La nouvelle Vie ouvrière: « « Insis­ter sur les liens entre le fascisme histo­rique et l’ex­trême droite contem­po­raine »

A quelques semaines des élec­tions euro­péennes, le Rassem­ble­ment natio­nal (RN) est donné en tête des inten­tions de vote aux élec­tions euro­péennes. Au Parle­ment de Stras­bourg, l’ex­trême droite pour­rait ainsi se hisser au niveau du bloc de droite. La Vie Ouvrière a rencon­tré, à l’oc­ca­sion de son numéro spécial consa­cré à l’ex­trême droite, Ludi­vine Banti­gny, histo­rienne, et Ugo Palheta, socio­logue, qui ont travaillé sur les dangers de la menace fasciste et sur les moyens de la contrer.
La Nouvelle Vie Ouvrière 12 avril 2024 | Mise à jour le 12 avril 2024
Par Jean-Philippe Joseph | Photo(s) 
Quelle est la struc­ture idéo­lo­gique de l’ex­trême droite ?
Ugo Palheta : Elle est traver­sée par des courants, au même titre que la droite conser­va­trice ou la droite libé­rale. En Italie, par exemple, on iden­ti­fie quatre, voire cinq mouve­ments, dont Fratelli d’Ita­lia, actuel­le­ment au pouvoir, et la Ligue, ancien­ne­ment Ligue du Nord, fondée par Matteo Salvini, vice-président du Conseil des ministres. En France, à côté des partis insti­tu­tion­nels, le RN et Reconquête!, il existe une extrême droite extra­par­le­men­taire : l’Ac­tion française (fondée à la fin du xixe siècle au moment de l’af­faire Drey­fus), les iden­ti­taires, qui ont émergé il y a une ving­taine d’an­nées, la mouvance natio­na­liste révo­lu­tion­naire, et quelques autres courants. Ce qui les réunit tous, c’est moins un programme qu’une vision du monde. C’est une obses­sion du déclin de la civi­li­sa­tion, de la nation et/ou de la « race », de la destruc­tion d’une commu­nauté consi­dé­rée comme orga­nique et que l’ex­trême droite prétend défendre : la nation française, la race blanche, la civi­li­sa­tion euro­péen­ne… Cette déca­dence provien­drait prin­ci­pa­le­ment de la présence d’élé­ments étran­gers qui consti­tue­raient une menace mortelle pour la commu­nauté. Ce qui fonde aussi l’idéo­lo­gie d’ex­trême droite, c’est la haine de l’éga­lité et de tous les mouve­ments qui portent cette exigence : syndi­cats, fémi­nistes, anti­ra­cistes, etc. Enfin, elle entre­tient un idéal de régé­né­ra­tion natio­nale, civi­li­sa­tion­nelle ou raciale : une régé­né­ra­tion qui ne pour­rait s’opé­rer, selon elle, que par une vaste entre­prise de puri­fi­ca­tion, ou dans une version euphé­mi­sée chez Marine Le Pen, de mise au pas des mino­ri­tés et de ceux qui pren­draient « le parti de l’étran­ger », comme le dit Éric Zemmour, ou qui dissolvent la nation ou la civi­li­sa­tion blanche/euro­péenne en alimen­tant des conflits suscep­tibles de les frac­tu­rer : conflits de classe, combats pour l’éga­lité hommes/femmes…
La vision de la société qu’a l’ex­trême droite est celle d’une commu­nauté, natio­nale, raciale, ou les deux, qui prétend -préser­ver son homo­gé­néité contre toute forme d’al­té­rité.
Ludi­vine Banti­gny  : Au-delà de sa diver­sité et de ses réfé­rences très diverses, l’ex­trême droite, c’est aussi une oppo­si­tion à ce qu’ont repré­senté les prin­cipes philo­so­phiques et poli­tiques liés à la Révo­lu­tion française : droits humains, justice, égalité, citoyen­neté, donc capa­cité de déli­bé­rer et de déci­der. Joseph Goeb­bels [ministre de la Propa­gande d’Adolf Hitler, NDLR] voulait « effa­cer l’an­née 1789 de l’his­toire ». La vision de la société qu’a l’ex­trême droite est celle d’une commu­nauté, natio­nale, raciale, ou les deux, qui prétend -préser­ver son homo­gé­néité contre toute forme d’al­té­rité. Les indi­vi­dus ne sont qu’une cellule d’un ordre social, écono­mique immuable, à préser­ver. Il n’y a pas de place pour un indi­vidu ayant des droits et une légi­ti­mité à inter­ve­nir dans l’his­toire. C’est un refus de l’his­toire telle qu’elle avance, notam­ment par les luttes sociales et poli­tiques, la conquête de liber­tés et de droits… Toute forme de lutte, en parti­cu­lier des classes, est bannie, répri­mée, et si besoin élimi­née, avec la liqui­da­tion physique des oppo­sants. Le fascisme italien s’est consti­tué de cette manière, au cœur des « années rouges », 1919 et 1920, qui ont été marquées par des mouve­ments révo­lu­tion­naires ouvriers, comme cela avait été le cas en Russie, en 1917, et en Alle­magne, avec la révolte spar­ta­kiste, ou encore en Hongrie. Le Rassem­ble­ment natio­nal est le creu­set de toutes ces généa­lo­gies. Lorsque le Front natio­nal a été créé, en 1972, on y trou­vait aussi bien des catho­liques inté­gristes, des courants paga­nistes, des nostal­giques de l’Al­gé­rie française, anciens membres de l’OAS (l’Or­ga­ni­sa­tion de l’ar­mée secrète), des néofas­cistes, des colla­bo­ra­tion­nis­tes…
L’ex­trême droite se défi­nit-elle par le souve­rai­nisme et le popu­lisme, comme on l’en­tend souvent ?
Ugo Palheta : Je pense que la caté­go­rie de souve­rai­nisme est un piège. Tout d’abord, parce que, dans de nombreuses circons­tances, les extrêmes droites n’ont pas été les défen­seures de la souve­rai­neté natio­nale. Au moment où la France est occu­pée mili­tai­re­ment par l’Al­le­magne, en 1940, le régime de Vichy choi­sit de colla­bo­rer avec la puis­sance étran­gère. On pour­rait aussi parler des dicta­tures en Espagne, au Portu­gal, en Grèce, qui ont permis la péné­tra­tion des capi­taux impé­ria­listes étran­gers à grande échelle. De quoi parle-t-on quand on invoque la souve­rai­neté ? La souve­rai­neté pose la ques­tion d’un contrôle collec­tif de son destin, mais elle n’est pas, en tant que telle, une valeur de droite ou d’ex­trême droite : tout dépend de la manière dont est défini le collec­tif souve­rain et, dans la version de l’ex­trême droite, il est toujours fondé – expli­ci­te­ment ou non – sur une base natio­nale-raciale. On peut la défi­nir comme souve­rai­neté popu­laire, donc sur une base de classe trans­cen­dant le clivage natio­naux/étran­gers. En fait, les caté­go­ries de « souve­rai­nisme » et de « popu­lisme » masquent ce qui est vrai­ment au cœur de la vision du monde de l’ex­trême droite et de son projet morti­fère, en évitant soigneu­se­ment de rappe­ler qu’elle est d’abord natio­na­liste, raciste, réac­tion­naire, anti­so­ciale, etc. Sans parler du fait que ces caté­go­ries font impli­ci­te­ment des extrêmes droites les défen­seures natu­relles de la « souve­rai­neté » et du « peuple ». Il y a donc tout à gagner à insis­ter sur les liens entre le fascisme histo­rique et l’ex­trême droite contem­po­raine.
Ludi­vine Banti­gny : Pierre Laval, chef du gouver­ne­ment de Pétain, à Vichy, décla­rait en juin 1942 : « Je souhaite la victoire de l’Al­le­magne parce que, sans elle, le bolche­visme demain s’ins­tal­le­rait partout. » L’ul­tra­na­tio­na­lisme, notam­ment hérité de l’Ac­tion française, voit des enne­mis partout, avec une para­noïa obses­sion­nelle (ce qu’elle appe­lait les quatre états confé­dé­rés, à savoir « les Juifs, les francs-maçons, les protes­tants et les métèques » – les étran­gers). Une partie de l’ex­trême droite se réclame d’un euro­péisme civi­li­sa­tion­nel et racial. Les iden­ti­taires, bien ancrés dans la grille de la Nouvelle Droite, théo­ri­sée par le Grou­pe­ment de recherche et d’études pour la civi­li­sa­tion euro­péenne (Grece) dans les années 1970–80, consi­dèrent que l’en­semble cohé­rent du point de vue racial, biolo­gique et cultu­rel, c’est l’Eu­rope et, au-delà, l’Oc­ci­dent. Le racia­lisme, en tant que racisme systé­mique, postule qu’il y a des races biolo­giques à proté­ger contre les autres, et qu’il existe une hiérar­chie entre elles. Il se fait passer pour scien­ti­fique et l’an­ti­sé­mi­tisme a été l’un de ses fonde­ments au xixe siècle.
 Vous avez publié ensemble, il y a trois ans, Face à la menace fasciste. Sortir de l’au­to­ri­ta­ris­me*. Au regard des crises qui se succèdent depuis quinze ans et de l’ar­ri­vée au pouvoir de l’ex­trême droite dans de nombreux pays en Europe, feriez-vous le paral­lèle avec les années 1930 ?
Ugo Palheta  : Les choses ne sont ni radi­ca­le­ment diffé­rentes, ni iden­tiques. On peut poin­ter ainsi des paral­lèles : par exemple, le fait que les droites, à un certain stade de la crise écono­mique et sociale et de désta­bi­li­sa­tion de l’ordre poli­tique, sont amenées à enga­ger des poli­tiques qui vont sur le terrain de l’ex­trême droite, voire à nouer des alliances, à construire des coali­tions avec elle. À des moments précis de l’his­toire, de crise du capi­ta­lisme, d’af­fai­blis­se­ment des insti­tu­tions démo­cra­tiques et de crise de repré­sen­ta­tion poli­tique, on voit s’opé­rer des conver­gences entre des courants poli­tiques qui, initia­le­ment, n’ont pas la même histoire, ni la même vision du monde. L’exemple récent, c’est la coali­tion, en Italie, entre des compo­santes issues du néofas­cisme, en l’oc­cur­rence Fratelli d’Ita­lia, d’une extrême droite née sur une base régio­na­liste au tour­nant des années 1990 (la Ligue), et d’une droite plus clas­sique née dans les années 1990, incar­née par Forza Italia, parti créé par Silvio Berlus­coni. Le Fidesz, en Hongrie, a suivi le même chemi­ne­ment. Au moment où le bloc de l’Est s’ef­fondre, Viktor Orban s’af­firme comme un repré­sen­tant de la droite libé­rale, d’ins­pi­ra­tion that­ché­rienne et même plutôt progres­siste sur certaines ques­tions. Puis, il va enta­mer assez vite un proces­sus de radi­ca­li­sa­tion à droite qui va l’ame­ner à se rappro­cher de tradi­tions diffé­rentes, issues de l’ex­trême droite hongroise – ethni­ciste, réac­tion­naire, natio­na­liste –, pour donner corps aujourd’­hui à une sorte d’ordo-natio­na­lisme.
Ludi­vine Banti­gny : Le contexte était aussi parti­cu­lier dans les années 1930. La bruta­li­sa­tion (au sens d’une accou­tu­mance à la violence) qu’a engen­drée la Première Guerre mondiale est un phéno­mène sans lequel on ne peut pas comprendre les formes spéci­fiques qu’a prises l’ex­trême droite dans l’entre-deux-guerres. L’in­ven­tion du parti-milice ne pouvait s’opé­rer que dans une Europe meur­trie par la guerre, où des millions de jeunes hommes avaient été conduits à voir la mort autour d’eux, à tuer et à déve­lop­per un rapport morti­fère à la violence. La situa­tion est diffé­rente aujourd’­hui. L’ex­trême droite n’a pas besoin à ce point de la violence de rue comme dans l’entre-deux-guerres, où elle faisait face à un mouve­ment ouvrier extrê­me­ment bien implanté, struc­turé et orga­nisé en partis et syndi­cats de masse. Le niveau d’in­ten­sité de la conflic­tua­lité était très élevé. Le capi­ta­lisme connais­sait alors une crise struc­tu­relle comme il en a connu d’autres par la suite, et dont l’ex­trême droite fait en géné­ral son terreau. Mais je suis dubi­ta­tive sur un proces­sus de fasci­sa­tion qui se ferait à l’iden­tique. George Orwell, l’au­teur du roman d’an­ti­ci­pa­tion 1984, disait : « Lorsque les fascistes revien­dront, ils auront le para­pluie bien roulé sous le bras et porte­ront le chapeau melon. » Même si de nombreux groupes, encore, se reven­diquent expli­ci­te­ment du fascisme et s’or­ga­nisent en petites milices, comme on le constate dans la région de Lyon. Tout cela s’ins­crit dans une logique de mili­ta­ri­sa­tion, d’ac­cou­tu­mance à l’idée de la guerre, comme le montre tout le voca­bu­laire du « réar­me­ment » mobi­lisé par Emma­nuel Macron. Dans la période qui a précédé la Première Guerre mondiale, on a assisté à la créa­tion, par exemple, des bataillons scolaires où l’école formait les élèves à la pratique mili­taire, leur appre­nait des chants patrio­tiques, la marche au pas, le manie­ment des armes. Le fait que le gouver­ne­ment Macron veuille abso­lu­ment géné­ra­li­ser le service natio­nal univer­sel (SNU) en classe de seconde, où les jeunes appren­dront à se mettre au garde-à-vous, à assis­ter au lever du drapeau et à chan­ter La Marseillaise, n’est pas anodin. Cela laisse entendre que la jeunesse doit être prête au sacri­fice.
Le deuxième chapitre de votre ouvrage est consa­cré à l’au­to­ri­ta­risme du capi­tal et à la montée de la violence insti­tu­tion­nelle. Le néoli­bé­ra­lisme est-il le meilleur allié de l’ex­trême droite ?
Ugo Palheta : Le néoli­bé­ra­lisme est, par essence, auto­ri­taire, dans la mesure où une grande partie de ce projet bour­geois consiste à réduire le plus possible les conquêtes popu­laires et le péri­mètre des contre-pouvoirs, notam­ment sur les lieux de travail. Cumu­lées sur plusieurs décen­nies, les poli­tiques néo-libé­rales engendrent néces­sai­re­ment des résis­tances. Cela a été parti­cu­liè­re­ment le cas en France, avec dans les dix dernières années les mobi­li­sa­tions contre la loi Travail et les contre-réformes des retraites, la défense des services publics de santé, etc. Face à cela, le pouvoir a deux options : une tradi­tion­nelle, consis­tant à cher­cher certains compro­mis de manière à limi­ter la conflic­tua­lité et les formes d’ins­ta­bi­lité poli­tique ; ou l’autre, qui est celle de tous les gouver­ne­ments depuis quinze ans, qui consiste à gérer le conflit social par des niveaux de répres­sion beau­coup plus pous­sés que dans la période anté­rieure, avec un degré d’ar­bi­traire aussi élevé que contre les exilés, les Roms, les habi­tantes et les habi­tants des quar­tiers popu­lai­res…
Ludi­vine Banti­gny : Compte tenu de sa faible popu­la­rité, Emma­nuel Macron peut gouver­ner moins par le consen­te­ment que par la répres­sion et la coer­ci­tion, et par des formes de violences qui se déclinent tant au plan poli­cier, judi­ciaire que légis­la­tif. Et il y a ce para­doxe, qui n’est qu’ap­pa­rent : bran­dir le drapeau natio­nal et en appe­ler à l’es­prit de la Répu­blique, tout en piéti­nant et en bafouant ses prin­cipes à tout bout de champ, en faisant de plus en plus une poli­tique d’ex­trême droite avec des formes de racisme d’État, d’iné­ga­li­tés struc­tu­relles et insti­tu­tion­na­li­sées qui sont en elles-mêmes anti-répu­bli­caines, comme on l’a encore vu avec la loi Immi­gra­tion, votée en fin d’an­née dernière. C’est inté­res­sant de voir certains de ses soutiens de la première heure, comme François Sureau [haut-fonc­tion­naire et avocat, NDLR], faire le constat d’un haut niveau de violence liber­ti­cide, depuis la mise en place de l’état d’ur­gence, en 2020. Il emploie d’ailleurs le concept de « démo­cra­ture », qui combine les procé­dures formelles de la démo­cra­tie repré­sen­ta­tive avec la déma­go­gie auto­ri­taire.
Cette dérive du pouvoir signi­fie-t-elle que le « et de droite et de gauche » du Macron de 2017 est une version restau­rée du « ni droite ni gauche, Français », de Jean-Marie Le Pen ?
Ugo Palheta : La formule « ni droite ni gauche » est propre à l’ex­trême droite. On la doit à Jacques Doriot, fonda­teur du Parti popu­laire français, en 1936, et parti­san de la colla­bo­ra­tion. Le « et de droite et de gauche » procède plutôt du vieux rêve centriste des tech­no­crates néoli­bé­raux, préten­dant surmon­ter les clivages entre le centre-gauche et le centre-droite pour faire adve­nir ce que Alain Minc [diri­geant d’en­tre­prise et ancien conseiller poli­tique de Nico­las Sarkozy, avant de soute­nir Emma­nuel Macron, en 2017] appe­lait le « cercle de la raison ». Dans la pratique, le « et de droite et de gauche » a tourné rapi­de­ment en poli­tique très à droite : à son arri­vée à l’Ély­sée, Emma­nuel Macron affronte très vite une crise poli­tique, celle des Gilets jaunes, et il fait alors le choix stra­té­gique de la répres­sion la plus brutale et d’al­ler sur le terrain poli­tique d’une droite de plus en plus extrême.
Ludi­vine Banti­gny : On arrive à une situa­tion très dange­reuse où le discours poli­tique domi­nant vise à renvoyer dos à dos l’ex­trême droite et une suppo­sée « extrême gauche », éten­due de plus en plus à la gauche au sens large, qui revient à en faire un ennemi de l’in­té­rieur. En paral­lèle, il y a ces diffé­rents arse­naux légis­la­tifs – l’état d’ur­gence, la loi sépa­ra­tisme, la loi sécu­rité globale… – dont on mesure désor­mais l’am­pleur avec les disso­lu­tions ou tenta­tives de disso­lu­tion d’as­so­cia­tions qui défendent les droits des mino­ri­tés, d’or­ga­ni­sa­tions anti­fas­cistes, de mouve­ments enga­gés dans la préser­va­tion de l’en­vi­ron­ne­ment quali­fiés d’« écoter­ro­ristes ». Le comble est que tout cela se fait au nom d’un « arc répu­bli­cain » dans lequel le président inclut tantôt le RN, tantôt pas.
 
Voyez-vous des alter­na­tives se dessi­ner ?
Ugo Palheta : La civi­li­sa­tion capi­ta­liste connaît une crise sociale, démo­cra­tique, envi­ron­ne­men­tale. Dans ce contexte de décom­po­si­tion, on assiste à des hybri­da­tions entre une droite radi­ca­li­sée et une extrême droite en voie de légi­ti­ma­tion (notam­ment grâce aux médias domi­nants). Trois ques­tions se posent, à mon sens. La première est une ques­tion de tactique de construc­tion : comment déve­lop­per des collec­tifs citoyens, syndi­caux, écolo­gistes ? Deuxiè­me­ment, sur le plan de la bataille cultu­relle, comment faire recu­ler les idées racistes et réac­tion­naires dans le débat public, mais aussi faire en sorte que les propo­si­tions portées par les mouve­ments d’éman­ci­pa­tion sur les ques­tions de salaires, de services publics, etc., auxquelles la popu­la­tion adhère large­ment, soient jugées crédibles et réalistes ? Enfin, pour finir, comment construire une alter­na­tive poli­tique, sur la base de quelle stra­té­gie, avec quelles forces, quelles alliances ?
Ludi­vine Banti­gny : Nous sommes dans une phase inté­res­sante du point de vue des luttes et de l’ap­pré­hen­sion du monde. La critique radi­cale du capi­tal est rede­ve­nue légi­time, avec une crise envi­ron­ne­men­tale majeure qui prend de plus en plus l’al­lure d’un écocide. Les années 1980–1990 ont joué comme un rouleau compres­seur. Dans le discours idéo­lo­gique domi­nant, on répé­tait qu’il ne pouvait y avoir d’al­ter­na­tive au capi­ta­lisme. Se dire anti­ca­pi­ta­liste, il y a quinze ou vingt ans, était compliqué, il fallait trou­ver des euphé­mismes : anti­li­bé­ral, anti­mon­dia­liste, alter­mon­dia­lis­te… Aujourd’­hui, on voit la recons­ti­tu­tion d’un imagi­naire poli­tique, social, cultu­rel qui pose la ques­tion des rapports sociaux, de produc­tion, de propriété, du bien commun.
* « Face à la menace fasciste. Sortir de l’au­to­ri­ta­risme », éd. Textuel, 128 p.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.