Remettre la gauche en mouve­ment

Bertrand nous permet de publier ce court texte inci­sif et fort sur notre site, nous l’en remer­cions. Bertrand Geay est univer­si­taire, poli­tiste à Amiens. Il vit à Poitiers et y parti­cipe à l’ani­ma­tion des diffé­rentes éditions du Festi­val Raisons d’agir, et aussi de l’Ins­ti­tut d’études popu­laires. Il fut de tous les combats de la gauche de gauche à Poitiers depuis les années 80. Il fut de la campagne centrale de J.L. Mélen­chon en 2012. Il est un anima­teur du Front de gauche éduca­tion au niveau natio­nal.  Nous voici, comme il nous le dit, « au bout du chemin »; un chemin est à inven­ter et tracer, nouveau.

PB.

« Nous ne pensions pas en arri­ver là. Nous ne pensions pas que le gouver­ne­ment « socia­liste » irait aussi fort, aussi loin dans la voie du renon­ce­ment. La capi­tu­la­tion sur l’Eu­rope. La dégra­da­tion à marche forcée du rapport entre le Travail et le Capi­tal. L’ab­sence de toute poli­tique de réorien­ta­tion écolo­gique de la produc­tion indus­trielle, arti­sa­nale et agri­cole. Les attaques répé­tées contre les droits des sala­riés. Le renfor­ce­ment des méga­lo­poles en lieu et place du déve­lop­pe­ment des terri­toires. Et main­te­nant la dérive auto­ri­taire et belli­ciste.
Nous avions expliqué qu’au bout du proces­sus, il y avait toujours plus de déses­pé­rance et le risque d’une liqui­da­tion de la gauche. Mais en espé­rant malgré tout que des voies s’ou­vri­raient. Nous sommes au bout du chemin.

Le Front de Gauche a sa respon­sa­bi­lité dans cette situa­tion. Faute d’avoir construit une ligne cohé­rente et fédé­ra­trice, le bel élan de 2012 est retombé. Les assem­blées citoyennes ont fini par se trans­for­mer en dispo­si­tifs de mobi­li­sa­tion élec­to­rale, une fois que les partis avaient fini de discu­ter entre eux. Les Fronts Théma­tiques et le Conseil Natio­nal ont été réduits à un rôle-crou­pion. Un seul axe de campagne commune avec le mouve­ment social a été tenté, et de façon inter­mit­tente, celui contre l’aus­té­rité, là où il aurait fallu ouvrir des fronts multiples, des combats obsti­nés, des dyna­miques de mobi­li­sa­tion déga­gées du calen­drier élec­to­ral. Et lorsque le Front de Gauche aurait pu accueillir les cohortes de tous les dégou­tés de la poli­tique gouver­ne­men­tale ou des noyaux de jeunes sensi­bi­li­sés à l’injus­tice sociale ou au péril écolo­gique, il est resté perçu comme un cartel incom­pré­hen­sible et globa­le­ment impuis­sant.

On voit bien désor­mais la tenaille dans laquelle nous sommes pris. Se rallier au sauve­tage de la gauche établie ou assu­mer le risque de la margi­na­li­sa­tion. Ou encore culti­ver son jardin, en atten­dant des jours meilleurs. A moins que nous sachions, par un ultime sursaut de résis­tance à l’ordre des choses, nous impo­ser à nous-mêmes l’ou­ver­ture et le dyna­misme collec­tif dont nous avons tant manqué à chacune des occa­sions manquées de l’après-2012.

Agir pour rassem­bler

Que ferons-nous, dans le contexte de la perpé­tua­tion de l’état d’ur­gence, des attaques contre le code du Travail, du rejet des réfu­giés et de la répres­sion des luttes syndi­cales et écolo­gistes ? Quelles campagnes saurons-nous soute­nir, déve­lop­per ou impul­ser, en respec­tant l’au­to­no­mie des mouve­ments sociaux, tout en y faisant preuve de l’unité et de la soli­da­rité les plus exem­plaires ? Quel débat frater­nel saurons-nous conduire avec ceux qui tentent ici ou là d’autres formes de mobi­li­sa­tion, sur leur lieu de travail, dans une forêt ou sur leur ordi­na­teur ?

Quelques autres ques­tions diffi­ciles se posent dans ce contexte. Nous devons en parti­cu­lier nous inter­ro­ger sur la distance toujours plus impor­tante qu’ex­priment nos conci­toyens à l’égard de la poli­tique offi­cielle et des profes­sion­nels de la poli­tique. Et sur la réponse que nous lui appor­tons. Des candi­da­tures de jeunes, d’ou­vriers, de femmes et de profanes de la poli­tique seraient parti­cu­liè­re­ment bien­ve­nues.
Enfin, bien-sûr, la ques­tion des rapports avec le clan poli­tique au pouvoir ne peut être esqui­vée. Tout replâ­trage de l’union de la « gauche » sous la houlette de Valls et Hollande aurait des effets délé­tères. Toute aven­ture grou­pus­cu­laire serait contre-produc­tive. Il n’y a d’autre voie que le débat avec tous ceux qui, à gauche, contestent la ligne gouver­ne­men­tale, y compris avec ceux qui soutiennent l’idée de primaires de toute la gauche. Mais cette ques­tion élec­to­rale doit être tenue pour ce qu’elle est : une ques­tion rela­ti­ve­ment secon­daire face à l’ur­gente néces­sité de remo­bi­li­ser la société elle-même.

Bertrand Geay, socio­logue, membre « sans carte » du Front de Gauche »

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