Un article de Claude Quémar du CADTM.
« Ces dernières années le continent africain nous était présenté comme le nouvel Eldorado mondial, riche de ses matières premières, connaissant des taux de croissance du PIB qui faisaient rêver le reste du monde touché par la crise de 2008, une démographie allant à l’encontre du vieillissement mondial…
(…)
L’optimisme a donc saisi les pays africains exportateurs de matières premières. Leur endettement diminuait fortement, tendance accentuée, pour certains, par leur participation à l’Initiative pays pauvres très endettés (IPPTE), initiée par le FMI et les créanciers bilatéraux membres du Club de Paris. Cette initiative, en réduisant partiellement leur dette publique, mais surtout en la rééchelonnant sur plusieurs décennies, semblait en rendre moins insoutenable le remboursement.
Plutôt que de profiter de cette conjoncture pour rompre avec ce modèle de développement extractiviste sans avenir, et répondre aux besoins de leurs populations en termes d’éducation, de santé… les gouvernements de ces pays se sont rendus encore plus dépendants des grandes sociétés minières et pétrolières. Les populations n’ont que très peu profité de cette période, le taux de pauvreté n’a que peu diminué, voire pas du tout. La présence de la Guinée équatoriale parmi les pays ‘développés’ d’après la Banque mondiale, selon le seul critère du PIB par habitant, en est un bon exemple. Seulement 30 % de la population a accès à l’électricité tandis que l’espérance de vie reste bloquée à 53 ans.
(….)
Dès 2013, lorsque le cours des matières premières a entamé une spirale descendante, des voix (dont celle du CADTM) se sont élevées pour alerter des dangers encourus par ces pays(…)
Première alerte au Mozambique : un seul prêt et tout s’effondre
Cette situation se dégrade à grande vitesse et la question se posait de savoir quel serait le premier pays du continent à faire défaut. Si l’on excepte le Soudan et le Zimbabwe, qui font déjà défaut, pour des raisons différentes, la première alerte semble donc bien venir du Mozambique. Le Mozambique a (….) une économie s’appuyant sur les exportations de matières premières (charbon, aluminium, gaz) qui ont vu leur cours baisser fortement ces dernières années. Fortement dépendant des exportations vers l’Afrique du Sud, qui connait une situation économique difficile, ainsi que des investissements étrangers dans le secteur minier et gazier en baisse, face à la crise mondiale, le pays est très fragilisé. La monnaie locale, le metical, est fortement affaiblie face aux devises fortes, et y compris, depuis quelques mois, face au rand sud-africain, son principal partenaire commercial, rand pourtant fortement affaibli également.
Le taux de croissance, après plusieurs années à 8 %, a chuté en 2015, chute causée par un ralentissement du secteur minier et des inondations qui ont touché le secteur agricole. Le déficit courant est en forte hausse et, malgré l’intervention importante du FMI, les réserves de devises ont fortement chuté depuis 2014.
Le retournement de conjoncture touche ce pays de plein fouet, le fragilisant face à tout incident.
Et cet incident est arrivé avec un prêt de l’entreprise publique Empresa Moçambicana de Atum SA (EMATUM). (…)
Si un accord a été trouvé, le prix à payer par le Mozambique est très lourd. De 6,25 % le taux passe à 10,5 %. Le Mozambique, afin de ne pas dépasser le cap symbolique des 11 %, pas encore atteint sur le continent, a proposé aux créanciers de recevoir 105 obligations en échange de 100 obligations précédentes, faisant passer de facto le taux réel au-delà de 11 %.
Les perspectives économiques mozambicaines étant ce qu’elles sont, c’est-à-dire totalement dépendantes de l’évolution du cours des matières premières, on voit mal comment le pays pourra faire face à ces nouvelles conditions qui s’ajoutent à un stock de la dette en constante augmentation ces dernières années.
Le Mozambique apparait ainsi comme le premier pays faisant face à cette nouvelle crise qui vient. En empruntant sur les marchés financiers du Nord, les pays africains se sont soumis à des pressions nouvelles, celles de créanciers dont l’objectif est d’obtenir un maximum de rendement à court terme, et, y compris, les pressions des fonds vautours, que l’expérience argentine va encourager.
Claude Quémar, 2 avril 2016
Publié sur le site du CADTM, sur le site entreleslignesentrelesmots