Radio France : l’Etat compte mais ne pense pas

La direc­tion sous pres­sion de l’Etat cherche à réduire tout azimut la voilure. Et c’est la qualité et l’am­pleur de l’offre publique qui est clai­re­ment mena­cée.

Nous voudrions sentir les bonnes ondes mais ce qui se trame est alar­mant. Ne plus pouvoir écou­ter nos chaînes de radio habi­tuelles, celles qui informent et cultivent sans fritures publi­ci­taires et avec le savoir-faire d’un service public, est désa­gréable et préju­di­ciable. La faute en revient à un gouver­ne­ment qui n’as­sume pas ses respon­sa­bi­li­tés et laisse dépé­rir une situa­tion faute d’am­bi­tion sur le terrain de l’in­for­ma­tion et de la culture. Les sala­riés en grève à Radio France tiennent bon et ils ont raison. C’est bien à un pour­ris­se­ment de la situa­tion que procède le gouver­ne­ment.

 

On connaît la musique : mettre les entre­prises publiques en diffi­culté, ne pas leur donner les moyens de réus­sir, pour mieux les détruire ensuite, puisqu’elles ne remplissent plus correc­te­ment leurs missions – lesquelles, d’ailleurs ? Ce n’est pas dit dans la chan­son. Ce qui est en jeu, c’est le défaut d’am­bi­tion de l’Etat en matière de service public et de projet cultu­rel. Tendez les oreilles : le vide domine à l’Ely­sée comme rue de Valois. Regar­dez les chiffres : c’est la défausse budgé­taire qui domine. Austère, l’Etat baisse conti­nuel­le­ment et dras­tique­ment sa contri­bu­tion à la vie de ses chaînes audio­vi­suelles publiques.

Radio France doit englou­tir les frais de réno­va­tion du bâti­ment qui pour­rait finir par coûter 600 millions d’eu­ros. Ces travaux étaient-ils indis­pen­sables ? Mettre en confor­mité la tour prin­ci­pale notam­ment pour désa­mian­ter est incon­tour­nable. Pour le reste… Le gouver­ne­ment doit assu­mer la conti­nuité de l’Etat et les choix de réno­va­tion qui ont été faits. Mais les enjeux concer­nant l’in­ves­tis­se­ment ne sauraient masquer le cœur des problèmes de fonc­tion­ne­ment. Bien sûr, il faut traquer les gabe­gies, les dépenses inutiles : quelle grande entre­prise n’en a pas, dans le public comme dans le privé ? Mais c’est pur mensonge que d’ima­gi­ner trou­ver ici les voies d’une compen­sa­tion des besoins manquants pour faire vivre nos radios publiques. C’est ainsi que les hypo­thèses plus noires les unes que les autres circulent : suppres­sion de chaînes, telles que le Mouv’, Fip ou France Musique, exter­na­li­sa­tion de l’or­chestre, suppres­sion de postes de tech­ni­ciens, remise en cause de frais de dépla­ce­ments des jour­na­listes, mise en commun de programmes diffé­rents à France Bleu… La direc­tion sous pres­sion de l’Etat cherche à réduire tout azimut la voilure. Et c’est la qualité et l’am­pleur de l’offre publique qui est clai­re­ment mena­cée.

Obte­nir la tête de Mathieu Gallet ne rempla­cera pas un projet pour Radio France. Sanc­tion­ner le direc­teur pour son goût du luxe désor­mais sur la place publique ou pour défaut de bonne commu­ni­ca­tion aux sala­riés d’un projet introu­vable ne fera pas la rue Michel. Donner une direc­tion, une ambi­tion nouvelle, des moyens, telle est la respon­sa­bi­lité du chef de l’Etat et de la ministre de la Culture. Mais nous ne voyons rien venir. Parce que la règle d’or devient le seul projet et qu’elle réduit les marges de manœuvre de toutes les poli­tiques publiques. Parce qu’a­mé­lio­rer le vivre ensemble ou lutter contre l’igno­rance, terreau des fana­tismes, ne doivent pas être des paroles pour discours creux mais se traduire en actes. Parce que la culture a disparu des radars poli­tiques et que la gauche, celle qui a pour tradi­tion de faire de la culture un iden­ti­fiant, une prio­rité, ne gouverne pas. Parce que les gouver­nants comptent mais ne pensent pas, et finissent par consi­dé­rer que les savoirs qui ne produisent aucun profit sont super­flus sinon inutiles. Misère. La réponse aux crises que nous traver­sons passe pour­tant par une relance de la poli­tique cultu­relle. C’est l’une des clés pour faire société et retrou­ver le chemin de l’éman­ci­pa­tion humaine.

La Grèce vient de rallu­mer sa télé publique. La France dimi­nue le son de son service audio­vi­suel. Cher­chez l’er­reur.

Clémen­tine Autain, direc­trice du mensuel « Regards » et porte-parole d’En­semble – Front de Gauche. Tribune publiée sur Libe­ra­tion.fr

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