5 décembre 2025

Haaretz. « Israël a déjà annexé la Cisjor­da­nie ».

Haaretz | Opinion, 5 août.

Opinion |Israël a déjà annexé la Cisjor­da­nie dans la pratique

Tamar Megiddo , Ronit Levine-Schnur, Yaël Barda

Le profes­seur Yael Barda et le Dr Tamar Megiddo enseignent au dépar­te­ment de socio­lo­gie et d’an­thro­po­lo­gie de l’Uni­ver­sité hébraïque de Jéru­sa­lem ; le Dr Ronit Levine-Schnur enseigne à la faculté de droit de l’Uni­ver­sité de Tel Aviv.

5 août 2025

La Knes­set a voté le 23 juillet en faveur d’une décla­ra­tion osten­si­ble­ment spec­ta­cu­laire : la recon­nais­sance du droit de l’État d’Is­raël sur la Judée-Sama­rie et l’af­fir­ma­tion de la souve­rai­neté israé­lienne sur les colo­nies juives de la région (en zone C). Les médias israé­liens ont annoncé qu’il s’agis­sait du « début de l’an­nexion » de la Cisjor­da­nie à l’État d’Is­raël.

Mais la vérité est tout autre : cette décla­ra­tion n’est qu’un début. C’est un écran de fumée destiné à masquer le fait que l’an­nexion a déjà eu lieu – non pas par le biais d’un drame consti­tu­tion­nel, mais par des démarches bureau­cra­tiques discrètes, constantes et mono­tones.

(…) En réalité, l’an­nexion d’un terri­toire ne néces­site ni décla­ra­tion ni acte légis­la­tif.

Comme nous l’avons soutenu dans un article scien­ti­fique récent publié par l’Ox­ford Jour­nal of Legal Studies , pour recon­naître qu’une annexion « complète » est en cours, il suffit d’exa­mi­ner le cadre d’or­ga­ni­sa­tion norma­tif avec lequel l’État gère le terri­toire, la struc­ture orga­ni­sa­tion­nelle et la machine bureau­cra­tique de l’État ; et la perfor­mance symbo­lique du pouvoir.

La Cour inter­na­tio­nale de Justice, dans son avis consul­ta­tif de juillet 2024, a égale­ment adopté la posi­tion selon laquelle l’an­nexion ne néces­site pas de décla­ra­tion offi­cielle. Elle a égale­ment constaté qu’Is­raël avait déjà annexé au moins certaines parties de la zone C. En d’autres termes, une annexion non décla­rée, réali­sée par des moyens bureau­cra­tiques, consti­tue une annexion.

Les actions du gouver­ne­ment israé­lien au cours des deux dernières années ont conduit Israël à ache­ver l’an­nexion des terri­toires, sans feuille de route poli­tique ni légis­la­tion. Pour ce faire, il a profon­dé­ment modi­fié l’au­to­rité des organes étatiques opérant dans les terri­toires, la struc­ture et les méthodes de contrôle de ces derniers, ainsi que l’uti­li­sa­tion des budgets alloués à l’éta­blis­se­ment et au renfor­ce­ment du contrôle israé­lien.

(…)  Si, il y a deux ans encore, la Cisjor­da­nie était consi­dé­rée comme sous régime mili­taire, elle est aujourd’­hui gouver­née par les minis­tères civils israé­liens. L’ad­mi­nis­tra­tion civile est désor­mais subor­don­née à Beza­lel Smotrich, qui occupe un poste de ministre adjoint au minis­tère de la Défense. Les minis­tères des Tran­sports, de l’Édu­ca­tion et de l’Agri­cul­ture, entre autres, utilisent l’ar­mée comme sous-trai­tant pour des projets (….)

En brisant la chaîne de comman­de­ment, Smotrich a déjà fran­chi une étape déci­sive vers l’an­nexion : il a trans­féré l’au­to­rité mili­taire sur les ques­tions civiles dans les terri­toires du chef du comman­de­ment central de Tsahal – le comman­dant mili­taire de la Cisjor­da­nie – à une auto­rité civile israé­lienne.

Cette annexion ne se fait pas dans les pages des jour­naux (bien que nous en ayons déjà alerté dès la signa­ture des accords de coali­tion), mais par la formu­la­tion de docu­ments admi­nis­tra­tifs, le trans­fert de postes budgé­taires, la modi­fi­ca­tion des prin­cipes d’ur­ba­nisme, l’ac­cé­lé­ra­tion des procé­dures d’oc­troi de licences, le trans­fert de compé­tences foncières, le déve­lop­pe­ment d’in­fra­struc­tures en faveur des colo­nies et leur inclu­sion dans le système infra­struc­tu­rel et juri­dique israé­lien. Ces mesures créent la souve­rai­neté civile israé­lienne dans les terri­toires.

(…)

Alors que le monde entier a les yeux rivés sur Gaza, Neta­nya­hou accé­lère l’an­nexion de la Cisjor­da­nie

Dans ce contexte, la récente décla­ra­tion de la Knes­set ne consti­tue pas un tour­nant. Au contraire, elle s’ins­crit dans une campagne de désin­for­ma­tion. Elle four­nit au centre poli­tique un récit commode – comme si l’an­nexion néces­si­tait une décla­ra­tion – lui permet­tant ainsi de conti­nuer à nier la réalité, comme si, en l’ab­sence de décla­ra­tion, aucune annexion n’avait eu lieu. Pire encore, elle exonère les systèmes juri­diques, admi­nis­tra­tifs et poli­tiques qui permettent la mise en œuvre routi­nière de l’an­nexion.

Quel est le problème ? Outre le fait que l’an­nexion est tota­le­ment inter­dite par le droit inter­na­tio­nal, les infra­struc­tures et les struc­tures gouver­ne­men­tales conçues par le gouver­ne­ment dans les terri­toires reposent sur une discri­mi­na­tion insti­tu­tion­na­li­sée, sans accor­der de droits civiques aux rési­dents pales­ti­niens et en les discri­mi­nant systé­ma­tique­ment en matière de budgets et de ressources.

C’est aussi un problème démo­cra­tique : l’an­nexion sans droits est un régime d’apar­theid. Lorsque deux popu­la­tions vivent sur le même terri­toire, sous des systèmes juri­diques diffé­rents, avec des droits diffé­rents et une repré­sen­ta­tion diffé­rente au sein des insti­tu­tions poli­tiques, il s’agit d’un régime discri­mi­na­toire de manière struc­tu­relle et systé­ma­tique. Le déni de cette réalité par les élus qui refusent de recon­naître l’an­nexion contri­bue à perpé­tuer les viola­tions du droit et à éroder les valeurs démo­cra­tiques qui sont censées sous-tendre le système poli­tique israé­lien.

Mais les effets de l’an­nexion ne se limitent pas à l’apar­theid dirigé contre la popu­la­tion pales­ti­nienne margi­na­li­sée. Il s’in­filtre et détruit les fonde­ments du pays. L’aug­men­ta­tion signi­fi­ca­tive de la violence contre les Pales­ti­niens en Cisjor­da­nie – et la série d’at­taques et d’in­cen­dies crimi­nels perpé­trés par des groupes de colons, certains avec le soutien de l’ar­mée – annoncent le passage d’un régime d’apar­theid, avec des lois distinctes pour chaque popu­la­tion, à un régime où l’État de droit est une fiction, où l’exé­cu­tif ou ses manda­taires exercent le pouvoir et agissent en toute impu­nité, sauf dans les rares cas où un fonc­tion­naire ou un soldat refuse d’exé­cu­ter les ordres. Le déni de l’État de droit dans les terri­toires entraîne un déni simi­laire au sein de la « Ligne verte » et dans tous les autres terri­toires où Tsahal opère.

Il est temps de recon­naître que l’un des prin­ci­paux objec­tifs de la réforme judi­ciaire – suppri­mer les obstacles à l’an­nexion – a déjà été atteint. Et, comme dans un cycle auto-alimenté, l’an­nexion contri­bue égale­ment à l’en­ra­ci­ne­ment du régime du coup d’État judi­ciaire.

Le profes­seur Yael Barda et le Dr Tamar Megiddo enseignent au dépar­te­ment de socio­lo­gie et d’an­thro­po­lo­gie de l’Uni­ver­sité hébraïque de Jéru­sa­lem ; le Dr Ronit Levine-Schnur enseigne à la faculté de droit de l’Uni­ver­sité de Tel Aviv.

 

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