Il y a dix-huit ans, Clémentine Autain était à la marche demandant « vérité et justice » pour Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés dans un transformateur après une course-poursuite avec la police. Depuis, selon la députée de Seine-Saint-Denis, la situation dans les quartiers populaires s’est aggravée. Alors que les insoumis sont critiqués pour ne pas avoir assez clairement appelé au calme, elle explique souhaiter l’apaisement mais considère que cela n’arrivera pas si le gouvernement se cantonne à une réponse sécuritaire.
Presque une semaine après la mort de Nahel, vous commencez à entrevoir une sortie de crise ?
Comme l’écrasante majorité de la population, je souhaite l’apaisement. Mais quand j’entends Macron et le gouvernement, le pire est possible. Si l’enjeu, c’est la fin des émeutes, cela peut arriver vite, oui. Mais si on veut apaiser la situation pour que cela ne se reproduise pas, il faut agir sur le fond. L’appel au calme ne doit pas masquer les divergences de réponses politiques. Nous ne voulons pas le retour à la normale, car ce qui est anormal c’est précisément la situation normale. Or pour l’instant, la surenchère sécuritaire et le renvoi à la responsabilité individuelle dominent. Cette voie est une dangereuse impasse.
Pour vous, il faut une réforme de la police ?
C’est l’urgence. Les donneurs d’ordre sont en cause. La police a été encouragée dans une logique d’engrenage et non de désescalade de la violence. Il faut commencer par abolir la loi de 2017, qui a fait treize morts en 2022. Ensuite, il faut changer la doctrine du maintien de l’ordre, mieux former les policiers et en finir avec le contrôle de la police par elle-même avec l’IGPN. Samedi, j’ai discuté avec un jeune à Sevran qui me racontait qu’il était ressorti d’une garde à vue abusive avec cinq points de suture. Je lui ai dit de déposer plainte. Il m’a répondu : « A la police ? » Enfin, comme nous le proposons depuis des lustres, il faut réinvestir dans une police de proximité et mettre en place le récépissé lors des contrôles d’identité. Une culture de la peur est entretenue par l’impunité au sommet de l’Etat.
Il faut aussi des mesures sociales propres aux banlieues ? Lesquelles ?
On accorde à ces quartiers quatre fois moins de moyens qu’ailleurs. En Seine-Saint-Denis, l’Etat met moins d’argent que dans tous les autres départements, indépendamment de la situation sociale de ses habitants. L’extrême droite passe son temps à dire qu’on y déverse des sommes colossales mais c’est archi faux. Il y a eu quelques rustines, mais pas de changement réel. Même le plan Borloo, en 2018, a été mis à la poubelle ! La responsabilité de ces émeutes incombe au pouvoir qui a laissé la situation pourrir. Qu’ont-ils fait depuis la mort de Zyed et Bouna en 2005 ? Les inégalités se sont aggravées, la pauvreté a explosé, les services publics se sont détériorés.
Comment peut-on casser les ghettos ?
Il va falloir s’attaquer aux ghettos de riches pour résorber les ghettos de pauvres. Aujourd’hui, on a des maires délinquants qui n’appliquent pas la loi SRU imposant un taux de 25 % de logements sociaux, notamment en Paca ou dans les Hauts-de-Seine. Ces villes riches sont dans une logique séparatiste, ce sont eux les antirépublicains. En dix ans, on peut créer de la mixité sociale si on y met les moyens. Cela rejoint d’ailleurs les revendications portées par les gilets jaunes en matière d’égalité entre les territoires et de services publics. Ce volontarisme doit s’accompagner d’une lutte contre les inégalités sociales avec la taxation des profits, la hausse des bas salaires et des minima sociaux, une réforme de la fiscalité, etc.
Jusqu’ici, vous déplorez donc la façon dont le Président gère la crise ?
Le deuxième soir des émeutes, il était au concert d’Elton John. Son côté « hors sol » atteint des niveaux stratosphériques… Il se prend pour un intellectuel mais c’est le café du commerce. Par exemple, le lien entre jeux vidéo et violence est contredit par les études en sciences sociales. Quant à la responsabilité des parents, le gouvernement ne peut faire fi du contexte. On parle souvent de familles monoparentales, précaires, épuisées par un métier harassant, angoissées par les fins de mois et même les débuts. L’aide à la parentalité est d’ailleurs un angle mort des politiques publiques. On a besoin de structures qui permettent à d’autres adultes de prendre le relais éducatif.
Vous avez évoqué les émeutes de 2005, vous vous souvenez de votre regard sur la situation ?
J’ai le souvenir d’avoir participé à la seule manifestation politique qui avait eu lieu place Saint-Michel, à Paris, avec bien peu de monde. Pour tenir la banderole il n’y avait que des femmes : Christiane Taubira, Arlette Laguiller et moi. Sans doute pas un hasard devant une spirale très viriliste. Vous avez remarqué que ce sont des hommes qui tirent, des hommes qui mettent le feu, des hommes qui meurent ? A l’époque, les partis de gauche étaient extrêmement frileux à dire qu’il fallait comprendre ce qu’il se passait pour prendre le mal à la racine. Près de vingt ans plus tard, le changement est énorme et c’est positif. On insiste beaucoup sur les différences de discours à gauche mais il y a en fait une homogénéisation. L’idée de Manuel Valls, selon laquelle « expliquer c’est excuser », a totalement reculé. Face à la rage destructrice qui s’exprime, toute la Nupes avance des solutions de justice, de refonte d’une police républicaine, de partage des richesses, de démocratie.
Vous refusez l’idée selon laquelle ces émeutes sont la manifestation d’une forme de sécession citoyenne ?
Quelle est la conclusion de cette idée ? On exclut encore plus ? Que les hyperriches et les gouvernants s’occupent de leur propre sécession et du respect de l’Etat de droit. Qu’ils commencent par montrer l’exemple du respect des principes républicains !
Les émeutiers sont-ils essentiellement mus par des revendications politiques ? Brûler une école, c’est politique ?
Martin Luther King disait qu’une émeute est le langage de ceux qui n’en ont pas. Il faut se demander pourquoi ils ne trouvent pas d’autres biais d’expression de leur colère. L’une des responsabilités incombe à ceux qui ont massacré la démocratie dans notre pays. Quand toutes les manifestations pacifiques ont été méprisées, quand les députés ont été privés de vote, quand les syndicats sont ignorés, comment donner aux jeunes des leçons de bonne conduite démocratique ? Et s’il n’y a pas de mot d’ordre, cette rage destructrice est le symptôme d’une société malade. Quand de si jeunes s’attaquent aux symboles de l’Etat, c’est signifiant sur le rejet des institutions. Quant aux pillages, c’est un symptôme de la vie devenue si chère et le signe de la frustration d’une population qui se sent écartée de la jouissance consumériste.
Agresser des gens, c’est politique ?
Quand un maire est attaqué chez lui avec sa femme et ses enfants, c’est inacceptable, choquant, intolérable.
Peut-on tolérer les pillages et les destructions quand les premières victimes sont les gens qui vivent dans ces mêmes quartiers ?
J’ai passé le week-end en circonscription. La tristesse est immense de voir des jeunes mettre le feu à des bâtiments publics, à des centres commerciaux. J’ai vu des mères pleurer devant le saccage de leurs lieux de vie. Personne ne souhaite un pays en feu, avec des dégâts qui vont d’abord peser sur les plus fragiles.
La France insoumise est accusée de ne pas avoir appelé au calme. Y compris vos partenaires de la Nupes sont mal à l’aise. Pouvez-vous, vous, appeler au calme ?
Je souhaite le calme et pour y arriver, il faut la justice. A LFI, mouvement pacifiste, la condamnation de la violence est unanime. L’extrême droite, Eric Ciotti et la macronie utilisent une stratégie bien connue : la meilleure défense, c’est l’attaque. Si le retour au calme, c’est la mise au pas sans changement dans la police, sans actes pour l’égalité, nous irons dans le mur. Le débat ce n’est pas « veut-on apaiser la société ? » mais « comment y arrive-t-on ? » Dans ce tumulte, nous avons le devoir de faire cause commune à gauche. En 1983, après les émeutes du quartier des Minguettes, à Vénissieux, il y a eu la marche pour l’égalité et contre le racisme, dite « marche des beurs », enclenchant un mouvement au long cours qui a marqué la société tout entière. Je pense que le moment est venu d’initier une grande marche pour la justice, qui pourrait partir de Nanterre.