Le Monde, 17 juillet, « Il y a des violences que l’Etat affronte et d’autres auxquelles il consent »

Fin juin, la disso­lu­tion des Soulè­ve­ments de la Terre a été décré­tée au motif des actions violentes promues ou encou­ra­gées par le mouve­ment écolo­giste. L’Etat s’ac­com­mode pour­tant bien des violences commises de longue date par les tenants de l’agri­cul­ture produc­ti­viste, rappelle dans sa chro­nique Stéphane Foucart, jour­na­liste au « Monde ».

Le Monde Stéphane Foucart Publié le 16/07/2023

Il s’agit de l’un des ensei­gne­ments à tirer des émeutes venant de secouer la France : outre quelques décla­ra­tions conve­nues, aucune « conver­gence des luttes » ne s’est opérée de manière tangible, entre la jeunesse révol­tée des quar­tiers sensibles et les tenants des Soulè­ve­ments de la Terre. S’il faut le souli­gner, c’est qu’une telle conver­gence était atten­due par certains comme la preuve a poste­riori du bien-fondé de la disso­lu­tion du réseau écolo­giste, soupçonné d’uti­li­ser la cause envi­ron­ne­men­tale comme simple prétexte à la destruc­tion de l’ordre répu­bli­cain.

Cette conver­gence n’est pas adve­nue, et la disso­lu­tion des Soulè­ve­ments de la Terre restera comme un événe­ment poli­tique majeur. Si l’on en doute, il suffit de médi­ter ce fait simple : la France est désor­mais un pays dans lequel a été déclaré illé­gal un mouve­ment dont se réclament la lauréate natio­nale du prix Nobel de litté­ra­ture, le dernier titu­laire de la chaire d’an­thro­po­lo­gie du Collège de France, des centaines d’ar­tistes, de parle­men­taires, d’en­sei­gnants, d’uni­ver­si­taires et de cher­cheurs, ainsi que des partis poli­tiques, des asso­cia­tions par ailleurs décla­rées d’uti­lité publique, des syndi­cats d’agri­cul­teurs ou de magis­trats.

Le choix de la disso­lu­tion témoigne d’abord d’une certaine imper­méa­bi­lité aux alertes de cénacles peu suspects de menées « écoter­ro­ristes ». Le 15 juin, sept rappor­teurs spéciaux des Nations unies publiaient à l’adresse de la France une aler­tes’inquié­tant d’une « tendance à la stig­ma­ti­sa­tion et à la crimi­na­li­sa­tion des personnes et orga­ni­sa­tions (…) œuvrant pour la défense des droits humains et de l’en­vi­ron­ne­ment », justi­fiant un « usage exces­sif, répété et ampli­fié de la force ».Longue liste de violences aux personnes

Un recours à la force que le gouver­ne­ment justi­fie par la violence de certains mili­tants – violence au cœur des motifs avan­cés pour dissoudre le mouve­ment. Mais, en l’es­pèce, il y a des violences que l’Etat affronte et d’autres auxquelles il consent.

Mi-juin, dans Le Point, Arnaud Rous­seau, le président de la Fédé­ra­tion natio­nale des syndi­cats d’ex­ploi­tants agri­coles (FNSEA), exigeait la mise hors circuit du réseau écolo­giste, préci­sant qu’à défaut il n’était « pas sûr de tenir long­temps [s]es troupes ». (…)

Les mots de M. Rous­seau ne sont pas des paroles en l’air. La liste est longue des violences aux personnes, des destruc­tions de bâti­ments publics, des menaces et des inti­mi­da­tions perpé­trées par les milieux de l’agri­cul­ture produc­ti­viste. Fin juin, le jour­nal en ligne Basta ! en a fait un recen­se­ment éloquent. Février 1982 (…)Février 1999 : ,(…) Novembre 2004 : Novembre 2013 : (…)Septembre 2014 :(…) Et ce n’est là qu’un petit échan­tillon.

Orches­tra­tion de l’in­di­gna­tion publique

Entre 2015 et 2022, France Nature Envi­ron­ne­ment a recensé plus d’une cinquan­taine d’agres­sions contre des membres de la fédé­ra­tion, de menaces, de dégra­da­tions maté­rielles, etc. Dernier fait d’armes : le saccage de la maison de Patrick Picaud, vice-président de l’as­so­cia­tion Nature Envi­ron­ne­ment 17, dans la Charente-Mari­time, le 22 mars, et l’agres­sion de son épouse par des mani­fes­tants de la FNSEA.

Une semaine plus tard, dans la nuit du 30 au 31 mars, le siège de l’Of­fice français de la biodi­ver­sité, à Brest (Finis­tère), était incen­dié en marge d’une mani­fes­ta­tion de pêcheurs – on cherche en vain, dans les rangs du gouver­ne­ment, une expres­sion publique de soutien aux fonc­tion­naires visés.

On cherche avec aussi peu de succès une réac­tion aux menaces de séques­tra­tion publique­ment expri­mées, fin mars, par un syndi­ca­liste agri­cole, contre Jean-Luc Algay, le maire de L’Hou­meau (Charente-Mari­time), coupable de vouloir acqué­rir des terres, autour de sa commune, pour y instal­ler un maraî­cher bio.

Il suffit d’ima­gi­ner le bouillon­ne­ment du théâtre poli­tique si des atteintes aux biens et aux personnes de cette magni­tude avaient été commises au nom de l’en­vi­ron­ne­ment, pour comprendre que ce n’est pas la violence des mili­tants écolo­gistes qui est en cause dans leur stig­ma­ti­sa­tion. C’est l’or­ches­tra­tion de l’in­di­gna­tion publique et le narra­tif poli­tique qui est tissé autour. A défaut de ce story­tel­ling, les mêmes mani­fes­ta­tions de violence semblent tout à coup ordi­naires.

(…) Alors que les violences qui défendent des inté­rêts privés peuvent paraître comme légi­times, celles qui visent à préser­ver de l’ac­ca­pa­re­ment ou de la destruc­tion des communs comme l’eau, le climat ou la biodi­ver­sité sont, au contraire, vécues comme insup­por­tables.

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