5 décembre 2025

The Guar­dian. 15 octobre. « Les formes de torture les plus cruelles » : des Pales­ti­niens libé­rés décrivent les horreurs des prisons israé­liennes

« Les formes de torture les plus cruelles » : des Pales­ti­niens libé­rés décrivent les horreurs des prisons israé­liennes

Avant de le libé­rer, les gardiens de prison israé­liens ont décidé d’of­frir un cadeau d’adieu à Naseem al-Radee. Ils lui ont ligoté les mains, l’ont plaqué au sol et l’ont battu sans pitié, lui disant au revoir comme ils lui avaient dit bonjour: à coups de poing.

La première vision de Gaza qu’a eue Naseem al-Radee depuis près de deux ans était floue ; un coup de botte à l’œil lui a laissé une vision trouble encore deux jours plus tard. Des problèmes de vision se sont ajou­tés à la longue liste de maux dont il a souf­fert pendant son séjour de 22 mois dans une prison israé­lienne.

Cet employé du gouver­ne­ment âgé de 33 ans, origi­naire de Beit Lahia, a été arrêté par des soldats israé­liens dans une école trans­for­mée en refuge pour dépla­cés à Gaza, le 9 décembre 2023. Il a passé plus de 22 mois en capti­vité dans des centres de déten­tion israé­liens, dont 100 jours dans une cellule souter­raine, avant d’être libéré avec 1700 autres déte­nus pales­ti­niens et renvoyé à Gaza lundi. [Près de 2000 arres­ta­tions de Pales­ti­niens ont eu lieu depuis le 7 octobre, comme monnaie d’échange face aux otages.]

Comme les autres déte­nus libé­rés et renvoyés à Gaza, Radee n’a jamais été inculpé d’au­cun crime. Et comme beau­coup d’autres, sa déten­tion a été marquée par la torture, la carence médi­cale et la famine infli­gées par les gardiens de prison israé­liens.

Sa descrip­tion de son séjour en prison s’ins­crit dans ce que l’or­ga­ni­sa­tion israé­lienne de défense des droits humains B’Tse­lem quali­fie de poli­tique de sévices à l’égard des déte­nus pales­ti­niens dans les prisons et les centres de déten­tion israé­liens.

Les services péni­ten­tiaires et l’ar­mée israé­liens n’ont pas immé­dia­te­ment répondu à une demande de commen­taires, mais dans le passé ils ont tous deux déclaré que les condi­tions de déten­tion étaient conformes au droit inter­na­tio­nal.

« Les condi­tions dans la prison étaient extrê­me­ment dures, nous avions les mains et les pieds liés et étions soumis aux formes de torture les plus cruelles », a déclaré Radee, évoquant son séjour à la prison de Nafha dans le désert du Néguev, le dernier endroit où il a été détenu avant d’être libéré.

Les passages à tabac n’étaient pas une excep­tion, mais faisaient partie de ce qu’il a décrit comme un régime systé­ma­tique de mauvais trai­te­ments.

« Ils utili­saient des gaz lacry­mo­gènes et des balles en caou­tchouc pour nous inti­mi­der, en plus des insultes et des violences verbales constantes. Ils avaient un système de répres­sion strict : la porte élec­tro­nique de la section s’ou­vrait lorsque les soldats entraient, et ils arri­vaient avec leurs chiens, en criant « à plat ventre, à plat ventre », et commençaient à nous battre sans pitié », a-t-il déclaré.

Les cellules étaient surpeu­plées, avec 14 personnes entas­sées dans une pièce qui semblait avoir été conçue pour cinq, a-t-il ajouté. Les condi­tions insa­lubres l’ont conduit à contrac­ter des mala­dies fongiques et cuta­nées qui n’ont pas été soula­gées par les soins médi­caux four­nis par la prison.

Moham­med al-Asaliya, un étudiant univer­si­taire de 22 ans qui a été libéré lundi de la prison de Nafha, a contracté la gale pendant sa déten­tion.

« Il n’y avait aucun soin médi­cal. Nous avons essayé de nous soigner en utili­sant un désin­fec­tant pour sols sur nos bles­sures, mais cela n’a fait qu’em­pi­rer les choses. Les mate­las étaient sales, l’en­vi­ron­ne­ment insa­lubre, notre immu­nité affai­blie et la nour­ri­ture conta­mi­née », a déclaré Asaliya, qui a été arrêté le 20 décembre 2023 dans une école de Jaba­liya.

« Il y avait un endroit qu’ils appe­laient « la disco­thèque », où ils passaient de la musique forte sans inter­rup­tion pendant deux jours d’af­fi­lée. C’était l’une de leurs méthodes de torture les plus notoires et les plus doulou­reuses. Ils nous suspen­daient égale­ment aux murs, nous asper­geaient d’air froid et d’eau, et jetaient parfois de la poudre de piment sur les déte­nus », a déclaré Asaliya.

Les deux hommes ont perdu beau­coup de poids pendant leur déten­tion. Radee est entré en prison avec un poids de 93 kg et en est sorti avec 60 kg. Asaliya pesait 75 kg au moment de son arres­ta­tion et est tombé à 42 kg à un moment donné pendant sa déten­tion.

Les respon­sables médi­caux pales­ti­niens ont déclaré que bon nombre des déte­nus libé­rés lundi étaient en mauvaise santé physique.

« Les signes de coups et de torture étaient clai­re­ment visibles sur le corps des prison­niers, tels que des ecchy­moses, des frac­tures, des bles­sures, des marques dues au fait d’avoir été traî­nés sur le sol et les marques des menottes qui leur avaient serré les mains », a déclaré Eyad Qaddih, direc­teur des rela­tions publiques de l’hô­pi­tal Nasser, dans le sud de Gaza, qui a accueilli les déte­nus lundi.

Il a ajouté que bon nombre des rapa­triés ont dû être trans­fé­rés aux urgences en raison de leur mauvais état de santé. Outre les bles­sures physiques causées par les coups, il a déclaré que les prison­niers semblaient ne pas avoir mangé depuis long­temps.

Selon l’ONG Comité public contre la torture en Israël (PCATI-Public commit­tee against torture in Israel), envi­ron 2800 Pales­ti­niens de Gaza sont déte­nus sans incul­pa­tion dans des prisons et des centres de déten­tion israé­liens.

L’in­car­cé­ra­tion massive de Pales­ti­niens de Gaza sans procé­dure régu­lière a été auto­ri­sée par des modi­fi­ca­tions appor­tées à la loi israé­lienne depuis l’at­taque du 7 octobre 2023 menée par des mili­tants du Hamas, qui a fait envi­ron 1200 morts.

En décembre 2023, le Parle­ment israé­lien a modi­fié la loi sur les « combat­tants illé­gaux » afin de permettre la déten­tion admi­nis­tra­tive sans incul­pa­tion lorsqu’un offi­cier a « des motifs raison­nables de croire » que la personne est un « combat­tant illé­gal ». La déten­tion admi­nis­tra­tive peut être prolon­gée pratique­ment indé­fi­ni­ment.

Les défen­seurs des droits humains israé­liens affirment que l’in­car­cé­ra­tion massive de Pales­ti­niens par Israël coïn­cide avec une dégra­da­tion dras­tique des condi­tions de déten­tion et que cela est devenu une ques­tion poli­tique.

« De manière géné­rale, le nombre et l’am­pleur des actes de torture et des mauvais trai­te­ments dans les prisons et les camps mili­taires israé­liens ont explosé depuis le 7 octobre. Nous consi­dé­rons cela comme faisant partie de la poli­tique menée par les déci­deurs israé­liens tels qu’I­ta­mar Ben-Gvir et d’autres », a déclaré Tal Stei­ner, direc­teur exécu­tif de PCATI.

Ben-Gvir, le ministre de la Sécu­rité d’ex­trême droite, s’est vanté de four­nir « le mini­mum de nour­ri­ture ». « Je suis ici pour m’as­su­rer que les « terro­ristes » reçoivent le mini­mum du mini­mum » , a-t-il écrit dans un message publié sur les réseaux sociaux en juillet.

Malgré les violences extrêmes dont ils ont été victimes dans les prisons, c’est à Gaza que de nombreux déte­nus ont eu le senti­ment de subir les pires supplices.

En effet, à sa libé­ra­tion, Radee a tenté d’ap­pe­ler sa femme, mais son télé­phone était coupé. Il a alors appris que sa femme et tous ses enfants, sauf un, avaient été tués à Gaza pendant sa déten­tion.

« J’étais très heureux d’être libéré, car la date coïn­ci­dait avec le troi­sième anni­ver­saire de ma plus jeune fille, Saba, le 13 octobre. J’avais prévu de lui offrir le plus beau des cadeaux pour compen­ser son premier anni­ver­saire, que nous n’avions pas pu célé­brer en raison du début de la guerre », a déclaré Radee.

« J’ai essayé de trou­ver un peu de joie dans ma libé­ra­tion ce jour-là, mais malheu­reu­se­ment, Saba est morte avec ma famille, et ma joie est morte avec elle », a-t-il déclaré.

Seham Tantesh à Gaza et William Chris­tou à Jéru­sa­lem
Article publié dans The Guar­dian le 14 octobre 2025 ; traduc­tion rédac­tion A l’En­contre
https://alen­contre.org/moye­no­rient/dossier-a-quoi-ressemble-la-victoire-israe­lienne.html

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