TRIBUNE publiée le 4 mai 2022 dans Libération
Aurélie Trouvé, Présidente du Parlement de l’Union populaire, Enseignante chercheuse en économie
La gauche est sortie du XXe siècle pour entrer enfin dans le XXIe. Les historiens futurs verront peut-être les 22 % obtenus par l’Union populaire et son candidat au premier tour de la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon, comme le moment où la crise des gauches, advenue avec la chute du mur de Berlin, a commencé à se résoudre. Le moment où la gauche a clarifié son ancrage. Non pas dans le social-libéralisme et les aménagements à la marge d’un système à bout de souffle. Mais dans une conscience partagée qu’il faut changer le système pour répondre à des défis écologiques et sociaux immenses.
Il aura fallu pour cela changer de logiciel. Trois innovations y ont contribué. Une innovation programmatique d’abord. L’Avenir en commun est le premier programme à combiner de manière aussi précise les questions sociale et environnementale. Aucun aspect du fonctionnement de nos démocraties ne lui échappe.
Inscrire une convergence dans la durée
Une innovation organisationnelle ensuite : le parlement de l’Union populaire, que je préside. Composé de près de 300 personnes à parité, pour moitié membres de La France insoumise et pour l’autre de militants associatifs, syndicaux, citoyens. Il a été un élément moteur de la campagne. Car c’est au contact des mouvements sociaux, de toutes ces femmes et hommes qui résistent de multiples façons au système capitaliste, que les idées se régénèrent, et non dans les combines d’appareils.
Le pari réussi de ce parlement est d’unir sans uniformiser, sur le modèle du « bloc arc-en-ciel » (1), avec le vert de l’écologie, le rouge des mouvements syndicaux et du communisme, le jaune des gilets et des insurrections populaires pour la démocratie, le violet du féminisme, le multicolore des luttes antiracistes. Mais c’est aussi un « bloc populaire », fort d’une colonne vertébrale politique, d’un programme et d’une stratégie en commun, en opposition frontale aux blocs de droite et d’extrême droite.
Une innovation électorale enfin : mobiliser, en plus des électorats traditionnels, les abstentionnistes, ceux de nos concitoyens qui ne votent plus car ils sont dégoûtés par des décennies de trahison politique. Loin d’être le seul produit du « vote utile », le « vote Mélenchon » marque souvent un soutien véritable au projet proposé par l’Union populaire, pour 80 % de ses électeurs selon un sondage Ipsos. Il est parvenu à agréger des fractions de l’électorat dont la convergence ne s’était jamais produite jusque-là. Nous devons désormais inscrire cette convergence dans la durée.
Rien n’est impossible
Toute l’histoire des gauches le montre, le temps politique est long. Une lutte engagée aujourd’hui ne portera peut-être ses fruits que dans quelques années. Mais elle sera décisive le moment venu. Cette « lente impatience », empruntée à Daniel Bensaïd, est décisive dans la stratégie et les pratiques militantes de l’Union populaire.
Il est pourtant des moments où le temps s’accélère, où les événements produits dans l’histoire longue s’enchaînent plus vite. C’est ce qui s’est passé au lendemain du premier tour. Celui-ci aurait pu laisser la place à la déception et la colère de tous ceux exposés à la violence du programme d’Emmanuel Macron. Mais l’immense espoir soulevé par l’Union populaire durant toute la campagne présidentielle reste intact. Mieux : il se transforme en une nouvelle aspiration, celle d’un troisième tour, pour prendre le pouvoir, celle d’imposer un gouvernement de cette gauche de rupture en installant une majorité de députés dès les 12 et 19 juin prochains. Qu’un président n’obtienne pas de majorité au Parlement au lendemain de son élection serait certes une première depuis la réforme du quinquennat en 2000. Mais la crise de nos institutions est si profonde, et la légitimité d’Emmanuel Macron si faible, que rien n’est impossible.
S’appuyer sur les mouvements sociaux
Avec l’accord passé par les différentes forces de la gauche en ce début de semaine, cette possibilité prend forme concrète. Le rassemblement que nous proposons d’opérer est l’un de ces moments où convergent des années de travail intellectuel, de réflexion programmatique, et de mobilisation des mouvements sociaux et citoyens. Ce rassemblement ne se veut pas un simple bricolage électoral. Il doit se hisser à la hauteur des attentes populaires, et marquer le tournant historique qu’exige la crise écologique, sociale et démocratique. L’Union populaire propose ainsi, aux forces sociales et politiques de gauche qui sont prêtes à la rupture avec le néolibéralisme, une méthode : se rassembler sur le socle programmatique et stratégique plébiscité par les électeurs de la gauche, et de manière pragmatique faire jouer à plein nos complémentarités. Comme le mouvement altermondialiste l’a initié, il s’agit d’articuler la diversité de nos histoires incommensurables pour lever une force puissante sur le plan électoral et, plus encore, capable de mobiliser un camp social majoritaire pour enfin changer d’avenir.
Nous sommes lucides : si nous parvenons à installer notre Premier ministre à Matignon, des vents contraires se lèveront. Les classes dominantes s’efforceront d’entraver la mise en œuvre de notre programme. Durant la campagne présidentielle face au candidat de l’Union populaire, le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, menaçait de mener une grève de l’investissement s’il venait à l’emporter.
Déjouer ces vents adverses nécessite non seulement une détermination sans faille – nous l’avons – mais aussi des mouvements sociaux puissants, capables de maintenir une forte pression, par tous les moyens. L’une des clés de cette Union populaire est là : s’appuyer sur ces mouvements sociaux, construire avec eux, tout en respectant leur autonomie, dont nous avons besoin. La Nouvelle union populaire écologique et sociale n’est pas tant un arrangement électoral qu’une recomposition profonde de la gauche et de la façon de faire de la politique.
(1) Aurélie Trouvé, le Bloc arc-en-ciel. Pour une stratégie politique radicale et inclusive, la Découverte, 2021.Élections législatives 2022La France insoumise (LFI)EELVPCFDans la même rubrique