La Confédération Paysanne organisait un débat public jeudi 12 mai 2016 sur le thème provocateur : « sans éleveur, un monde meilleur ? »
Nous tentons ici un compte rendu en deux parties de cette soirée qui a parlé d’élevage et de véganisme mais, plus étonnamment, beaucoup de la mort et du travail.
L’oratrice invitée par la Conf était Jocelyne Porcher qui est actuellement zootechnicienne et sociologue à l’INRA. Ses recherches portent sur la relation de travail entre humains et animaux
À travers l’exposé de l’oratrice il s’agissait de mettre des mots sur des choses pas si claires que ça dans nos esprits. Elle fit brillament œuvre d’éducation populaire. Voici ce que nous en avons retenu.
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Entre poursuite de l’industrialisation et agriculture sans élevage
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Jocelyne Porcher commença par un rappel historique d’épisodes inconnus et surprenants.
L’élevage industrielle date du milieu du XIX° siècle. On passe d’une société paysanne à un capitalisme industriel. La zootechnique, la science donc, prend en main l’élevage au milieu du XIX° siècle : on passe d’un partenariat avec l’animal (on en mange peu à l’époque car l’animal travaille et sert le travail) a un rapport d’exploitation d’une « ressource », au même titre que le minerai dans les mines. Le rapport à la nature devient celui d’une exploitation, de la création d’une « machine animale » pour produire du profit. Les vétérinaires sont inventés, construisent leur profession à cette époque-là, contre les maréchaux-ferrant qui faisait un travail très personnalisé pour chaque animal.
Chaque maillon de la chaîne paysanne est sommé de produire du profit. C’est à cette époque que sont créées les écoles d’agronomie. Le paysan devient un opérateur entre les mains des ingénieurs scientifiques. La société de l’époque change les jeunes. Il se crée un rapport de domination entre le paysan et le vétérinaire qui devient le monsieur scientifique avec un statut supérieur aux paysans. Il se crée également un rapport d’extériorité avec l’animal qui casse le rapport antérieur de proximité avec l’animal. La zootechnique pour sa part cherchent à enlever le temps improductif des paysans.
Il y a alors des essais de concentration d’animaux mais il a bien trop de mortalité pour que cela soit rentable. L’idéologie est là mais il manque des outils. La guerre apportera les antibiotiques qui sont la clé de la concentration des systèmes industriels d’élevage.
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Aujourd’hui
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L’idéologie que décrit Jocelyne Porcher existait depuis 100 ans ce qui explique que sa réalisation après guerre fut si rapide. Les cadres de pensée étaient prêts pour que les systèmes de production industriel de l’élevage se mettent en place.
Au passage, et ce n’est pas un détail, la rationalisation porcine par exemple, a fait disparaître de nombreuses races.
La rationalisation dans les années 1960, 1970 passe par le chronométrage qui taylorise le travail paysan, sur le modèle de l’usine. C’est un système dominant qui écrase tous les autres modèles. Cela génère énormément de souffrance des personnes.
A partir des années 1980 ce modèle s’impose idéologiquement à la société et aux paysans. En même temps émerge une critique du traitement des animaux, de la défense du bien être animal.
Il a existé dès le départ des résistances, au XIX° siècle mais les paysans, au contraire des scientifiques, écrivent peu de livres et on n’a donc peu de témoignages.
Il a existé le même phénomène pour l’artisanat avec l’imposition du métier à tisser. La contestation fut matée en Angleterre par de nombreuses pendaisons.
Les personnes résistaient à la modernité, à la productivité. Ils savaient que le monde qui apparaissait ils n’en voulait pas. Aujourd’hui encore, si on ne connaît pas le futur qu’on nous prépare, on sent qu’on n’en veut pas.
Les paysans ont été dépossédés du travail mais deviennent également dépossédés des animaux.
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Véganisme et tendances
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Jocelye Porcher informa que récemment est apparue l’idée d’une agriculture sans élevage. C’est une idée qui naît de la morale, qui demande un changement de statut de l’animal pour lui donner un statut de personne. Cela est porté par des associations abolitionnistes comme « L214 » qui cherchent à changer la loi et les comportements. La mort des animaux est au cœur du débat.
Il existe des expériences qui ont redonné leur liberté aux animaux domestiques. Mais ces animaux libres deviennent aussitôt des nuisibles pour l’agriculture.
Les quelques animaux domestiqués, hormis le chien, ne sont pas des prédateurs et ont un intérêt à vivre près des humains.
Il existe un lait de soja, et autres substitut comme les produits « vegans » essentiellement constitués de soja comme le « poulet sans poulet », qui offrent des protéines végétales. Les start-up qui produisent ça sont soutenues par les grandes sociétés comme Microsoft. Les associations abolitionnistes ont beaucoup d’argent et des agences de communication performantes.
Il existe des projets d’animaux in vitro pour en produire en grande quantité. Mais aujourd’hui cela coûte très cher ce qui freinent le développement de cette technique. Il n’en reste pas moins que la fabrication in vitro est la suite du « rêve » (cauchemar) de la zootechnique du XIX° siècle. Les abolitionnistes sont partisans de cette viande et d’ailleurs beaucoup d’entreprises qui financent les abolitionnistes financent ces animaux in vitro.
Tout ces produits « vegans » entrent dans le marché. Ils sont devenus la modernité, en concurrence avec l’agriculture industrielle qui n’a pas d’avenir. Le point commun entre ces deux modèles reste le fonctionnement du capitalisme qui considère que tout doit être source de profit.
Sur le végétarisme, Jocelybe Porcher déclare qu’il se pare de moral mais, sans mangeur de viande, il n’y aurait pas d’élevage et donc pas de fromage, pas d’œufs, pas de miel.
Le véganisme est différent du végétarisme. C’est une position politique alors que le végétalisme est un choix alimentaire. Le véganisme vise à changer la société avec une visée qui se prétend émancipatrice alors qu’à son avis elle produira l’inverse.
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L’animal travaille
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Jocelyne Porcher travaille actuellement sur trois pistes :
– Quelle place philosophique de la mort des animaux ?
– Un abattoir mobile comme alternative aux abattoirs, grands et petits car même les petits cherchent à fonctionner comme des grands.
– est-ce que les animaux travaillent ?
Elle travaille avec Christophe Dejours, inventeur de la psychodynamique du travail, qui fait référence sur le sujet du travail et à qui ont a beaucoup fait appel pour comprendre la souffrance au travail.
Les animaux sont des acteurs ce qui veut dire que les animaux ont une marge de liberté. Ils travaillent donc puisqu’ils engagent sa subjectivité pour faire face à une tâche encadrée par des contraintes, selon la définition du travail par C. Dejours. Travailler c’est investir son affectivité pour produire une valeur d’usage.
La conception du travail qu développe Jocelyne Porcher est clairement marxiste c’est à dire que le travail sert à l’émancipation. Le travail c’est le vecteur de la transformation du monde, pas seulement les humains mais aussi les animaux.
Les deux piliers de la vie, selon CDejours, sont l’amour et le travail. L’amour, on ne maîtrise rien, alors que le travail peut être sécurisé, par exemple par la Sécu, le droit du travail… D’ailleurs le Medef a bien lu cette critique du travail quand il déclare : « l’amour est précaire, le travail doit l’être aussi ».
Jocelyne Porcher propose d’ouvrir la définition du travail humain au travail animal.
Pour plus de développement sur le travail nous ne serions trop vous recommander les livres et articles de Christophe Dejours. Que nous résumons très mal ici.
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En guise de conclusion
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À travers le travail animal le public a assisté lors de cette soirée de la Confédération Paysanne à une remise en cause salutaire de la définition en vigueur du travail ainsi que du capitalisme réellement existant.
Jocelyne Porcher parle constructions idéologiques et moyens de production : la réalité devient compréhensible.
Il nous semble que la conception de la modernité et du progrès de Jocelyne Porcher s’inspire des « thèses de la conception de l’histoire » de Walter Benjamin qu’avait si brilamment commenté Daniel Bensaïd.
W. Benjamin disait : « Il existe un tableau de Klee qui s’intitule Angelus Novus. Il représente un ange qui semble avoir pour dessein de s’éloigner du lieu où il se tient immobile. Ses yeux sont écarquillés, sa bouche ouverte, ses ailes déployées. Tel est l’aspect que doit avoir nécessairement l’ange de l’histoire. Il a le visage tourné vers le passé. Là où se présente à nous une chaîne d’événements, il ne voit, lui, qu’une seule et unique catastrophe, qui ne cesse d’amonceler ruines sur ruines et les jette à ses pieds. Il voudrait bien s’attarder, réveiller les morts et rassembler les vaincus. Mais du paradis souffle une tempête qui s’est prise dans ses ailes, si forte que l’ange ne les peut plus refermer. Cette tempête le pousse incessamment vers l’avenir auquel il tourne le dos, pendant que jusqu’au ciel devant lui s’accumulent les ruines. Cette tempête est ce que nous appelons le progrès. »
Pascal C
La suite du compte rendu est ICI
Merci à REVE86 pour ce compte rendu bien détaillé de cette rencontre de Chauvigny organisée par la Confédération Paysanne. Les débats ont été très courtois mais ils ne font que commencer sur l’opportunité d’élever des animaux pour les manger… Mais les 7 milliards d’habitants de notre planète peuvent-ils se passer de cet apport de protéines ? Si oui qu’elles autres alimentations possibles pour notre survie?
J Luc Herpin