Ce livre de Jean-Pierre Martin a paru cette année alors que les luttes de soignants en psychiatrie ont connu un renouveau à Poitiers, Niort, Saint Étienne-du-Rouvray, etc. Alors que des charlatans scientistes au service des dominants osent annoncer un monde sans angoisse grâce à la pharmacie et aux techniques de conditionnement, ces soignants ont crié leur colère de ne même plus avoir les moyens de soigner humainement. Ils n’ont reçu comme réponse que du mépris et de l’indifférence.
Aux côtés de ces soignants, l’auteur, psychiatre retraité, insiste sur le rôle des associations de patients de familles, des associations, des syndicats. Il revisite le passé de la psychiatrie et ses débats anciens. Il propose aussi une critique détaillée des lois et orientations politiques qui déstructurent aujourd’hui le champ de la psychiatrie et aborde la question de la défense des droits fondamentaux de façon précise.
Il participe à un renouveau naissant des controverses sur les libertés, sur la folie, sur l’émancipation sociale. Renouveau porté particulièrement par le mouvement Printemps de la psychiatrie.
Émancipation de la psychiatrie. Des garde-fous à l’institution démocratique, Jean-Pierre Martin, Éditions Syllepse, Collection « Utopie Critique », janvier 2019, 20O pages, 18 €.
Dans l’édition de juillet de l’excellente revue Pratiques, les cahiers de la médecine utopique, Pascal Boissel a publié une recension de l’ouvrage de Jean-Pierre Martin.
Émancipation de la psychiatrie
Ce livre de notre ami Jean-Pierre Martin a paru en ce début 2019, alors que les luttes en psychiatrie ont connu un renouveau : il est vraiment le bienvenu. Il nous propose un « manuel » où l’histoire des mouvements qui traversèrent la psychiatrie, en France et dans d’autres pays est revisitée. Son érudition nous permet de relire ce passé et d’analyser notre présent alors que la maladie mentale est annoncée par les capitalistes comme pouvant disparaître pourvu que les recherches scientifiques soient menées avec suffisamment de financements. Bref, un monde sans angoisse grâce à la pharmacie, aux techniques de conditionnement et à une zénitude est promu par les charlatans scientistes au service des maîtres du monde.
Le rôle des associations de patients de familles, des associations de santé mentale est mis en exergue par l’auteur, ce qui est une des originalités de ce travail. Il fait une défense et illustration de la « santé mentale ». Jean-Pierre Martin inscrit la « santé mentale » dans un « processus de longue durée ». Cette longue durée voit l’hygiénisme se développer au début du 20e siècle avec des figures comme celles d’Édouard Toulouse. Il insiste sur l’utopie d’alors de produire un homme nouveau qui conduit à des pratiques de libération, mais aussi à un développement de l’eugénisme. Puis ce concept de santé mentale connaît après la seconde guerre mondiale un nouveau souffle avec son inscription dans la charte de fondation de l’Organisation mondiale de la santé en 1948. Il situe dans ce sillage la Fédération Française des Croix marine, les CEMEA, la Ligue d’hygiène mentale. « Dans ce contexte, la santé mentale reste une lutte pour l’accès aux droits des patients et un projet de transformation des hôpitaux asilaires », même si de nos jours un « nouvel hygiénisme social positif « est bien « un outil néolibéral ».
Le courant désaliéniste fit une critique en actes de l’aliénisme de l’intérieur même des hôpitaux psychiatriques. Ce fut une critique de cet enfermement asilaire qui était associé à une autre utopie du 19ème siècle, celle de l’ émancipation par la science qui passait par une objectivation et une exclusion sociale des sujets hospitalisés. De cette pensée désaliéniste il nous propose de considérer trois grandes orientations : la psychothérapie institutionnelle, le secteur psychiatrique, et la psychanalyse pour enfants en institution. La première avec Tosquelles et Oury propose les outils et concepts que sont l’analyse institutionnelle, le transfert éclaté/dissocié du patient psychotique. L’auteur la définit comme « science des relations humaines et de la subjectivité ».
Il en différencie le courant du secteur (avec Lucien Bonnafé) qui est une volonté de psychiatrie dans la communauté qui donna lieu à ce qui fut appelé des alternatives à l’ hospitalisation comme les Centre médico psychologiques ou les Centres d’accueil et de soins.
Ce livre n’est pas seulement un livre historique, il propose aussi une critique détaillée des lois et orientations politiques qui déstructurent aujourd’hui le champ de la psychiatrie. La question du droit, de la défense des droits fondamentaux est abordée de façon répétée tant la suspension des libertés des personnes hospitalisées sous contrainte en service psychiatriques rend ce débat toujours actuel et toujours renouvelé. Surtout en notre époque où les idéologies sécuritaires prolifèrent. Le rôle du juge comme garant des libertés pour ces personnes, et qui aurait les moyens de faire ce travail y est affirmé avec force.
L’objectif à l’horizon est une « révolution démocratique », mais cette émancipation visée existe dès à présent selon l’auteur dans le champ psychiatrique dans des expériences singulières. Cependant le concept d’émancipation employé me semble poser plus de questions qu’apporter de réponses. Des controverses sur l’émancipation, sur l’utilisation actuelle du concept de santé mentale, sur ce qui reste vivant des oppositions entre psychothérapie institutionnelle et secteur, sur la place des associations de patients de nos jours, et de bien d’autres sujets encore sont possibles en prenant cet ouvrage et d’autres comme bases de discussion. Sans oublier des discussions sur la psychanalyse qui s’est développée essentiellement en extériorité aux institutions psychiatriques, ce qui a entraîné diverses méconnaissances de part et d’autre, ce à quoi l’auteur ne saurait échapper : encore un chantier de réflexion nécessaire !