I-C’est la traduction spatiale de la métamorphose du capitalisme
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C’est un processus indissociable de la globalisation (mondialisation libérale), du basculement vers l’économie de la connaissance (stratégie de Lisbonne-2000), de la révolution numérique qui les accompagne. La dynamique de l’économie globalisée s’inscrit dans un univers inter-métropolitain qui « subvertit » et recompose l’ensemble des territoires nationaux.
Repéré par les géographes aux USA dès fin années 80, plutôt années 90 en France. Accompagné par les politiques publiques en France depuis années 2000 : Comité Interministériel d’Aménagement du Territoire 2003, pôles de compétitivité en 2005, nouvelle définition de grandes aires urbaines INSEE 2010–2011, rapport Perben 2009, acte III de la décentralisation (loi MAPTAM= réforme territoriale de janvier 2014).
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1-La métropole est l’aboutissement de ce processus, présenté comme « inéluctable » :
*Elle devient le lieu central de la création de richesses, de plus en plus concentrée dans un petit nombre de lieux mis en concurrence. La Métropole est le moteur de l’éco nationale, qui devient une « économie d’archipel » de villes interconnectées, comme des îles émergées de l’océan du territoire, tout comme l’éco mondiale d’ailleurs (Archipel Métropolitain Mondial).
*Elle se traduit par la montée en puissance d’une « classe créative », acteur clé de cette création de richesse= « nouvelle élite » de l’éco de la connaissance (selon Laurent Davezies- « la Rép et ses territoires »/2008– = environ 1/3 de la pop.) Emplois « stratégiques » à haute valeur ajoutée : 5 fonctions (conception-recherche/ prestations intellectuelles/ commerce inter-entreprises/gestion/culture et loisirs) selon INSEE 2009, qui ont tendance à se retrouver dans des « territoires créatifs », dans quartiers centraux ou dans parcs technologiques de la périphérie. Grenoble se targue ainsi d’être devenue une « technopole » « où s’invente l’avenir », avec 20% de cadres et professions intellectuelles supérieures (16% à Lyon, 13% à Annecy…) + 27% de professions intermédiaires : tonalité très classes moyennes.
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2– La métropole se doit d’optimiser ses « avantages comparatifs » pour rester dans la course et attirer ces classes créatives (très mobiles) : renforcer son « attractivité ». Quelques critères clés pour la réussite :
– D’étroites liaisons entre Université-centres de recherche- et entreprises innovantes. Se forment ainsi des « clusters » (= pôles de compétitivité ») autour de certaines filières où ces 3 entités coopèrent pour atteindre une taille critique européenne ou mondiale.
– Une bonne accessibilité à toute les échelles : liaisons autoroutières, LGV, aéroport aux nombreuses lignes et bien relié au centre, fibre optique et gros débit.
– Un environnement de qualité : la « ville durable » respectant « l’équité sociale » (réduire les violences urbaines, les trop forts contrastes sociaux entre quartiers), la qualité environnementale ( immeubles à énergie positive, murs végétaux, zones piétonnes et vélo…)
-L’image, la création d’un « récit identitaire » de la métropole sont fondamentaux, pour « vendre » ce territoire.
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3-La métropole est un territoire « multi-situé », national et transnational (à l’interface entre la nation et le monde).
Elle fonctionne en réseau, avec d’autres métropoles, parfois d’autres continents, éventuellement plus qu’avec le territoire de sa région. Cette caractéristique génère bien sûr une explosion des flux (métropole= générateur et attracteur de flux massifs).
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4– Se crée ainsi un nouveau territoire métropolitain.
Tend à disparaître le vieux schéma ville/banlieues/ campagne, par essaimage des emplois dans une couronne périphérique qui s’étale : les nouveaux espaces productifs créatifs ont tendance à se déconcentrer dans la couronne en fonction des prix du foncier et des besoins d’espaces libres pour édifices modernes. En fonction aussi d’une externalisation croissante avec entreprises donneurs d’ordre et essaim de sous-traitants.
Les flux urbains sont donc accrus et transformés, complexifiés (plus seulement flux pendulaires villes-banlieues, mais aussi de quartiers urbains vers emplois périphériques ou de résidence périphérique vers emplois dans une autre périphérie. Les géographes US ont souligné la « souffrance spatiale » de certaines populations des Ghettos du centre, non motorisées et ne pouvant accéder à un emploi devenu périphérique.
L’agglomération a tendance à prendre une structure plus polycentrique (par apparition de centres commerciaux et d’équipements culturels dans la couronne même lointaine). Les villages, jusqu’à plusieurs dizaines de km, logent une population drainée par la métropole (communes polarisées de l’INSEE, quand 40% de l’emploi dans la métropole). L’extension du périurbain (où vit aujourd’hui ¼ de la population française, sur 38% du territoire- INSEE 2011), dans lequel sont incorporées des communes « multipolarisées », tend à dissoudre la distinction classique entre rural et urbain.
Dans un tel organisme fonctionnel énorme, les quartiers ou communes huppées ont tendance à faire sécession (profiter des avantages de proximité de la ville, sans payer les impôts, ni appliquer une politique de logements sociaux et/ou raciaux) : ainsi, la loi US permet la création de municipalités par référendum de la population (procédure dite de « l’incorporation » : après Lakewood en 1954 (près de LA), 32 communes sont apparues ! (dans 28 de ces 32, moins de 1% de noirs). En France, la loi sur l’intercommunalité par affinité de 1999 a eu à peu près le même résultat (cf. la communauté d’agglomération des Hauts de Seine). De ce point de vue, un gouvernement métropolitain (de l’ensemble de l’organisme urbain, y compris les communes riches lointaines) est plutôt une bonne chose.
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II- La révolution métropolitaine entraîne une recomposition générale des territoires.
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La métropole, comme acteur fondamental dans la création de richesses, à cheval sur le national et le transnational, amène l’État à repenser son fonctionnement et son organisation, pour que le pays s’insère dans la mondialisation, sans que la métropole ignore totalement son environnement national et régional (risque d’une ville globalisée « hors contexte » -Olivier Mongin, 2013).
La révolution induite dans l’organisation de la puissance publique est particulièrement brutale en France, où tradition centralisatrice, tradition d’un État centripète qui a homogénéisé le territoire depuis les ministères parisiens. Or la métropolisation génère une dynamique centrifuge et inégalitaire, générant des pouvoirs territoriaux nouveaux et puissants.
Ce « rééchelonnement » de l’État l’amène à reconfigurer ses compétences et à imaginer une « gouvernance » faite de négociations « flexibles » entre acteurs à différentes échelles (par contractualisation). Il se doit aussi d’adapter l’enveloppe territoriale à l’échelle de ces nouveaux organismes urbains : le département, c’est trop petit, la région des 22 régions aussi : c’est l’objet de la loi de Modernisation de l’Action Publique Territoriale et d’Affirmation des Métropoles de janvier 2014 (le nom est explicite), puis de la loi NOTRe de 2015.
Les 13 grandes régions correspondent donc à l’enveloppe territoriale nouvelle que nécessite la montée en puissance des métropoles. 13 régions, 14 métropoles reconnues : on voit bien le rapport. Même si, en fait, 3 régions n’ont pas de métropole (la Corse, la Bourgogne-Franche-Comté, le Centre-Val de Loire) et 4 ont 2 métropoles (Toulouse-Montpelliers, Rennes-Brest, Lyon-Grenoble, Aix-Marseille-Nice-Côte d’azur). La région ALPC est donc l’enveloppe territoriale de la montée en puissance de la métropole bordelaise. Dans cette logique on comprend Euratlantique, les projets LGV, l’amélioration de la liaison ville-aéroport, le développement des lignes aériennes, la fusion des universités pour avoir un pôle de taille critique internationale, l’effort de Rousset pour organiser la formation professionnelle, etc…
On comprend aussi le mano à mano Rousset-Juppé : ils doivent construire un partenariat étroit gagnant-gagnant, autour d’une même politique d’optimisation des avantages comparatifs de Bordeaux et de la grande Aquitaine.
Cette révolution territoriale signifie la disparition du cadre spatio-temporel des populations (surtout pour les classes non directement intégrées au « nouveau monde » et pour les générations anciennes). Elle participe ainsi grandement à la crise du politique.
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III- Comment faire face à la métropolisation, depuis une perspective socialiste ?
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La logique de la métropolisation avec son corolaire, la Grande Région, nous est absolument contraire, elle incarne ce que nous combattons:
Elle signifie une mise en concurrence des territoires et, à terme, une nation inégalitaire.
Elle massifie en dernier recours les flux par son exigence de mobilité, d’accessibilité maximale et donc la trace carbone (malgré les beaux discours sur la « région durable »).
Elle entraîne la marginalisation des classes « non créatives » dans la ville (cf. la classe ouvrière traditionnelle ou les jeunes de la Villeneuve à Grenoble), une fois passé un seuil critique de classes à fonction stratégique dans la population de la ville.
Elle signifie une déconnexion entre univers métropolitain créateur de richesses et périphérie profonde : le rural profond de l’INSEE (5% de la population française), mais aussi les villes petites et moyennes, voire plus grandes , qui seraient en grande périphérie- cf. Limoges pour nous- ou qui pâtiraient de l’effet tunnel des lignes LGV. Cette « périphérie » en difficulté serait vouée aux aides de l’État, par les agences départementales types pôle-emploi ou par des dispositifs spécifiques (cf. depuis juin 2014, le dispositif expérimental pour requalification des bourgs en déclin de moins de 10 000 habitants. 300 éligibles, 50 accompagnés pour 40M d’Euros, dont la Réole)
Elle amène à réorganiser toute l’éducation et la recherche autour des seuls objectifs économiques (la fonction intellectuelle comme dégradée, transformant l’enseignant ou le chercheur en « intellectuel organique » du capital).
C’est une logique puissante et mondiale qui ne pourra être combattue efficacement qu’à l’échelle d’un pouvoir alternatif (et qui devra sans doute être continental).
La défense de notre dispositif hérité, issu de la révolution française : commune (36000)/ département (une centaine)/ nation (une seule), comme dispositif immuable, me semble un combat perdu d’avance et douteux (les baronnies de notables), même si le principe d’égalité qui a présidé à sa mise en place doit être défendu bec et ongles.
Il n’est pas bon par exemple de donner à la région la compétence du développement économique (qui, dans le système libéral, va creuser les inégalités) et de faire recoudre les plaies par le département (compétences sociales). Il vaut bien mieux que la Région ait aussi cette dernière compétence, qu’elle ait en charge de réparer ce qu’elle détruit ! De même pour les transports : il vaut bien mieux que la Région ait en charge les TER et ne s’occupe pas seulement de financer les LGV. Le conseil départemental de Gironde vient de dessiner 9 « bassins de vie » : cette échelle me semble plus intéressante pour la démocratie locale et la démocratie participative que celle du département.
Mais, en attendant une alternative à une autre échelle, il faut bien imaginer une politique régionale, non plus main dans la main avec la métropole, mais dans un rapport d’affrontement-négociation avec elle.
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Quelles pistes cependant si nous arrivions au pouvoir local et/ou régional ? ( réflexion personnelle)
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Il faut combattre intelligemment la logique de métropolisation, avec nos petits moyens, en pensant aux possibilités de chaque échelle, en cherchant à freiner ce qui peut l’être, en jouant avec certaines de ses logiques, en cherchant aussi à préfigurer ce que nous souhaitons, à savoir un territoire qui s’organise en fonction de logiques solidaires, coopératives et non compétitives.
à l’échelle du nouveau pouvoir métropolitain :
Ici, il faut « prendre » cette nouvelle échelle : l’échelle métropolitaine, permet de ruser avec la logique du système. En effet les impératifs « métropolitains » environnementaux, la recherche de non fracture sociale, le frein revendiqué à la gentrification des centres, les transports publics vers la périphérie lointaine, le raccord des cités au reste de l’organisme, l’incorporation des populations aisées dans un même système fiscal, etc…Tout cela peut permettre de combattre la discrimination. Il restera bien sûr le problème des pressions sur l’accessibilité externe, sur le quartier d’affaires, sur les systèmes éducatifs…
á l’échelle grande région : c’est plus difficile.
Si je m’essaye à « Une grande région de gauche pourrait… », elle pourrait :
-compenser l’effet métropolisation en choisissant une capitale politique qui ne serait pas la métropole éco, en pensant à un centre de gravité du nouveau territoire, dans une ville moyenne par exemple.
-Utiliser sa compétence sur le développement économique et l’aménagement du territoire pour :
*promouvoir des réseaux de l’économie locale pour l’agriculture et une politique de labellisation de l’agriculture paysanne et biologique (lutte contre les pesticides). En forçant les établissements publics à s’approvisionner auprès de ces circuits. Aider aussi les agriculteurs à se reconvertir vers ce modèle. En liaison aussi avec le développement du tourisme rural.
*promouvoir une assistance éco et juridique aux salariés pour la création de SCOP, notamment à chaque fois qu’une boîte ferme.
*Ouvrir une agence pour promouvoir des industries de pointe tournées vers une utilité sociale (en liaison avec des laboratoires de l’université), dans un vaste programme de reconversion du pôle militaire (Bordeaux, Landes, Pyrénées atlantiques), avec programmes d’aide à la reconversion pour les salariés volontaires de ces dernières.
*Lancer un vaste projet de montée en puissance des énergies renouvelables et des économies d’énergies en liaison avec les agences d’urbanisme des villes de la région. Demander parallèlement à l’État un calendrier pour la fermeture de la centrale de Blaye (au regard notamment des risques accrus par le réchauffement climatique).
*Financer la modernisation du réseau des TER, pour irriguer le territoire et favoriser à terme une déconcentration d’activités métropolitaines vers des villes moyennes et petites. L’idée étant d’aller vers un réseau régional de villes participant de la vitalité (et ne pas la laisser à la seule métropole). La déconcentration de services régionaux dans certaines de ces villes pouvant participer du même objectif. Un projet culturel de manifestations aidées (théâtre, cinéma, danse, exposition, etc…) pouvant tourner dans toute la région irait dans le même sens (penser à ce que faisait García Lorca avec sa troupe « la Barraca » dans l’Espagne des années 30).
* On ne peut pas s’extraire totalement de la logique en cours et il faudrait sans doute, pour des raisons géographiques, favoriser un partenariat avec Midi-Pyrénées (pour Toulouse) et la Région Basque (pour Bilbao). Entre Paris (ville Mondiale) et Madrid, le triangle de ces trois villes est structurant.
Ici, il faut pointer le problème de l’extension très loin vers le nord de la grande région et de la très grande périphérie dans laquelle se retrouvent Limoges, Guéret… Ici, il faudrait sans doute accompagner des projets territoriaux autonomes, en liaison avec les régions environnantes.
François Richard, Bordeaux le 27/09/2015