À Gaza, la famine s’installe et la guerre s’intensifie
Des écoles aux hôpitaux, en passant par les immeubles résidentiels et les tentes de déplacés, partout à Gaza, les frappes israéliennes s’abattent sur une population à bout de souffle. Près de deux ans après le début de la guerre, l’enclave n’est plus seulement un champ de ruines, c’est un territoire où la famine est devenue une arme.
« Aujourd’hui, le monde regarde avec horreur la situation dans le territoire palestinien occupé », a constaté mercredi Ramiz Alakbarov, l’envoyé de l’ONU pour le processus de paix au Moyen-Orient, devant le Conseil de sécurité.
Le bilan humain de l’été est vertigineux : depuis le 23 juillet, plus de 2 500 Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne, dont 271 alors qu’ils tentaient de se procurer de l’aide, selon le ministère de la santé local.
Près de 250 journalistes palestiniens ont péri depuis le début du conflit, dont cinq le 25 août dernier, lors d’une double frappe sur l’hôpital Nasser, à Khan Younès, l’un des derniers encore en activité dans le sud de Gaza.
Une tragédie délibérée
Depuis le 22 août, la famine, longtemps redoutée, est désormais une réalité officielle dans l’enclave. « Plus d’un demi-million de personnes y sont actuellement confrontées », a alerté Joyce Msuya, du bureau des affaires humanitaires de l’ONU.
Pour l’heure, la famine est concentrée dans les environs de la ville de Gaza, dans le nord du territoire. Mais selon le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), un groupe d’experts internationaux faisant autorité en matière de sécurité alimentaire, elle devrait s’étendre d’ici fin septembre à Deir al-Balah, dans le centre, et à Khan Younès, dans le sud.
Les chiffres donnent le vertige : 132 000 enfants de moins de cinq ans devraient souffrir de malnutrition aiguë d’ici l’été 2026, dont 43 000 risquent de mourrir.
« Soyons clairs : cette famine n’est pas le produit d’une sécheresse ni d’une catastrophe naturelle. C’est une tragédie provoquée par le conflit », a insisté Mme Msuya. Les infrastructures vitales – santé, eau, assainissement, production alimentaire – sont détruites ou hors d’usage. Selon l’ONU, 98% des terres cultivables sont inaccessibles, et le cheptel décimé.
Également invitée à la réunion du Conseil, la directrice de l’ONG Save the Children International, Inger Ashing, est venue rappeler de manière glaçante ce qu’implique ce mot : famine. « C’est un stade où il n’y a plus de points de rupture et plus de sonnettes d’alarme », a-t-elle prévenu.
Mme Ashing a décrit, par le détail, la détérioration progressive du cœur, des reins, des muscles et des organes entraînée par la faim, juste avant la mort. « Tous les décideurs dans toutes les capitales du monde – tous ceux qui sont dans cette salle – ont la responsabilité légale et morale d’agir pour mettre fin à ces atrocités », a-t-elle souligné.
Le spectre d’un exode massif
Sur le terrain, l’étau continue de se resserrer. Le gouvernement israélien a annoncé le 8 août son intention de prendre le contrôle de la ville de Gaza. Une opération d’ampleur qui pourrait provoquer de nouveaux déplacements massifs. D’ores et déjà, 86% du territoire de l’enclave se trouve sous statut de zone militaire. En juillet, 800 000 Palestiniens ont dû fuir vers des zones surpeuplées et dépourvues d’abris.
Malgré l’entrée accrue de camions d’aide et de biens commerciaux, les efforts humanitaires sont jugés dérisoires au regard des besoins des 2,1 millions de résidents de Gaza. « Ces avancées sont importantes, mais elles ne permettront ni d’inverser la famine ni de l’arrêter », a souligné Joyce Msuya.
Appels au cessez-le-feu et à la libération des otages
Face à ce tableau de désolation, l’ONU redouble d’avertissements. « La seule manière d’arrêter ces souffrances immenses et indescriptibles est un cessez-le-feu total, immédiat et permanent, ainsi que la libération inconditionnelle de tous les otages », a martelé Ramiz Alakbarov.
Ces otages, Ilana Gritzewsky, ex-détenue du Hamas libérée en mars, est venue leur donner un visage. Née au Mexique, installée en Israël pour « échapper à l’insécurité », elle a raconté comment sa vie a basculé le 7 octobre 2023.
Attrapée par les cheveux, frappée, jetée contre un mur, agressée sexuellement et filmée, elle a survécu à 55 jours de captivité sans soins ni médicaments. « Plus rien ne sera plus pareil », a-t-elle confié, évoquant ses fractures et ses séquelles physiques. « Je demande à tous ceux qui affirment avoir encore un cœur d’être des nôtres, car le silence, c’est la trahison », a-t-elle lancé, réclamant la libération immédiate de tous les captifs, dont son compagnon, Matan Zangauker.
À New York, les diplomates rappellent que la solution à deux États demeure la seule issue viable. Mais à Gaza, où la famine progresse chaque jour et où les civils continuent de mourir sous les bombes, le temps presse. « Mettre fin à cette crise d’origine humaine exige que nous agissions comme s’il s’agissait de notre mère, de notre père, de notre enfant, de notre famille », a conclu Joyce Msuya.
https://news.un.org/fr/story/2025/08/1157362
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La descente de Gaza vers une « famine massive » a commencé
« Nous nous dirigeons vers une famine massive » à Gaza. Le message des agences humanitaires de l’ONU est on ne peut plus clair concernant la situation dramatique que connaît l’enclave palestinienne ravagée par la guerre.
La Fondation humanitaire de Gaza, l’organisation d’aide privée soutenue par les États-Unis et Israël, continue de recevoir ses propres approvisionnements, mais cela ne suffit pas à enrayer ce qui apparaît comme inéluctable, a insisté vendredi Jens Laerke, porte-parole du Bureau de coordination de l’aide humanitaire des Nations Unies (OCHA).
Cet avertissement intervient alors que des informations font état d’une intensification des opérations militaires israéliennes dans la ville de Gaza.
Évoquant la dernière évaluation catastrophique du groupe d’experts du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire, soutenu par l’ONU, M. Laerke a souligné que 500 000 personnes se trouvent aujourd’hui dans la situation la plus critique, et que 160 000 autres devraient s’ajouter à ce nombre dans les semaines à venir.
Tout le monde manque de nourriture
« Ils ont tous besoin de nourriture », a-t-il dit aux journalistes à Genève. « La bande de Gaza tout entière a besoin de nourriture. La famine n’aurait pas été déclarée s’il y avait suffisamment de nourriture ».
Par ailleurs, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a souligné le risque croissant de maladies transmissibles à Gaza, avec 94 cas suspects de syndrome de Guillain-Barré désormais signalés.
Selon l’OMS, la maladie peut provoquer une paralysie et peut être traitée à l’hôpital par immunoglobulines intraveineuses ou plasmaphérèse.
« Mais ces deux [traitements] sont en rupture de stock, tout comme les anti-inflammatoires », a déclaré Christian Lindmeier, porte-parole de l’OMS, faisant référence aux restrictions israéliennes actuelles sur l’aide humanitaire qui impactent l’acheminement des fournitures humanitaires à Gaza. « Ces livraisons doivent être accélérées de toute urgence, tout comme les capacités de surveillance et de dépistage ».
Offensive sur la ville de Gaza
L’ONU craint que l’offensive israélienne sur la ville de Gaza n’ait des conséquences encore plus terribles sur la population de la bande de Gaza si elle s’intensifiait, a déclaré vendredi le porte-parole du Secrétaire général de l’ONU, Stéphane Dujarric, lors d’un point de presse à New York.
« L’ONU prend note de l’annonce israélienne faite aujourd’hui de la fin des pauses tactiques quotidiennes à Gaza, une zone désormais classée par Israël comme ‘zone de combat dangereuse’. Cette suspension menacera davantage la vie des populations et la capacité des travailleurs humanitaires à venir en aide à la population », a-t-il dit.
L’équipe de l’ONU sur le terrain a déclaré que ces pauses annoncées semblaient témoigner d’une certaine volonté de permettre la poursuite des opérations humanitaires. Pourtant, ces dernières semaines, elle a observé des bombardements dans les zones concernées et aux moments où de telles pauses avaient été décrétées.
« Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations Unies souligne que les opérations d’aide humanitaire vitale doivent être renforcées, et non annulées », a dit M. Dujarric.
« Par ailleurs, forcer des centaines de milliers de personnes à se déplacer plus au sud est une source de catastrophe supplémentaire et pourrait s’apparenter à un transfert forcé », a-t-il ajouté.
Faciliter l’aide humanitaire
« L’ONU et ses partenaires restent à Gaza pour apporter une aide vitale, avec l’engagement de servir les populations où qu’elles se trouvent. L’ONU s’attend à ce que son travail soit pleinement facilité et rappelle aux parties que les civils, y compris les travailleurs humanitaires, doivent être protégés en permanence. Les installations humanitaires et autres infrastructures civiles doivent également être préservées », a-t-il dit.
L’OCHA affirme que les travailleurs humanitaires continuent de se heurter à des obstacles dans leurs déplacements à l’intérieur de la bande de Gaza.
Entre le 20 et le 26 août, sur 89 tentatives de coordination de missions de secours avec les autorités israéliennes à Gaza, 53 ont été facilitées, 23 initialement approuvées puis entravées sur le terrain, sept ont été refusées et six ont dû être annulées par les organisateurs, a indiqué l’OCHA.
Violence des colons israéliens en Cisjordanie
En ce qui concerne la Cisjordanie, les agences humanitaires indiquent qu’elles continuent de constater des niveaux très élevés de violence de la part des colons israéliens contre les Palestiniens, ce qui a un impact sur la situation humanitaire.
Entre mardi dernier et lundi, l’OCHA a recensé au moins 15 attaques ayant causé des blessures ou des dégâts matériels dans 13 communautés palestiniennes. Ces attaques ont blessé huit Palestiniens et contraint six familles d’éleveurs à fuir leurs foyers, soit 15 adultes et près de 20 enfants déplacés.
