Setsuko Thur­low, Libé­ra­tion. « L’in­hu­ma­nité abso­lue des armes nucléaires »

Lettre ouverte parue dans Libé­ra­tion du 7 février 2020; Extraits.

« Survi­vante d’Hi­ro­shima et mili­tante pour l’abo­li­tion des armes atomiques, Setsuko Thur­low inter­pelle le président de la Répu­blique, qui a prononcé ce vendredi matin un discours sur la dissua­sion.« 

Lettre ouverte. « Le président Emma­nuel Macron a prononcé aujourd’­hui un discours sur les centaines d’armes nucléaires de la France, refu­sant le désar­me­ment nucléaire et invoquant le manque de réalisme des efforts en vue de les abolir au niveau mondial. Mais il n’a jamais fait l’ex­pé­rience de l’in­hu­ma­nité abso­lue de ces armes. Moi, oui. Et j’ai passé ma vie entière à aver­tir le monde de la menace réelle que ces armes posent, et à faire comprendre l’illé­ga­lité et le mal ultime qu’elles repré­sentent.

Le président Macron n’a pas répondu à ma demande de le rencon­trer à Paris la semaine prochaine afin de parta­ger avec lui les réali­tés de ce que sont les armes nucléaires et de ce qu’elles font aux personnes et à l’en­vi­ron­ne­ment. Mais les Français, et notam­ment les jeunes, méritent de connaître l’en­tière vérité sur les armes nucléaires.

En août prochain, cela fera 75 ans que les Etats-Unis ont complè­te­ment anéanti ma ville natale, Hiro­shima. J’avais 13 ans. À 8h15, j’ai vu par la fenêtre un éclair aveu­glant, blanc bleuté. Je me souviens d’avoir eu la sensa­tion de flot­ter dans l’air.

Alors que je repre­nais conscience dans un silence total et une profonde obscu­rité, je me suis retrou­vée prise au piège du bâti­ment qui s’était effon­dré sur moi.(…) J’ai vu tout autour de moi une dévas­ta­tion totale, inima­gi­nable.(…)

Ainsi, avec une bombe atomique, ma ville bien-aimée a été anéan­tie. La plupart de ses habi­tants étaient des civils – parmi eux, des membres de ma propre famille et 351 de mes cama­rades de classe – qui ont été inci­né­rés, vapo­ri­sés, carbo­ni­sés. Dans les semaines, les mois et les années qui ont suivi, des milliers d’autres personnes sont mortes, souvent de façon aléa­toire et mysté­rieuse, des effets à retar­de­ment des radia­tions. Aujourd’­hui encore, les radia­tions tuent des survi­vants.

Monsieur le président Macron, vous voulez main­te­nir et moder­ni­ser des centaines de ces armes inhu­maines, instru­ments de géno­cide, qui menacent d’in­di­cibles souf­frances tous les êtres vivants ? Il est profon­dé­ment naïf de croire que le monde peut conser­ver indé­fi­ni­ment des armes nucléaires sans qu’elles ne soient à nouveau utili­sées. Toute utili­sa­tion d’arme nucléaire serait contraire aux règles et aux prin­cipes du droit inter­na­tio­nal huma­ni­taire. En perpé­tuant le mythe de la dissua­sion, en en faisant un élément central de la poli­tique de défense de la France, en inves­tis­sant massi­ve­ment dans ces armes (à hauteur de 37 milliards pour les cinq prochaines années), vous mettez en péril la sécu­rité euro­péenne ; vous mettez en péril la sécu­rité mondiale.(…)

En 2017, j’ai accepté le prix Nobel de la paix au nom de la Campagne inter­na­tio­nale pour abolir les armes nucléaires – distinc­tion obte­nue pour le travail que nous avons accom­pli avec l’adop­tion de la première inter­dic­tion juri­dique inter­na­tio­nale des armes nucléaires, le Traité sur l’in­ter­dic­tion des armes nucléaires. A ce jour, 35 Etats ont rati­fié ce traité et 81 l’ont signé.

Près de 20 villes françaises, dont Paris et Grenoble, ainsi que des dizaines d’élus français appellent la France à adhé­rer à ce traité et à s’en­ga­ger sur la voie d’un monde sans armes nucléaires. La jeunesse française, cette nouvelle géné­ra­tion, a compris la menace inac­cep­table que repré­sentent les armes nucléaires pour l’hu­ma­nité. Selon un sondage publié en janvier par le Comité inter­na­tio­nal de la Croix-Rouge, 81% des « millé­niaux » pensent que l’uti­li­sa­tion des armes nucléaires n’est jamais accep­table.

(…) Ne consi­dé­rons la « dissua­sion » comme rien d’autre que ce qu’elle n’est : la mise en péril certaine des peuples. N’ac­cep­tons plus d’avoir cette épée de Damo­clès nucléaire au-dessus de nos têtes.(…) »

Setsuko Thur­low survi­vante d’Hi­ro­shima et mili­tante de l’Ican (Campagne inter­na­tio­nale pour abolir les armes nucléaires), orga­ni­sa­tion Prix Nobel de la paix 2017.

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