palpable chez les mili­tant-es de Unidos Pode­mos et l’in­com­pré­hen­sion visible chez les diri­geant-es du mouve­ment. Toute­fois, en se hissant une nouvelle fois au-dessus de la barre des 20 % (21,1 %) et en talon­nant le PSOE (22,66 %), Pode­mos, cette fois-ci accom­pa­gné de IU, s’ancre dans le paysage poli­tique espa­gnol et confirme sa place de première force anti-austé­rité en Europe.

Dans le même temps, le PP a bondi de 29 % à 33 % des voix, le PSOE se main­tient et Ciuda­da­nos (13,05 %) voit ses élec­teurs partir au profit du PP (Ciuda­da­nos perd 400 000 voix quand le PP en gagne 600 000 entre le 20 décembre 2015 et le 26 juin 2016). Il semble que dans un contexte d’in­cer­ti­tude, aggravé par le Brexit l’avant-veille des élec­tions, l’élec­to­rat a préféré le récon­fort de la suppo­sée stabi­lité face au saut dans l’in­connu que pouvait repré­sen­ter Unidos Pode­mos. Le bipar­tisme peut souf­fler mais son répit sera de courte durée. Même s’il améliore son score, le PP n’est pas en mesure de gouver­ner seul et a besoin du soutien des socia­listes. Les deux prin­ci­pales options de gouver­ne­ments sont soit une grande coali­tion à l’al­le­mande entre le PP et le PSOE et éven­tuel­le­ment Ciuda­da­nos, soit un gouver­ne­ment mino­ri­taire du PP soute­nue ponc­tuel­le­ment par le PSOE. Dans les deux cas, la forma­tion emme­née par Pablo Igle­sias va pouvoir appa­raître comme la seule alter­na­tive possible aux deux partis du « régime de 1978 ».

A la recherche d’ex­pli­ca­tions

Dans les jours et les semaines qui viennent, les débats risquent d’être nombreux au sein de Pode­mos et d’IU pour comprendre pourquoi les résul­tats n’ont pas été aussi bons qu’es­comp­tés (tous les sondages des deux dernières semaines de campagne plaçaient la nouvelle coali­tion large­ment devant le PSOE). Pour le moment, la direc­tion de Pode­mos a choisi de repor­ter tempo­rai­re­ment la discus­sion en comman­dant une étude pour analy­ser plus fine­ment les mouve­ments de l’élec­to­rat. Il est vrai que la fuite est sérieuse : entre le 20 décembre 2015 (Pode­mos plus IU) et le 26 juin (Unidos Pode­mos) a perdu 1,1 million d’élec­teurs (de 6,1 millions de voix à 5 millions) alors que la parti­ci­pa­tion ne bais­sait que de 4 %.

Comme éléments d’ex­pli­ca­tions, on peut poin­ter le manque de cohé­rence des discours : entre les réfé­rences d’un coté à la patrie, la loi et l’ordre, et de l’autre au Parti commu­niste espa­gnol et aux marqueurs tradi­tion­nels de la gauche. Cette confu­sion dans les messages envoyés a pu créer une certaine déso­rien­ta­tion de l’élec­to­rat. Ce qui peut expliquer pourquoi une partie des votant-es tradi­tion­nels d’IU n’a pas suivi. À Madrid par exemple, alors que le 20 décembre, IU récol­tait 5,26 % des voix et Pode­mos 20,86 %, le 26 juin les deux forma­tions rassem­blées n’ont récolté que 21,23 % des suffrages pour une parti­ci­pa­tion stable. A l’in­verse, le rappro­che­ment avec IU, son imagi­naire et ses symboles (le marteau et la faucille sur les drapeaux du PCE par exemple) a pu effrayer la frange d’élec­to­rat de Pode­mos la plus modé­rée qui avait été séduite par le discours sur la trans­ver­sa­lité.

Comme autres éléments d’ex­pli­ca­tions, on peut citer la dété­rio­ra­tion de l’image de Pablo Igle­sias (jugé agres­sif et préten­tieux), la respon­sa­bi­lité de l’échec des négo­cia­tions pour former un gouver­ne­ment (le PSOE tenant Pode­mos respon­sable de cet échec), l’ab­sence d’an­crage terri­to­rial stable et le dessin de la campagne (donnant pour acté le dépas­se­ment du PSOE). Enfin, et c’est sans doute un élément central, la campagne de peur orches­tré par le PP et les prin­ci­paux médias a eu des effets beau­coup plus impor­tants que prévu. Entre le Vene­zuela, Cuba, l’ETA et en toute fin de campagne le Brexit, ajouté à la possi­bi­lité virtuelle que Unidos Pode­mos soit en capa­cité de gouver­ner, une partie de l’élec­to­rat de Pode­mos a pu prendre peur. Dans le même temps, cela a forte­ment mobi­lisé l’élec­to­rat conser­va­teur, indé­pen­dam­ment des nombreux cas de corrup­tion qui ont pu sortir sur le PP.

Les défis à venir en Espagne et en Europe

Si certains présentent le résul­tat du 26 juin comme un échec, il n’en reste pas moins qu’en un peu plus de deux ans d’exis­tence, Pode­mos, allié à IU, a réussi à mettre fin au bipar­tisme qui a struc­turé le système poli­tique espa­gnol durant les 30 dernières années. La fenêtre d’op­por­tu­nité qui s’était ouverte avec la répé­ti­tion des élec­tions est en partie refer­mée, mais la possi­bi­lité d’un gouver­ne­ment de grande coali­tion risque de redon­ner de la crédi­bi­lité au discours de Unidos Pode­mos. Comme l’ont souli­gné les diri­geants de Pode­mos le 26 juin dans la soirée, le déve­lop­pe­ment des forces progres­sistes n’est jamais linéaire. L’ac­cé­lé­ra­tion connue ces deux dernières années marque tempo­rai­re­ment le pas, mais les prochains déve­lop­pe­ments ne sont pas écrits d’avance. En interne, les trois ques­tions à régler seront : le posi­tion­ne­ment et le discours (entre radi­ca­lité et trans­ver­sa­lité), le type de rela­tions avec les autres forces progres­sistes (IU, Equo, les forces indé­pen­dan­tistes, etc.) et le fonc­tion­ne­ment interne de Pode­mos (« machine de guerre élec­to­rale » ou mouve­ment plus hori­zon­tal qui redonne du pouvoir aux struc­tures de bases du parti).

À l’échelle euro­péenne, le résul­tat en demi-teinte de Unidos Pode­mos apporte évidem­ment moins de vent dans les voiles des mouve­ments anti-austé­rité. Toute­fois, le type de campagne, les messages envoyés aussi bien que le posi­tion­ne­ment et le pari stra­té­gique de Pode­mos inter­rogent et bous­culent les habi­tudes des gauches euro­péennes. Le renou­veau, la fraî­cheur et l’au­dace du nouveau venu de la scène espa­gnole peuvent servir de point d’ap­puis pour les nombreux combats aussi bien élec­to­raux que sociaux qui se présentent en Europe et en France.

Myriam Martin et Pierre Marion

Myriam Martin et Pierre Marion repré­sen­taient Ensemble ! auprès de Unidos Pode­mos à Madrid pour les élec­tions légis­la­tives du 26 juin.

De plus sur le site natio­nal d’En­semble! , vous pour­rez trou­ver :

– une analyse de Manuel Gari, mili­tant de Pode­mos et d’An­ti­ca­pi­ta­lis­tas : https://www.ensemble-fdg.org/content/etat-espa­gnol-le-premier-contre­temps-de-pode­mos

– une analyse de Jaime Pastor mili­tant de Pode­mos et d’An­ti­ca­pi­ta­lis­tas et éditeur de Viento Sur : https://www.ensemble-fdg.org/content/etat-espa­gnol-le-regime-resiste-face-au-pari-du-chan­ge­ment

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