On entend une petite musique de dénigrement de Charlie : sexisme, grossièreté, islamophobie, vendu au patronat, metteurs d’huile sur le feux, autoritarisme et trajectoire de Val, départs de Siné, de Cavanna et d’autres, etc. , etc. Évidemment que l’on peut critiquer Charlie, mais la question n’est pas là. Charlie est un journal. On l’achète ou pas. C’est tout !
Samedi dernier, dans Les Inrocks, Luz, l’un des dessinateurs survivants, constate « On fait porter sur nos épaules une charge symbolique qui n’existe pas dans nos dessins et qui nous dépasse un peu. Je fais partie des gens qui ont du mal avec ça. » Et on le comprend. Prenez le temps de lire cette interview aussi sensible qu’intelligente. Notamment, sur la question de la responsabilité dont on leur rebat les oreilles depuis 2007, Luz précise : « Or on est un journal, on l’achète, on l’ouvre et on le referme. Si des gens postent nos dessins sur Internet, si des médias mettent en avant certains dessins, ce sont leur responsabilité. Pas la nôtre. » CQFD
A lire aussi ce court texte de Pierre François Grond publié avant les rassemblements et marches de ce dimanche mais qui amène des éléments précieux d’analyse de la situation, ici et maintenant. Il rappelle la nature profondément politique des événements qui ont provoqué de telles réactions aussi massives que salutaires. Depuis mercredi et aujourd’hui en point d’orgue, des millions de personnes sont descendues dans les rues, en France mais aussi dans le monde, pour, au-delà de l’émotion, explicitement défendre la liberté de la Presse, la liberté d’expression, la liberté tout simplement. Car quoiqu’on pense du slogan Je suis Charlie, c’est d’abord de ça dont il s’agit (et je n’ai lu que très peu de petites récupérations partisanes du genre Je suis /mettez ici votre bataille que les autres ont oublié/, quand bien même, le JeSuis… peut aussi se lire positivement). Les dessins circulent, crayons et stylos redeviennent des emblèmes de la liberté, etc. Et on reparle, même de laïcité… Que sur les réseaux les complotistes, islamophobes, djihadistes, etc. déversent leurs délires, que les gouvernants cherchent à utiliser la situation pour redorer leur image ou imaginer faire mieux passer leurs politiques sécuritaires et réactionnaires ne change rien à l’affaire.
Pascal B. me pardonnera de reprendre mot pour mot sa réflexion de ce soir :
L’important, c’est ce mouvement populaire contre ce qui est un acte barbare et fasciste. Un mouvement populaire inattendu, gigantesque, irréductible à nos schémas de pensée, irréductible aux commentaires médiatiques, aux calculs étatiques.
On annonçait une vague d’islamophobie, la peur en France et les rues sont débordantes de foules où les bons sentiments sont de règle, ce qui est mieux que les manifs des réacs de la manif pour tous, pas si anciennes. Jusque là c’est une bonne nouvelle. Bien des gens qui ont peur sont restés chez eux et il y avait d’autres raisons de rester chez soi, et peu importe maintenant. Sauf que la peur est parfois comme contagieuse et toujours mauvaise conseillère. Conjurée jusqu’à présent.
Il reste cet évènement politique. Que nous saurons analyser, penser. Ou pas.
Enfin, j’ai vu cet après-midi place d’Armes à Poitiers, parmi la foule, un groupe de religieuses en costume ecclésiastique applaudir Charlie et je me suis souvenu de la façon dont Cabu les dessinait. Franchement, je n’ai pas eu l’impression de me faire piéger. Mais je l’avoue, je ne suis pas allé leur demander si elles étaient là pour enfoncer la concurrence ou me faire oublier les méfaits de la mondialisation où la situation sociale faite à tel ou tel.
Thierry Pasquier
J’ai souvent entendu en Euskadi, au Portugal, dans l’État espagnol, des camarades de là-bas me dire que la France était un « peuple politique », sans vraiment comprendre ce que cela voulait dire. Sans sublimer la diversité des raisons, des motivations et des peurs, quand je vois le peu de présence des arguments du FN dans les manifs, la non reprise en boucle par les manifs (malgré la propagande gouvernementale) de l’argument « nous sommes en guerre », je commence à comprendre la remarques de ces camarades étrangers. Pendant l’attentat en 2004 en Espagne, beaucoup de morts et beaucoup de débats (attentat de ETA ou Al Quaida ?) mais la revendication populaire qui dominait était « nous n’avons pas peur, non au terrorisme » (celle que le gouvernement voulait faire passer en contrebande était « oui à la constitution »). Grosse différence.
Cordialement