Prenez un zeste de réforme Pécresse des Universités en accentuant l’autonomie des établissements, un zeste de la réforme Allègre du lycée avec les travaux interdisciplinaires ou celle de Chatel avec l’accompagnement personnalisé, un zeste de la réforme Peillon du primaire avec toujours moins d’heures d’enseignement, des vieux IDD (itinéraires de découverte) de l’époque de Jack Lang et vous aurez trouvé ou compris la réforme du collège. C’est donc une fois de plus une réforme de logique libérale, à moyen constant (voire moins dans l’avenir), qui vise plutôt à dérèglementer et mettre en concurrence qu’à donner une vraie réponse à la difficulté scolaire.
Cette réforme entérine les choix, réforme après réforme dans l’éducation, d’enseigner toujours moins d’heures, en diminuant la diversité des enseignements, sans jamais faire le bilan des précédentes réformes (sur l’aide personnalisée par exemple), ni répondre au vrai sujet de départ : la difficulté scolaire et la reproduction des inégalités sociales dans l’école.
On peut parfois se demander dans quel pays vivons-nous pour qu’après chaque nouvelle réforme, on semble heureux que le temps de l’école diminue (c’était aussi le cas dans la dernière réforme du primaire)… Dans le cas présent, la chose nouvelle et surprenante est le degré de mensonge et de mépris du gouvernement : on ne supprimerait rien, ni dans les horaires ni dans la diversité », les enseignant-es serait du côté de l’immobilisme et de l’élitisme et les décrets passent la nuit même d’une mobilisation inter-syndicale…
Pourtant, la grille horaire présentée par le ministère montre clairement qu’il reviendra à chaque établissement de choisir les heures d’enseignement (20% de chaque niveau) sur lesquelles devra être pris le temps pour les nouveaux dispositifs (1 heure d’accompagnement personnalisé et 3 heures d’enseignement pratique interdisciplinaire pour chaque niveau de la 5e à la 3e). La réécriture des programmes prévoit une part (variante selon les disciplines) qui sera facultative, là encore, selon le choix des équipes de l’établissement. D’un établissement à un autre, les enseignements ne seront pas les mêmes, ni les horaires. Il est fort à parier que suivant le niveau du public, les équipes devront faire des choix qui accentueront encore plus les différences entre collèges, quitte à les mettre en concurrence. Pour certaines disciplines, on peut même avoir des craintes qu’elles disparaissent par manque de moyens ou de choix de gestion (langues anciennes, certaines langues secondes comme l’allemand ou l’italien…). Les quelques heures hebdomadaires théoriquement données ne suffisent pas à organiser les nouveaux dispositifs en demi-groupes ; et c’est pourtant sur ces moyens, accordés à discrétion du recteur et selon le projet de l’établissement, qu’il faudrait puiser pour réintroduire latin, classe bilangue ou 3e heure de LV2 en 5e, co-intervention…
Parallèlement, l’introduction de hiérarchies intermédiaires chez les enseignants et le renforcement des pouvoirs des chefs d’établissement fait craindre pour les collectifs de travail. L’introduction de responsables de niveaux ou de disciplines, payés avec des indemnités, va accentuer les rapports de concurrence entre profs qui devront déjà négocier, en leur sein, le temps disciplinaire enseigné.
Pourtant, une réforme du collège était attendue et depuis longtemps par les enseignant-es eux-mêmes, insatisfait-es de l’impasse dans laquelle ils et elles se trouvent confronté avec leurs élèves en difficulté.
Cependant, la réponse qu’ils et elles apporteraient serait tout autre, persuadé-es que ce n’est pas en insufflant seulement quelques heures de travaux interdisciplinaires – qu’ils pratiquent déjà, n’en déplaisent à nos énarques – et en diminuant les heures d’enseignement qu’ils et elles répondront au vrai défi des élèves en difficulté.
Il faudrait augmenter les moyens en primaire et rétablir les équipes RASED (réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficulté) qui ont pratiquement disparu. Une vraie réforme ne pourrait faire l’économie d’une baisse des effectifs par classe et du dédoublement systématique dans chaque discipline enseignée en collège. Il faudrait également envisager la possibilité de co-intervention, en collège comme en primaire, à l’intérieur d’une même classe. Il est aujourd’hui indispensable de réfléchir à la mise en place d’un dispositif en collège d’enseignants spécifiquement formés à la difficulté scolaire. Il faut offrir une diversité de contenus aux élèves ainsi qu’une diversité d’accès à ces savoirs en mettant en avant des capacités variées (techniques, manuelles, expérimentales…). Il faut également accorder des rythmes différents dans la scolarité pour aider les élèves à parvenir au lycée.
Enfin la difficulté est scolaire parce qu’elle est aussi sociale. Des équipes pluriprofessionnelles en nombre suffisant sont nécessaires. Trop souvent, les collèges ne disposent que des mi-temps d’AS, de COP, d’infirmières et les postes de CPE sont insuffisants comme ceux d’éducateurs dans les quartiers, ceux de psychologues inexistants. Il faut aussi revoir le système de dérogation et de carte scolaire qui permet une ghettoïsation de certains collèges.
De nouvelles mobilisations sont prévues dans les jours à venir (samedi 6 juin à 15h place Coimbra à Poitiers + grève le 11 juin) qui devraient rassembler enseignant-es et parents d’élèves. Elles sont indispensables pour faire reculer ce gouvernement qui, une fois de plus, fait passer ses projets en déni des besoins du plus grand nombre.
Myriam Rossignol