Un article très documenté
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Face aux incendies, l’inaction brûle nos forêts
Publié par L’APRÈS le 10 juillet 2025
L’été 2025 est marqué par des incendies d’une ampleur inédite en France. Face à l’embrasement de l’arc méditerranéen, L’APRÈS exprime sa solidarité avec les pompiers, dénonce les carences politiques face au réchauffement climatique et appelle à une véritable bifurcation écosocialiste, fondée sur la prévention, la robustesse, la réindustrialisation écologique et l’intérêt général.
Quelques chiffres à retenir :
- +2000 hectares dans l’Aude,
- +700 à Marseille
- 85 % des feux d’origine humaine
- 30 000 pompiers volontaires en moins en 30 ans
- 95 postes supprimés à l’ONF en 2025
- +4 °C possibles d’ici 2100 si rien ne change
- 80 jours à risque très élevé dans le sud méditerranéen
Un basculement en cours
Dans l’Aude, plus de 2 000 hectares sont partis en fumée, menaçant habitations et infrastructures. À Marseille, un feu poussé par le mistral a parcouru 700 hectares en quelques heures, aux portes de la ville. Ces sinistres ne sont pas des exceptions : ils illustrent une nouvelle norme, celle des mégafeux, plus rapides, plus intenses, plus proches des zones habitées.
Le feu n’est plus un risque estival. Il s’étend désormais du printemps à l’automne, et gagne des territoires autrefois peu concernés. Même les départements atlantiques ou les zones de moyenne montagne connaissent aujourd’hui des départs de feu majeurs. C’est une mutation rapide du régime des incendies, directement liée au dérèglement climatique.
Nous exprimons notre soutien total aux pompiers, professionnels, volontaires, militaires, qui agissent avec un courage exemplaire, souvent au prix de leur santé et de leur sécurité. Mais leur héroïsme ne doit pas masquer l’inaction politique ni l’affaiblissement méthodique des services publics.
Le climat s’embrase – et nous avec
Les scientifiques le disent depuis longtemps : les incendies sont l’un des effets les plus visibles du réchauffement climatique. Les scénarios actuels prévoient une hausse de +4 °C d’ici 2100 si rien ne change. Cela signifierait une saison des feux allongée de plusieurs mois, avec plus de 80 jours à risque très élevé chaque année en zone méditerranéenne.
Pire encore, les incendies aggravent eux-mêmes le dérèglement : le CO₂ stocké dans les forêts est relâché massivement dans l’atmosphère, tandis que leur capacité d’absorption diminue. C’est un cercle vicieux. En perdant nos forêts, nous perdons nos meilleurs alliés contre la crise climatique.
Les incendies ravagent aussi la biodiversité : ils détruisent les habitats, tuent des milliers d’animaux et laissent derrière eux des sols lessivés, vulnérables à l’érosion. À force de stress thermique et hydrique, c’est toute la chaîne du vivant qui vacille – y compris l’agriculture, qui dépend de pollinisateurs, de régulation hydrique, de fertilité des sols.
Des politiques forestières contre-productives
La logique de rentabilité qui domine depuis des années les politiques forestières a produit l’inverse de ce qui est nécessaire : des plantations monospécifiques, denses, vulnérables au feu, au stress hydrique, aux tempêtes et aux parasites. Là encore, il ne s’agit pas d’une fatalité, mais d’un choix politique délétère.
C’est dans ce contexte que plusieurs parlementaires, portés par une volonté claire d’adapter notre politique forestière aux réalités climatiques, œuvrent pour une refonte ambitieuse des orientations actuelles. Parmi eux, notre camarade Hendrik Davi, ancien directeur de recherche à l’INRAE en écologie forestière, propose une transformation profonde de la gestion des forêts : diversification des essences, régénération naturelle, interdiction des monocultures dans les documents de gestion durable, limitation des coupes rases, mais aussi renforcement structurel de l’ONF et sanctuarisation de ses effectifs.
Leur démarche vise à intégrer pleinement les enjeux de biodiversité, de prévention des incendies et de captation du carbone dans les politiques publiques, tout en lançant un plan national de recherche publique sur la résilience forestière. Une direction essentielle, que nous soutenons pleinement.
Plusieurs pistes complémentaires sont également été portées par Hendrik Davi à travers des amendements structurants :
- abaisser le seuil de 20 à 10 hectares pour obliger les propriétaires privés à mettre en place des plans simples de gestion forestière ;
- créer un ministère de la Forêt dédié, pour sortir de la dilution actuelle entre ministères de l’Agriculture et de l’Écologie ;
- former annuellement les propriétaires forestiers à la prévention incendie, via les Centres Régionaux de la Propriété Forestière (CRPF).
Des moyens insuffisants, un État désarmé
La flotte de lutte anti-incendie est obsolète. Les Canadair ont 30 ans, sont souvent immobilisés, et leur remplacement traîne. Le retard dans le renouvellement de la flotte, l’absence de filière nationale de production d’avions spécialisés, et la dépendance vis-à-vis de l’étranger sont autant de signes d’une impuissance industrielle organisée.
Les recrutements de pompiers professionnels piétinent. Le nombre de volontaires a chuté de 30 000 en 30 ans, alors qu’ils représentent 80 % des effectifs. Les SDIS, les services départementaux d’incendie et de secours, alertent : dans plusieurs territoires, la situation est budgétairement critique. Quant aux pompiers volontaires, ils voient leur engagement fragilisé par le manque de reconnaissance, de formation, de droits.
Il est urgent de mettre en place un modèle renouvelé et pérenne d’engagement citoyen pour le XXIe siècle, fondé sur :
- une reconnaissance statutaire claire des pompiers volontaires, avec une protection sociale adaptée, une prise en compte de l’exposition au risque, et des droits à la retraite spécifiques ;
- des accords employeurs-volontaires permettant de libérer du temps sans perte de revenus, notamment dans les grandes entreprises et la fonction publique ;
- un développement des jeunes sapeurs-pompiers, des formations aux premiers secours et à la culture du risque dès le collège ;
- des formes d’engagement souples (réserves civiles, service civique étendu, missions ponctuelles) ouvertes à toutes et tous ;
- la création à moyen terme d’un service citoyen de la « robustesse », associant prévention, logistique et réponse aux catastrophes dans une logique d’écologie populaire.
C’est ainsi que nous ferons émerger une société plus solidaire, plus robuste, capable de faire face ensemble aux défis de ce siècle.
Depuis 1985, les effectifs de l’ONF ont été divisés par deux, passant de plus de 13 000 agents à environ 6 500 aujourd’hui. Cette hémorragie s’est poursuivie jusqu’en 2025 avec encore 95 postes supprimés cette année, alors que les missions de terrain (surveiller les massifs, débroussailler, créer des pare-feux, reboiser, gérer les peuplements forestiers, adapter les essences aux incendies et au stress hydrique…) n’ont cessé d’augmenter.
Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur la nécessité d’augmenter les moyens de la sécurité civile. Mais si la trajectoire budgétaire reste descendante, c’est bien le gouvernement qui en porte la responsabilité, en imposant par 49.3 des arbitrages en faveur des niches fiscales pour les ultra-riches plutôt que de la protection des populations.
Réindustrialiser pour le climat et la sécurité
Une politique sérieuse de lutte contre les incendies suppose aussi une stratégie industrielle à la hauteur. Aujourd’hui, la France dépend des commandes groupées européennes pour se fournir en avions de lutte contre les feux. Aucun appareil neuf de type Canadair n’a été fabriqué depuis plus de dix ans. Ce retard stratégique est inacceptable.
Nous devons relancer une filière publique ou mixte de construction aéronautique orientée vers les besoins civils. Il est possible de recycler des avions militaires, de former un corps de pilotes spécialisés, de créer une réserve mobilisable. Cette réindustrialisation écologique est une opportunité : pour répondre à un besoin vital, créer des emplois qualifiés, relocaliser des compétences, renforcer notre souveraineté.
Prévenir plutôt que guérir
En France, 85 % des feux sont causés par des activités humaines. Pourtant, la prévention reste le parent pauvre des politiques publiques : peu d’éducation au risque, peu de campagnes d’information, peu d’entretien des zones sensibles. Cela doit changer.
Il est temps de nommer les responsabilités. Quand des climatosceptiques dirigent, les catastrophes naturelles deviennent des tragédies humaines. En mars 2024, à Valence, en Espagne, les inondations meurtrières ont fait plus de 220 morts, faute de préparation, faute de prévention, faute d’investissement. Par idéologie, ils ont ignoré les alertes scientifiques et sabré dans les budgets publics, refusant de « croire » au réchauffement climatique
Le climatoscepticisme prend deux visages : le déni frontal, qui rejette les preuves du dérèglement, et le déni discret, qui détourne le regard des causes systémiques – dépendance aux énergies fossiles, mondialisation dérégulée – et rejette la faute sur les individus.
Dans les deux cas, ce sont nos vies, nos biens, nos territoires qui paient le prix fort. Alors oui, ne votez pas pour celles et ceux qui tournent le dos à la science, détruisent les services publics, et laissent brûler ou inonder notre avenir.
De plus, si la majorité des départs de feu sont d’origine humaine – imprudences, négligences, actes criminels –, leur vitesse de propagation et leur intensité dépendent de l’état du combustible (herbes, broussailles, sous-bois), fortement asséché par les vagues de chaleur et les sécheresses. En clair, c’est bien le réchauffement climatique qui transforme des feux banals en mégafeux dévastateurs.
Parmi les propositions que L’APRÈS porte, figure l’idée de limiter les constructions neuves dans les zones forestières à risque incendie. Cette mesure de bon sens vise à stopper l’étalement urbain dans les massifs, qui multiplie les départs de feu, rend les interventions plus difficiles et expose toujours plus d’habitations au danger. Il s’agit de remettre du collectif et de la planification dans l’urbanisme, pour protéger à la fois les écosystèmes et les populations.
Il faut :
- des investissements massifs dans la prévention : débroussaillage, pare-feux, surveillance humaine et technologique ;
- un soutien fort au volontariat, avec des droits garantis pour les sapeurs-pompiers ;
- un plan de recrutement de professionnels avec un statut revalorisé ;
- des moyens matériels adaptés : avions, hélicoptères, drones, outils numériques ;
- l’intégration des forces armées dans un pôle public de sécurité civile ; une solidarité européenne renforcée et mutualisée ;
- une coordination territoriale claire, avec la création de préfets aux feux de forêts dans chaque zone de défense pour piloter la stratégie DFCI (Défense des Forêts Contre les Incendies).
- Et surtout, en amont : la réduction rapide et massive des émissions de gaz à effet de serre, pour freiner la catastrophe.
Une société robuste ou le chaos
Comme le souligne le biologiste Olivier Hamant, face à la fréquence et à la violence des chocs écologiques, nos sociétés doivent devenir robustes. Cela signifie : anticiper, coopérer, absorber les crises, préserver les biens communs.
Ce que nous vivons aujourd’hui est le résultat d’un abandon politique du long terme. La soumission aux intérêts privés, la casse des services publics, l’absence de vision collective nous rendent vulnérables.
Nous défendons, à L’APRÈS, une véritable alternative écosocialiste : sobriété choisie, services publics renforcés, démocratie revitalisée, planification écologique. À l’image des propositions portées par Hendrik Davi, il s’agit de repenser nos politiques publiques en profondeur, pour articuler justice sociale, transition écologique et résilience territoriale. Comme le propose Clémentine Autain, il est temps de retrouver l’esprit public pour faire face, ensemble, à ce siècle de bouleversements.
L’APRÈS – Pour une bifurcation écosocialiste et démocratique
9 Juillet 2025