Voici ci dessous un article de Mediapart sur un fichage de militant.es à Poitiers, par d’autres militants. Je me permets de le retranscrire intégralement, nos camarades de la GES, Valérie Soumaille et Vincent Huet y étant interviewés. Le sont aussi Robbin Plantet, Gabin Plantet et Jason Valente de « Poitou Populaire », et d’autres.
PB, 6–5–2023
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Études, positions politiques, profil… : des militants de La France insoumise ont collecté des informations
sur certains de leurs « camarades » signataires d’une tribune critique de la gestion de l’affaire
Quatennens. La Cnil et le comité de respect des principes de LFI ont été saisis.
Mathieu Dejean – 5 mai 2023 à 15h19
C’ était une manifestation contre la réforme des retraites comme une autre, le 10 avril à Poitiers (Vienne).
Robbin et Gabin Plantet, anciens membres des Jeunes Insoumis, partis pour des désaccords sur la gestion
de l’affaire Adrien Quatennens quelques mois plus tôt, avaient retrouvé quelques camarades autour d’un verre en
fin de défilé, dont Karl* (prénom modifié), un sympathisant récemment rencontré.
La conversation tourne autour des déchirements qui minent le mouvement insoumis. Localement, la guerre
froide entre « pro » et « anti-Quatennens » a laissé des traces. C’est là que Karl percute. Il avait déjà croisé les
noms des frères Plantet dans un « fichier » reçu par courriel, dans la liste de diffusion d’un groupe d’action (GA)
insoumis. Il le transfère à Gabin Plantet, interloqué. « J’étais subjugué, c’était à la fois irréel et incongru », se
souvient-il.
Le document PDF de cinq pages, consulté par Mediapart, analyse les profils des signataires d’une tribune publiée
par Le Monde, dans laquelle des militant·es de la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes)
réclamaient l’exclusion d’Adrien Quatennens, en décembre 2022.
« Crypto-stalinisme » et « gauchisme décomposé »
Après un tour d’horizon national superficiel – nombre de signataires se revendiquant explicitement de La France
insoumise (LFI) ou se réclamant des Jeunes Insoumis (qui étaient en pointe dans la contestation), etc. –, les
portraits de quinze militant·es de la Vienne sont passés au peigne fin : prénoms, noms, antécédents politiques,
affiliations syndicales, activité sur les réseaux sociaux, liens familiaux, photos… Le ton est souvent moqueur.
L’ancienne candidate LFI aux élections législatives de 2022 Valérie Soumaille, « ex-LCR » (Ligue communiste
révolutionnaire), « ex-NPA » (Nouveau Parti anticapitaliste), « présente tous les traits du crypto-stalinisme et du
gauchisme décomposé », y lit-on. Les « manœuvres bureaucratiques » d’un autre candidat aux législatives dans une
circonscription voisine, Jason Valente, sont raillées. Quant à Gabin Plantet, il « semble aimer la lumière autant
qu’un panneau photovoltaïque », selon un propos rapporté par « le jeune animateur d’un GA avec qui il s’affronte »
– ce qui suggère que les informations collectées ont bénéficié de divers contributeurs.
L’existence de ce fichier, rapidement transmis aux premiers intéressés, les a sidérés. « On peut avoir des
discussions houleuses entre nous, mais le fichage, c’est passer un cap. Comment peut-on avoir recours à cette méthode
digne de l’extrême droite, entre organisations de gauche qui sont censées se battre pour une cause commune ? »,
s’interroge Gabin. « Jusqu’où le fichage est-il poussé ? Plein de questions se posent », abonde son frère, Robbin,
inquiet de voir par exemple que son domaine d’étude est indiqué.
Pour ce qui est de l’origine de la démarche, leurs regards se tournent vers le Parti ouvrier indépendant (POI),
proche de LFI. Au niveau national, ce petit parti héritier de l’Organisation communiste internationaliste (OCI), le
courant trotskiste lambertiste où a débuté Jean-Luc Mélenchon, s’est illustré par sa défense acharnée du député
du Nord (lire par exemple cet article ; Regards s’en était fait l’écho). Le jargon militant utilisé dans le fichier (le
terme « pabliste », le courant trotskiste historiquement opposé au courant lambertiste, revient comme un
anathème) et l’insistance sur le dénigrement des publications d’Informations ouvrières (le journal du POI)
confortent cette hypothèse.
Surtout, des échanges de mails entre militant·es, interceptés par les « fiché·es » et consultés par Mediapart,
témoignent de l’implication de membres et de sympathisants du POI. Le référent local de ce parti, Christophe
Massé (qui intervenait à ce titre dans un meeting de la Nupes en mai 2022), est à l’origine d’un second document
de tonalité semblable transmis par mail le 28 janvier 2023 à une « adhérente du POI » (c’est ainsi qu’il la désigne)
et à une sympathisante (« [elle] se rapproche de nous », écrit-il à son sujet).
Ce document est « centralisé nationalement », précise Christophe Massé dans son mail, et s’intitule : « Quelques
éléments sur les conséquences de la crise du PG [Parti de gauche – ndlr] dans la Vienne. »
Il relate les démissions de militant·es du PG à la suite de l’annonce de l’exclusion d’Adrien Quatennens de ce parti.
Les soutiens de Jason Valente sont qualifiés d’« agents crypto-staliniens et autres pablistes » et le profil de son
directeur de campagne, Vincent Huet, militant à la Gauche écosocialiste (GES), est détaillé.
« C’est grotesque, mais c’est surtout honteux », commente Vincent Huet, informé du contenu des deux documents.
« Ces quinze militants sont fichés parce qu’ils partagent une critique étayée, selon des modalités diverses, de la façon
dont l’affaire Quatennens a été traitée en interne. La démarche est présentée comme une pseudo-enquête
sociologique, mais les enquêtés ne sont pas volontaires, c’est donc une opération de basse police », estime-t-il.
C’est la sympathisante du POI précédemment évoquée qui a transmis par mail à son groupe d’action de LFI, le 1
janvier 2023, le fichier des quinze militant·es critiques (« Je vous joins [l’analyse des signataires – ndlr] mais je
crois qu’elle ne doit pas être diffusée largement », écrivait-elle). Contactée par Mediapart, elle n’a pas souhaité
s’expliquer sur cet envoi ni sur l’origine du fichier.
« Nous n’entrons pas dans cette polémique. Je suis accusé d’être l’auteur de ce fichier, on me dit que je fais un travail
de policier. Je démens les allégations dont je suis l’objet », déclare pour sa part Christophe Massé, attendant
« tranquillement un retour » des instances saisies, et notant « précieusement » notre contact.
La France insoumise aux prises avec le « gaz »
Après avoir été informées, les quinze personnes ciblées (dont certaines ont quitté LFI après l’affaire Quatennens)
ont en effet déposé plainte auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), pour
« collecte et diffusion déloyales d’informations personnelles, politiques, syndicales ».
Elles ont aussi saisi le comité de respect des principes (CRP) de LFI, qui a accusé réception de leur courrier le
27 avril. La députée LFI référente de la Vienne, Clémence Guetté, prévenue, a également demandé à être entendue
par le CRP à ce sujet, pour avis.
Sollicité par Mediapart, le CRP affirme qu’il « pourra prendre des décisions une fois une enquête interne menée,
incluant l’écoute des différents protagonistes ». Il précise que LFI « a d’ores et déjà pris contact avec la direction
nationale du POI pour lui suggérer de se saisir lui aussi, en interne, de cette question ».
Enfin, le secrétariat de la Gauche écosocialiste (GES), un petit parti dont plusieurs fiché·es sont membres, a écrit
un courrier à la coordination des espaces de LFI, dont il est partenaire. La GES dénonce une « pratique illégale »,
qui « relève des méthodes de [ses] pires adversaires et de la police », et demande que les personnes qui en sont à
l’origine n’exercent plus aucune responsabilité au sein du mouvement. « C’est surréaliste, surprenant, et un peu
effrayant. La GES a estimé ça inapproprié – pour utiliser un euphémisme – entre camarades », confirme Hendrik
Davi, député LFI membre de la GES.
Joint par Mediapart, Manuel Bompard, coordinateur des espaces de LFI, confirme avoir été informé et avoir
encouragé à saisir le CRP : « Bien évidemment, LFI est opposée à toute forme de fichage politique », ajoute-t-il.
Ces premiers éléments de réponse rassurent Valérie Soumaille : « Ça va laisser des traces, mais au niveau de LFI,
les choses semblent être prises en compte au niveau national. C’est un signe positif. On a bon espoir de pouvoir
fonctionner avec des camarades dont on n’aura pas à se méfier, et qu’il soit rappelé à certains que ces pratiques ne
sont pas admissibles. C’est le plus important du point de vue de l’image de LFI, et des principes qu’elle défend en son
sein. »
Cette affaire intervient dans des circonstances particulières, alors que LFI cherche à se structurer localement.
Dans les semaines qui viennent, des « boucles départementales » vont être mises en place au sein du
mouvement, avec des élections de responsables locaux à différents postes : communication, finances, relations
avec les partis de la Nupes…
Dans la Vienne, ceux qui sont restés à LFI espèrent que le nécessaire sera fait pour que les personnes mises en
cause ne puissent pas candidater. Dans une organisation « gazeuse » comme LFI, un parti aussi historiquement
structuré que le POI peut facilement s’imposer aux postes stratégiques. « C’est un acte de déloyauté trop grave,
c’est allé trop loin pour qu’on puisse bosser sereinement avec eux dans le cadre de la boucle », explique Vincent
Huet.
Si cette déclinaison de la crise interne suscitée par l’affaire Quatennens a un caractère local, elle témoigne des
tensions plus larges qui traversent LFI. Pendant des mois, au niveau national, un affrontement a opposé la garde
rapprochée de Jean-Luc Mélenchon, arc-boutée sur la défense d’Adrien Quatennens et souhaitant son prompt
retour à LFI, à des personnalités plus critiques comme les députées Clémentine Autain et Pascale Martin, qui ont
jugé que le mouvement n’avait pas été à la hauteur de ses engagements féministes dans la gestion de cette
affaire.
Le POI, aligné sur la position du premier cercle de Jean-Luc Mélenchon, a fait partie des belligérants en
participant, à travers son journal notamment, à une campagne musclée contre les militantes féministes qui
plaidaient pour l’exclusion du député du Nord (Sandrine Rousseau en a par exemple fait les frais), ou qui
jugeaient que les dirigeants de LFI n’avaient pas été assez fermes.
« Dans un mouvement “gazeux”, il suffit d’avoir l’aval des bonnes personnes, et vous avez le droit de tout
faire. »
Un conseiller national du Parti de gauche
Pour les militant·es insoumis·es ou ex-insoumis·es de la Vienne, le « fichage » dont ils ont fait l’objet serait donc
l’effet d’un excès de « zèle » des militant·es du POI, légitimé·es par le noyau dur mélenchoniste.
Ils affirment que le POI profite du manque de structuration de LFI pour peser sur la ligne, au-delà de la Vienne.
« Le POI a un rôle énorme dans la diffusion, parmi toutes les sphères militantes de LFI, d’une ligne de défense de
Quatennens, qui a mis très en difficulté le mouvement », estime ainsi Claire Schweitzer, conseillère régionale LFI
des Pays de la Loire, membre de la GES, qui a eu maille à partir, elle aussi, avec le POI (elle avait saisi le CRP à ce
sujet cet été).
« C’est une erreur importante d’avoir fait entrer à ce point le POI dans notre organisation. Ce fichage est une réponse
à ceux qui se sont rebellés en interne, même si cette réponse déborde la volonté initiale du noyau dirigeant »,
analyse Jason Valente, qui a quitté LFI pour fonder « Poitou populaire ». « Dans un mouvement “gazeux”, il suffit
d’avoir l’aval des bonnes personnes, et vous avez le droit de tout faire », regrette aussi un conseiller national du
Parti de gauche (PG), informé de la situation. Selon lui, cette affaire s’inscrit dans une série de « retours de bâton »
dont le PG fait aussi l’objet, depuis son communiqué actant l’exclusion d’Adrien Quatennens.
La même source constate que depuis que le PG est en délicatesse avec la ligne mélenchoniste, le POI a gagné un
peu plus les faveurs de Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci s’est rendu, le 26 mars 2023, à l’Assemblée générale du POI. Il
y déclarait : « J’assume avec une immense fierté d’avoir été de ceux qui ont dit qu’il fallait qu’il y ait des candidats
du POI aux élections législatives […]. Le temps est passé, où les trotskistes étaient mis de côté. »
Mathieu Dejean
Que d’agitation autour d’appréciations diverses concernant le retour de Quatennens. Nous ignorons les termes de ce « fichier ». Mais les termes des frustrés, ayant d’ailleurs quitté LFI, percutent les efforts de ceux qui au sein de LFI recherchent l’union de la NUPES. Les propos mesurés de Valérie Soumaille pourtant également concernée par ce « fichier » semble-t-il, sont loin de ce déferlement préjudiciable à la Nupes. Qu’elle en soit louée. Que doit-on combattre? les partis de droite qui par médias interposés veulent l’explosion de la NUPES ou LFI qui ne répond pas forcément aux souhaits de certains au sein du mouvement?
On doit combattre le gouvernement et les fascistes et la droite toujours plus à droite. Bien sûr et nous n’oublions pas, nous ne pardonnons pas.
Cela ne doit pas nous rendre aveugles à des pratiques qui sont étrangères aux traditions du mouvement ouvrier, du moins à celles auxquelles nous avons la faiblesse de vouloir nous référer.
Et à la Ges nous sommes féministes. Ceux qui se proposent d’être les meilleurs amis de Quatennens nous le reprochent. Nous ne cèderons pas.
Quant à la Nupes, nous la défendrons mais cela ne nous transformera pas en groupies de la maire de Poitiers et de ses ami.es. Tentons ne politique dialectique, même si ce n’est pas du tout dans l’air du temps.