Clémen­tine Autain, Libé­ra­tion, 3 juillet, « Pour une grande marche pour la justice »

Il y a dix-huit ans, Clémen­tine Autain était à la marche deman­dant « vérité et justice » pour Zyed Benna et Bouna Traoré, élec­tro­cu­tés dans un trans­for­ma­teur après une course-pour­suite avec la police. Depuis, selon la dépu­tée de Seine-Saint-Denis, la situa­tion dans les quar­tiers popu­laires s’est aggra­vée. Alors que les insou­mis sont critiqués pour ne pas avoir assez clai­re­ment appelé au calme, elle explique souhai­ter l’apai­se­ment mais consi­dère que cela n’ar­ri­vera pas si le gouver­ne­ment se cantonne à une réponse sécu­ri­taire.

Presque une semaine après la mort de Nahel, vous commen­cez à entre­voir une sortie de crise ?

Comme l’écra­sante majo­rité de la popu­la­tion, je souhaite l’apai­se­ment. Mais quand j’en­tends Macron et le gouver­ne­ment, le pire est possible. Si l’enjeu, c’est la fin des émeutes, cela peut arri­ver vite, oui. Mais si on veut apai­ser la situa­tion pour que cela ne se repro­duise pas, il faut agir sur le fond. L’ap­pel au calme ne doit pas masquer les diver­gences de réponses poli­tiques. Nous ne voulons pas le retour à la normale, car ce qui est anor­mal c’est préci­sé­ment la situa­tion normale. Or pour l’ins­tant, la suren­chère sécu­ri­taire et le renvoi à la respon­sa­bi­lité indi­vi­duelle dominent. Cette voie est une dange­reuse impasse.

Pour vous, il faut une réforme de la police ?

C’est l’ur­gence. Les donneurs d’ordre sont en cause. La police a été encou­ra­gée dans une logique d’en­gre­nage et non de déses­ca­lade de la violence. Il faut commen­cer par abolir la loi de 2017, qui a fait treize morts en 2022. Ensuite, il faut chan­ger la doctrine du main­tien de l’ordre, mieux former les poli­ciers et en finir avec le contrôle de la police par elle-même avec l’IGPN. Samedi, j’ai discuté avec un jeune à Sevran qui me racon­tait qu’il était ressorti d’une garde à vue abusive avec cinq points de suture. Je lui ai dit de dépo­ser plainte. Il m’a répondu : « A la police ? » Enfin, comme nous le propo­sons depuis des lustres, il faut réin­ves­tir dans une police de proxi­mité et mettre en place le récé­pissé lors des contrôles d’iden­tité. Une culture de la peur est entre­te­nue par l’im­pu­nité au sommet de l’Etat.

Il faut aussi des mesures sociales propres aux banlieues ? Lesquelles ?

On accorde à ces quar­tiers quatre fois moins de moyens qu’ailleurs. En Seine-Saint-Denis, l’Etat met moins d’argent que dans tous les autres dépar­te­ments, indé­pen­dam­ment de la situa­tion sociale de ses habi­tants. L’ex­trême droite passe son temps à dire qu’on y déverse des sommes colos­sales mais c’est archi faux. Il y a eu quelques rustines, mais pas de chan­ge­ment réel. Même le plan Borloo, en 2018, a été mis à la poubelle ! La respon­sa­bi­lité de ces émeutes incombe au pouvoir qui a laissé la situa­tion pour­rir. Qu’ont-ils fait depuis la mort de Zyed et Bouna en 2005 ? Les inéga­li­tés se sont aggra­vées, la pauvreté a explosé, les services publics se sont dété­rio­rés.

Comment peut-on casser les ghet­tos ?

Il va falloir s’at­taquer aux ghet­tos de riches pour résor­ber les ghet­tos de pauvres. Aujourd’­hui, on a des maires délinquants qui n’ap­pliquent pas la loi SRU impo­sant un taux de 25 % de loge­ments sociaux, notam­ment en Paca ou dans les Hauts-de-Seine. Ces villes riches sont dans une logique sépa­ra­tiste, ce sont eux les anti­ré­pu­bli­cains. En dix ans, on peut créer de la mixité sociale si on y met les moyens. Cela rejoint d’ailleurs les reven­di­ca­tions portées par les gilets jaunes en matière d’éga­lité entre les terri­toires et de services publics. Ce volon­ta­risme doit s’ac­com­pa­gner d’une lutte contre les inéga­li­tés sociales avec la taxa­tion des profits, la hausse des bas salaires et des minima sociaux, une réforme de la fisca­lité, etc.

Jusqu’ici, vous déplo­rez donc la façon dont le Président gère la crise ?

Le deuxième soir des émeutes, il était au concert d’El­ton John. Son côté « hors sol » atteint des niveaux stra­to­sphé­riques… Il se prend pour un intel­lec­tuel mais c’est le café du commerce. Par exemple, le lien entre jeux vidéo et violence est contre­dit par les études en sciences sociales. Quant à la respon­sa­bi­lité des parents, le gouver­ne­ment ne peut faire fi du contexte. On parle souvent de familles mono­pa­ren­tales, précaires, épui­sées par un métier haras­sant, angois­sées par les fins de mois et même les débuts. L’aide à la paren­ta­lité est d’ailleurs un angle mort des poli­tiques publiques. On a besoin de struc­tures qui permettent à d’autres adultes de prendre le relais éduca­tif.

Vous avez évoqué les émeutes de 2005, vous vous souve­nez de votre regard sur la situa­tion ?

J’ai le souve­nir d’avoir parti­cipé à la seule mani­fes­ta­tion poli­tique qui avait eu lieu place Saint-Michel, à Paris, avec bien peu de monde. Pour tenir la bande­role il n’y avait que des femmes : Chris­tiane Taubira, Arlette Laguiller et moi. Sans doute pas un hasard devant une spirale très viri­liste. Vous avez remarqué que ce sont des hommes qui tirent, des hommes qui mettent le feu, des hommes qui meurent ? A l’époque, les partis de gauche étaient extrê­me­ment frileux à dire qu’il fallait comprendre ce qu’il se passait pour prendre le mal à la racine. Près de vingt ans plus tard, le chan­ge­ment est énorme et c’est posi­tif. On insiste beau­coup sur les diffé­rences de discours à gauche mais il y a en fait une homo­gé­néi­sa­tion. L’idée de Manuel Valls, selon laquelle « expliquer c’est excu­ser », a tota­le­ment reculé. Face à la rage destruc­trice qui s’ex­prime, toute la Nupes avance des solu­tions de justice, de refonte d’une police répu­bli­caine, de partage des richesses, de démo­cra­tie.

Vous refu­sez l’idée selon laquelle ces émeutes sont la mani­fes­ta­tion d’une forme de séces­sion citoyenne ?

Quelle est la conclu­sion de cette idée ? On exclut encore plus ? Que les hyper­riches et les gouver­nants s’oc­cupent de leur propre séces­sion et du respect de l’Etat de droit. Qu’ils commencent par montrer l’exemple du respect des prin­cipes répu­bli­cains !

Les émeu­tiers sont-ils essen­tiel­le­ment mus par des reven­di­ca­tions poli­tiques ? Brûler une école, c’est poli­tique ?

Martin Luther King disait qu’une émeute est le langage de ceux qui n’en ont pas. Il faut se deman­der pourquoi ils ne trouvent pas d’autres biais d’expres­sion de leur colère. L’une des respon­sa­bi­li­tés incombe à ceux qui ont massa­cré la démo­cra­tie dans notre pays. Quand toutes les mani­fes­ta­tions paci­fiques ont été mépri­sées, quand les dépu­tés ont été privés de vote, quand les syndi­cats sont igno­rés, comment donner aux jeunes des leçons de bonne conduite démo­cra­tique ? Et s’il n’y a pas de mot d’ordre, cette rage destruc­trice est le symp­tôme d’une société malade. Quand de si jeunes s’at­taquent aux symboles de l’Etat, c’est signi­fiant sur le rejet des insti­tu­tions. Quant aux pillages, c’est un symp­tôme de la vie deve­nue si chère et le signe de la frus­tra­tion d’une popu­la­tion qui se sent écar­tée de la jouis­sance consu­mé­riste.

Agres­ser des gens, c’est poli­tique ?

Quand un maire est attaqué chez lui avec sa femme et ses enfants, c’est inac­cep­table, choquant, into­lé­rable.

Peut-on tolé­rer les pillages et les destruc­tions quand les premières victimes sont les gens qui vivent dans ces mêmes quar­tiers ?

J’ai passé le week-end en circons­crip­tion. La tris­tesse est immense de voir des jeunes mettre le feu à des bâti­ments publics, à des centres commer­ciaux. J’ai vu des mères pleu­rer devant le saccage de leurs lieux de vie. Personne ne souhaite un pays en feu, avec des dégâts qui vont d’abord peser sur les plus fragiles.

La France insou­mise est accu­sée de ne pas avoir appelé au calme. Y compris vos parte­naires de la Nupes sont mal à l’aise. Pouvez-vous, vous, appe­ler au calme ?

Je souhaite le calme et pour y arri­ver, il faut la justice. A LFI, mouve­ment paci­fiste, la condam­na­tion de la violence est unanime. L’ex­trême droite, Eric Ciotti et la macro­nie utilisent une stra­té­gie bien connue : la meilleure défense, c’est l’at­taque. Si le retour au calme, c’est la mise au pas sans chan­ge­ment dans la police, sans actes pour l’éga­lité, nous irons dans le mur. Le débat ce n’est pas « veut-on apai­ser la société ? » mais « comment y arrive-t-on ? » Dans ce tumulte, nous avons le devoir de faire cause commune à gauche. En 1983, après les émeutes du quar­tier des Minguettes, à Vénis­sieux, il y a eu la marche pour l’éga­lité et contre le racisme, dite « marche des beurs », enclen­chant un mouve­ment au long cours qui a marqué la société tout entière. Je pense que le moment est venu d’ini­tier une grande marche pour la justice, qui pour­rait partir de Nanterre.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.