De la légi­time contes­ta­tion des mesures gouver­ne­men­tale à la néga­tion de la réalité de la pandé­mie : le pas à ne pas fran­chir.

A propos d’une tribune parue sur le site de Regardshttp://www.regards.fr/idees-culture/article/tribune-le-confi­ne­ment-consti­tue-un-remede-pire-que-le-mal-pour-la-societe

Voici une tribune collec­tive en réponse qui est à paraitre très prochai­ne­ment, à l’ini­tia­tive de quelques mili­tant.e.s d’En­semble! insou­mis et d’autres, à laquelle j’ai (un peu) parti­cipé:

PB, 16–11–2020

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« C’est un secret de poli­chi­nelle : le re-confi­ne­ment était envi­sagé depuis l’été dernier. La stra­té­gie de commu­ni­ca­tion du minis­tère de la Santé s’est déployée autour de cette pers­pec­tive depuis plus de deux mois, de façon à le faire accep­ter par la majo­rité de la popu­la­tion le jour J ». Ainsi commence une tribune dont les 2 premiers signa­taires sont Laurent Muchielli et Laurent Toubiana.

Première consta­ta­tion : il serait faux de dire que les médias ont négligé d’in­vi­ter les contra­dic­teurs aux « indi­ca­teurs les plus alar­mants ». Jean-François Tous­saint, Laurent Toubiana, Alexan­dra Henrion Claude etc, ont eu tribune ouverte quasi quoti­dien­ne­ment, notam­ment à la télé­vi­sion. Et si le célèbre profes­seur Marseillais est devenu plus prudent sur le confi­ne­ment, c’est après avoir affirmé de façon fracas­sante dans un premier temps : « La deuxième vague c’est de la science-fiction ». Les scien­ti­fiques expri­mant un point de vue opposé, qui repré­sentent l’opi­nion majo­ri­taire de la commu­nauté, ont eu bien moins l’oc­ca­sion de s’ex­pri­mer. En réalité, le gouver­ne­ment n’avait qu’une obses­sion : la reprise de l’ac­ti­vité écono­mique dès la fin du premier confi­ne­ment. Il affir­mait d’ailleurs que les auto­ri­tés étaient prêtes pour contrô­ler l’épi­dé­mie, ce qui s’avère évidem­ment faux aujourd’­hui. Il a surtout retardé les mesures à prendre face à la remon­tée du nombre de cas de conta­mi­na­tion, avec pour consé­quence une dissé­mi­na­tion de l’épi­dé­mie à bas bruit depuis l’été, sur l’en­semble du terri­toire, contrai­re­ment à ce qui s’était passé en mars-avril avec des régions très touchées et des régions épar­gnées. 

Deuxième consta­ta­tion : Non, il n’y a pas eu une « « évolu­tion en dents de scie, la commu­ni­ca­tion se faisant unique­ment les jours où les chiffres augmentent »,comme l’af­firment les signa­taires de ce texte. Depuis la mi-août, et en fait depuis le frémis­se­ment autour du 20 juillet, les 4 courbes – nombre de sujets posi­tifs, puis nombre d’hos­pi­ta­li­sa­tions, puis nombre de sujet en réani­ma­tion et enfin de décès – ont suivi la même progres­sion : des expo­nen­tielles déca­lées. Le résul­tat final, pour qui veut bien regar­der la réalité en face, est très loin de l’apla­tis­se­ment de la courbe épidé­mio­lo­gique. Les soignant.es, qui ont déjà vécu sur le terrain une première vague en mars-avril, sans aucune amélio­ra­tion de leurs condi­tions de travail ni de leur rému­né­ra­tion depuis, sont en train de revivre exac­te­ment la même chose. Mais cette fois-ci sans applau­dis­se­ments et avec beau­coup plus encore de lassi­tude et de décou­ra­ge­ment. Ainsi au 4 novembre d’après Sante Publique France nous avons 27 000 hospi­ta­li­sa­tions en cours et près de 4100 malades en réani­ma­tion.

S’en­suite dans cette tribune l’af­fir­ma­tion que « seuls l’Ir­lande et le Pays de Galles ont recon­finé la tota­lité de leur popu­la­tion ». Ceci est bien évidem­ment faux puisque plusieurs pays d’Eu­rope ont depuis remis en place un confi­ne­ment plus ou moins strict, mais néces­saire. C’est le cas du Royaume Uni, de la Belgique, de la Répu­blique Tchèque, de la Cata­logne, de l’Au­tri­che… S’il est possible de discu­ter sur la nature des déci­sions prise dans d’autres pays, nous consta­tons à minima qu’il y a partout en Europe des mesures de confi­ne­ment partiel. Nous nous oppo­sons donc vigou­reu­se­ment à cette asser­tion, qui est tout simple­ment fausse et qui démontre qu’il s’agit à tout prix pour les signa­taires de contes­ter toute légi­ti­mité au confi­ne­ment.

Conti­nuons notre lecture : « (…) toute personne entrant à l’hô­pi­tal porteuse d’une trace du Covid est comp­tée comme un « hospi­ta­lisé Covid » même si elle vient en réalité pour son cancer ou son hyper­ten­sion. Et c’est la même chose si elle entre en réani­ma­tion ou si elle décède ». Il est urgent de reve­nir à la raison ! Six mille cinq cent quatre-vingt-treize personnes ont été admises en réani­ma­tion (0,09%) avec un test posi­tif au Covid pendant la première vague. Il est possible que pour une part infime de ces patients la COVID ne soit pas le motif prin­ci­pal d’hos­pi­ta­li­sa­tion, et soit anec­do­tique. Néan­moins dans la grande majo­rité des cas, c’est bien la pneu­mo­pa­thie liée au SARS-COV2 qui va s’ajou­ter à une mala­die préexis­tante et entraî­ner des compli­ca­tions qui peuvent mener au décès. D’autre part, même lorsque des gens sont hospi­ta­li­sés par exemple pour un cancer et sont porteurs du COVID-19, c’est impor­tant que cela soit comp­ta­bi­lisé car cela peut entraî­ner un retard de soins (pas de possi­bi­lité de certains examens complé­men­taires car ils sont conta­gieux et n’au­ront poten­tiel­le­ment pas le même accès aux soins pour leur cancer, par rapport à des patients néga­tifs)

En réalité, les auteurs « confondent » (restons polis…) morta­lité et comor­bi­dité. Comme si un patient infecté souf­frant en outre d’une patho­lo­gie anté­rieure au Covid mais équi­li­bré, avec cinq à dix ans d’es­pé­rance de vie, qui décède subi­te­ment, ne mour­rait pas du COVID. Et se profile la conclu­sion néo-eugé­niste et factuel­le­ment fausse, reprise sur les murs de certains signa­taires, que de toute façon ce sont des vieux qui allaient mourir qui décè­dent…

Et quand on écrit que « (…) parmi les 7% restant de la popu­la­tion testée posi­tive, plus de 85% ont moins de 60 ans ; il s’agit donc essen­tiel­le­ment de personnes qui ne risquent pas de faire une forme grave de la mala­die (…) » c’est tout simple­ment faux. La morta­lité chez les patients hospi­ta­li­sés durant la première vague de l’épi­dé­mie est connue, elle augmente graduel­le­ment avec l’âge (1,1% chez les 20–29 ans, 1,9 % chez les 30–39 ans, 3,3% chez les 40–49 ans, 6,5% chez les 50–59 ans, 12,5% chez les 60–69 ans, 21% chez les 70–79 et 31,6% chez les plus de 80), et n’est donc pas nulle chez les moins de 60 ans. De plus, même si ces pour­cen­tages paraissent faibles, cela se traduit par un nombre de morts d’au­tant plus impor­tant qu’il y a plus de cas de la mala­die dans la popu­la­tion globale.

Quant au fait que l’hô­pi­tal est sous tension du fait des poli­tiques menées depuis long­temps, c’est une évidence. Sauf que la situa­tion actuelle, qui s’est effec­ti­ve­ment déjà produite lors de la cani­cule, a ceci d’ex­cep­tion­nel qu’elle ne cesse de se dégra­der de façon extrê­me­ment rapide. Et cela avant même la surve­nue prévi­sible de l’épi­dé­mie grip­pale et à un niveau sans précé­dent, contrai­re­ment à ce qui est prétendu ici, tant en inten­sité qu’en rapi­dité. On en est à envi­sa­ger des trans­ferts en Alle­magne. Pays qui est autre­ment mieux équipé en lits d’hos­pi­ta­li­sa­tion que le nôtre aujourd’­hui, y compris en ce qui concerne le nombre des lits de réani­ma­tion. De plus, on voit bien avec la néces­sité du confi­ne­ment qui a été mis en place de la Chine à l’Eu­rope et égale­ment aux USA même si c’est de façon plus hété­ro­gène, qu’il ne s’agit pas unique­ment d’un problème de manque de moyens pour le système de soin. Face à une évolu­tion expo­nen­tielle du nombre de cas, n’im­porte quel système de santé est mis en diffi­culté et a du mal à assu­mer le reste des soins néces­saires en dehors du COVID-19.

Cela ne dédouane en rien le gouver­ne­ment de ses respon­sa­bi­li­tés dans la crise actuelle et ses consé­quences. Certes aucun pays n’a un système de santé capable d’ab­sor­ber une telle épidé­mie sans diffi­culté. Mais si aucune mesure de contrôle n’est prise, cela sera d’au­tant plus diffi­cile. Et même d’au­tant plus catas­tro­phique en France que de nombreux lits y ont été fermés par les gouver­ne­ments succes­sifs de Sarkozy à Macron en passant par Hollande, jusqu’à très récem­ment encore, c’est-à-dire après la première vague.

Dans cette tribune il est dit enfin que les mesures de confi­ne­ment débouchent sur un bilan mondial qui n’est asso­cié à aucune réduc­tion mesu­rable de la morta­lité. Une autre contre-vérité ! Le graphique des courbes compa­ra­tives Israël/Europe vient d’être publié. On peut y consta­ter l’ef­fet du confi­ne­ment sur une deuxième vague épidé­mique en Israël déca­lée par rapport à la nôtre, mais hors de contrôle avant confi­ne­ment. La courbe est éloquente. Des articles scien­ti­fiques rigou­reux le montrent. Notam­ment dans la revue Science. Mais on pourra égale­ment consul­ter avec profit le logi­ciel sur site du Finan­cial times tout aussi éloquent.

Si la situa­tion sani­taire d’aujourd’­hui résulte bien de l’échec de la stra­té­gie gouver­ne­men­tale « dépis­ter, tracer, isoler », avec un dépis­tage mal orga­nisé et des résul­tats tardifs, un traçage des contacts inef­fi­cace (seule­ment 5.000 agents recru­tés après la première vague sur les 30.000 néces­saires) et un isole­ment des porteurs du virus laissé au soin des famil­les… des mesures strictes de contrôle de cette épidé­mie sont abso­lu­ment néces­saires à l’heure actuelle. Le nier est dange­reux et irres­pon­sable, car cela risque tout simple­ment d’en­traî­ner plus de décès.

Il faut critiquer la manière dont le gouver­ne­ment instaure ce confi­ne­ment avec une commu­ni­ca­tion illi­sible, satu­rée d’injonc­tions contra­dic­toires, notam­ment à desti­na­tion des ensei­gnant.es. Ceci entraîne une espèce de confi­ne­ment allégé « à la carte », dont l’ef­fi­ca­cité est diffi­cile à prédire, mais qui ne fait que renfor­cer la défiance de la popu­la­tion et la divi­sion au sein de la popu­la­tion. Avec le senti­ment partagé que certains secteurs de l’éco­no­mie, les grands groupes essen­tiel­le­ment, sont privi­lé­giés au détri­ment des autres.

Mais résu­mer les termes du débat à une alter­na­tive simpliste et trom­peuse, sous-esti­mer déli­bé­ré­ment les enjeux sani­taires de la crise et flir­ter avec les thèses liber­ta­riennes en nour­ris­sant la confu­sion entre les inté­rêts de la popu­la­tion dans son ensemble – qu’il nous faut défendre – et l’in­té­rêt écono­mique et social des élites, est catas­tro­phique pour notre camp. Un confi­ne­ment effi­cace est actuel­le­ment néces­saire et urgent. Un autre confi­ne­ment est possible : démo­cra­tique­ment orga­nisé, appuyé sur l’ex­per­tise des acteurs/actrices de terrain (soignant.es, ensei­gnant.es, travailleuses/travailleurs de première ligne, etc.) et sur l’ex­per­tise citoyenne qui doit être mobi­li­sée et orga­ni­sée. Il faut se battre pour lui donner corps. Il ne peut pas être mis en œuvre sans le peuple, sans une prise de conscience collec­tive et soli­daire de notre impli­ca­tion à toutes et tous dans la lutte contre cette épidé­mie et sans lutter pour la construc­tion d’un authen­tique démo­cra­tie sani­taire, loin des instru­men­ta­li­sa­tions de toute sorte et du complo­tisme plus ou moins vulgaire.

Les membres du « groupe de réflexion sur la crise sani­taire », regrou­pant cher­cheur.euse.s, prati­cien.ne.s et mili­tant.e.s d’En­semble et d’En­semble Insou­mis.

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