Nous publions ici un article de Stathis Kouvelakis, paru le 5 mai sur le site de la revue américaine « Jacobin », dans lequel il met en lumière les difficultés nées de l’accord du 20 février et la nécessité de trouver les voies de la mobilisation.
La peur du Grexit ne doit plus nous paralyser.
La décision du gouvernement de Syriza de transférer la totalité des réserves disponibles du secteur public à la Banque de Grèce marque un tournant politique. Ce mouvement à haut risque démontre le plus clairement possible la nature de la situation telle qu’elle a évolué en deux mois et demi, depuis l’accord du 20 février.
L’argument qui avait été avancé en faveur de cet accord était qu’il permettait « de gagner du temps », malgré son prix élevé, en vue de préparer le terrain pour les négociations clés de l’été. On nous affirmait que, pour une période de quatre mois, la Banque Centrale Européenne allait mettre un terme à la torture qu’elle imposait à l’économie grecque depuis le 5 février, quand elle avait décidé de mettre fin au principal mécanisme d’approvisionnement en liquidités des banques grecques. Comme on le reconnaît généralement aujourd’hui, le gouvernement grec avait été contraint de signer cet accord inéquitable sous la pression d’un retrait accéléré des dépôts des banques et la menace de leur effondrement.
Et maintenant, avec l’épuisement des fonds publics, désormais insuffisants pour assurer à la fois le service de la dette et les obligations incompressibles de l’Etat, il est évident que le seul temps gagné a été à l’avantage des institutions européennes et que la partie grecque est exposée à l’intensification du chantage tant ses positions se détériorent.
Le climat belliqueux, sans précédent, de la réunion de l’Eurogroupe de Riga, au cours de laquelle le Ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis, a été cloué au pilori par ses homologues ( y compris ceux de pays pesant d’un aussi faible poids que la Slovaquie et la Slovénie) montre suffisamment clairement de combien d’humiliations le gouvernement grec a eu à souffrir au cours des deux derniers mois.
Au-delà de l’erreur
Dans une déclaration remarquable, le 23 avril, Euclide Tsakalotos, vice-ministre responsable des relations économiques internationales, qui a maintenant succédé à Yanis Varoufakis à la tête de l’équipe des négociateurs, soulignait, de manière significative « Quand nous avons apposé notre signature au bas de l’accord du 20 février, nous avons commis l’erreur de ne pas nous assurer du fait que cet accord serait un signal pour la Banque Centrale Européenne pour commencer le compte-à-rebours des liquidités ». Cette « erreur » ne concerne pourtant pas quelques aspects secondaires, mais bien le point central de l’accord. Elle a une raison spécifique, qui est de caractère politique et non pas technique.
La partie grecque n’a pas pris en compte ce qui était évident, dès le début, à savoir que la BCE et l’Union Européenne n’allait pas rester à se tourner les pouces face à un gouvernement de la gauche radicale. Dans leur arsenal, l’arme au plus gros calibre est le contrôle des liquidités, et il était totalement prévisible et logique qu’ils s’en servent immédiatement. Et, naturellement, les créanciers ont toutes les raisons de continuer à « serrer le nœud » (l’expression est d’Alexis Tsipras) jusqu’à ce qu’ils aient contraint la Grèce à une capitulation totale.
Pour le dire autrement, si les créanciers, avec l’accord du 20 février, avaient accepté « d’assurer l’approvisionnement en liquidités », s’ils avaient dissocié cette provision des plans d’austérité qu’ils tentent d’imposer, ils se seraient tout simplement privés eux-mêmes du plus significatif des moyens de pression qu’ils avaient à leur disposition. Que Tsakalotos puisse penser qu’ils auraient pu le faire est le signe d’une extrême naïveté politique, sinon d’un aveuglement volontaire, en particulier quand une grande partie de son propre parti l’avait averti d’entrée de jeu de l’inévitabilité de ce développement.
Ainsi, l’ « erreur » provient d’une hypothèse de travail fondamentalement fausse, sur laquelle la stratégie du gouvernement a été basée dès les premiers moments : « nous aboutirons finalement à un accord avec les créanciers, permettant à Syriza de mettre en œuvre son programme tout en demeurant dans l’Eurozone ». C’est, on le voit clairement, à présent, la logique vouée à l’échec de « l’européanisme de gauche ».
Et maintenant ?
Bien que l’on ait usé et abusé de cette formulation, on ne peut trouver de meilleure pour décrire la situation actuelle du pays, que de dire qu’elle est suspendue à un fil. Avec la méthode et le contenu de la décision sur le transfert des fonds, i.e. par décret ministériel, le gouvernement se retrouve dans une situation très difficile, non seulement sur le plan économique, mais aussi politiquement. Il pourrait bien avoir créé les conditions, pour des « cacerolazos » à la grecque, ces formes de protestations utilisées par les forces réactionnaires et les oppositions soutenues de l’étranger dans les pays d’Amérique Latine qui tentent de renverser les gouvernements de gauche.
La seule issue face au risque d’enfermement dans la cage de fer des Memoranda et de déraillement du projet de Syriza réside dans la relance des mobilisations populaires, pour retrouver le climat d’espoir et la combativité qui prévalaient avant l’accord du 20 février. Il n’est pas trop tard. C’est le moment précis de tenir un discours clair, le seul qui peut avoir un impact et mobiliser le peuple, précisément parce qu’il le traite avec respect, en adulte, agent de son propre destin.
Ce qui est en jeu aujourd’hui en Grèce, c’est la possibilité d’un changement radical, l’ouverture d’une voie vers un bouleversement politique et l’émancipation de son peuple, de sa classe travailleuse, mais aussi de celle de toute l’Europe.
La peur du Grexit ne doit plus nous paralyser. Il est temps d’affirmer clairement, pour commencer, que quels que soient les fonds transférés par la nouvelle législation dans les coffres publics, il doivent être consacrés à la couverture des besoins publics et sociaux et non aux paiements des créanciers.
L’heure est également venue de mettre un terme au radotage soporifique à propos des « négociations qui avancent » et des « accords en vue ».
Il est temps de mettre immédiatement un terme aux références surréalistes aux « solutions mutuellement profitables » et aux « partenaires » avec lesquels nous sommes supposés être les « copropriétaires de l’Europe ».
Il est temps de révéler au public grec et à l’opinion publique internationale les faits qui mettent en évidence la guerre sans merci qui est menée contre ce gouvernement.
Et le temps est venu, par dessus tout, de se préparer finalement, politiquement, techniquement et culturellement à cette solution honorable que serait la séparation d’avec cette implacable bande de djihadistes du néo-libéralisme.
Le temps est venu d’expliciter le contenu et d’expliquer la viabilité de la stratégie alternative, qui commence avec la double initiative de la suspension des remboursements de la dette et de la nationalisation des banques, et qui se poursuit, si nécessaire avec le choix d’une monnaie nationale approuvée par le public au cours d’un référendum populaire .
Le temps est venu pour la réflexion sérieuses mais aussi pour les actes décisifs. C’est le moment dans lequel le désastre et la rédemption se retrouvent côte-à-côte.
C’est le moment de riposter.
Stathis Kouvélakis. Traduit de l’anglais par Mathieu Dargel.
Texte original sur le site de Jacobin : www.jacobinmag.com/2015/05/kouvelakis-syriza-ecb-grexit/