Le réfor­miste radi­cal Léon Blum, Une méthode pour parve­nir à une unité d’ac­tion anti­fas­ciste

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Antoine Mala­moud, arrière-petit-fils de Léon Blum. Notre cama­rade.

« Le rassem­ble­ment de la gauche de gouver­ne­ment ne peut pas se faire avec LFI. Sauf à tout trahir de l’hé­ri­tage de Blum ». Voilà une parole bien impru­dente de Bernard Caze­neuve. 

En invoquant ainsi, au service d’une orien­ta­tion poli­tique qui tourne le dos à l’union des forces poli­tiques, syndi­cales et asso­cia­tives en train, depuis 48 heures, de se mettre en place pour s’op­po­ser à une victoire du Rassem­ble­ment Natio­nal et de l’ex­trême-droite, pour donner espoir et éner­gie à la jeunesse, aux quar­tiers popu­laires, au monde du travail, aux femmes, il accu­mule tant à propos du Front Popu­laire qu’à propos de Léon Blum, mon arrière-grand-père, toute une série de contre­sens.

Rappe­lons rapi­de­ment les faits : le Front Popu­laire est l’ex­pres­sion élec­to­rale, puis gouver­ne­men­tale, en 1936, du Rassem­ble­ment Popu­laire créé en 1934, après les émeutes de février, pour faire face, juste­ment à la menace fasciste.

Il s’ap­puie sur l’ac­cord unanime entre dix orga­ni­sa­tions : Ligue des Droits de l’Homme, Comité de Vigi­lance des Intel­lec­tuels Anti­fas­cistes, Comité Mondial contre le Fascisme et la Guerre, Mouve­ment d’Ac­tion Combat­tante, Parti Répu­bli­cain et Radi­cal-socia­liste, Parti Socia­liste SFIO, Parti Commu­niste, Union Socia­liste et Répu­bli­caine, CGT et CGTU.

Ce qui importe ici, c’est la méthode : le rassem­ble­ment sur une plate-forme commune avec un mot d’ordre simple : Pour le Pain, la Paix et la Liberté. Reven­di­ca­tions sociales, paci­fistes et démo­cra­tiques.

Croit-on que cet accord, entre le PCF et la SFIO de Blum, notam­ment s’est fait faci­le­ment, sans débats ni polé­miques ? Dans une série d’ar­ticles du Popu­laire (le quoti­dien de la SFIO) de juillet 1934, Blum revient sur la ques­tion de l’unité et sur le « déso­rien­te­ment » que celle-ci cause chez certains de ses cama­rades.

Il est vrai que l’on sort à peine d’une période de conflits perma­nents, d’injures, d’ar­ticles violem­ment polé­miques, orches­trée par le Parti Commu­niste qui, suivant la ligne de l’In­ter­na­tio­nale, accuse les socia­listes d’être « le prin­ci­pal soutien de la bour­geoi­sie » et d’avoir « une influence para­ly­sante sur les ouvriers dans la lutte anti­fas­ciste ».

Mais alors, comment l’unité a-t-elle pu se faire avec le PCF, comment, aujourd’­hui peut-elle se faire avec la France Insou­mise, accu­sée de tous les maux ? Léon Blum s’en explique : il s’agit, avant tout d’une unité d’ac­tion : « les masses popu­laires ont senti d’ins­tinct, après le 6 février, qu’en France comme ailleurs, l’unité prolé­ta­rienne, la possi­bi­lité d’une défense ou d’une contre-offen­sive rassem­blant toutes les forces des travailleurs consti­tuaient la plus sûre garan­tie contre les menaces fascistes ».

Cette unité, à marche forcée, soudai­ne­ment récla­mée par le PCF déso­riente certains cadres de la SFIO. Blum indique alors qu’il faut poser certaines condi­tions à cette alliance : la bonne foi entre les orga­ni­sa­tions, le fait de ne pas mettre au premier plan les diver­gences passées ou présentes. Blum précise : « nous devons procla­mer et stipu­ler sans réti­cence les condi­tions, qui ne sont pas nos condi­tions- nous n’avons pas plus à en impo­ser qu’à en subir – mais les condi­tions de l’ac­tion elle-même. Nous devons décla­rer haute­ment comment et pourquoi nous accé­dons à l’ac­tion commune, en quoi elle consiste à nos yeux, quels carac­tères nous voulons lui impri­mer, dans quelle direc­tion nous voulons qu’elle soit conduite ».

Le Rassem­ble­ment Popu­laire, le Front Popu­laire est donc, ce que Bernard Caze­neuve feint de ne pas comprendre, une méthode pour parve­nir à l’unité d’ac­tion. Une méthode qui permet de mettre de côté les polé­miques et les attaques person­nelles. Blum ayant été attaqué au moins aussi violem­ment par le PCF que Raphaël Glucks­mann par certains mili­tants de la FI. Une méthode qui permet l’unité alors même que des diver­gences impor­tantes persistent, sur des sujets de fond.

Caze­neuve sous-entend, par exemple, que l’ac­cord de Nouveau Front Popu­laire serait contre nature en raison de diver­gences incon­ci­liables sur le soutien à l’Ukrai­ne… mais qu’en était-il entre les partis de gouver­ne­ment du Front Popu­laire sur le soutien à la Répu­blique espa­gnole ? Sur l’at­ti­tude à avoir vis-à-vis de l’Al­le­magne hitlé­rienne, sûre­ment pas d’una­ni­mité.

En réalité, Bernard Caze­neuve met en avant ce concept flou de « gauche de gouver­ne­ment », comme si la gauche aujourd’­hui, ou certaines de ses compo­santes n’avait pas ambi­tion à gouver­ner, comme si les forces qui la composent n’avaient ni programme de gouver­ne­ment, ni expé­rience, ni talents… Mais c’est qu’il oppose « gauche de gouver­ne­ment » et radi­ca­lité et que pour ce faire, il invoque les mânes de Léon Blum.

Alors même que celui-ci débute sa carrière en écri­vant, à la veille du Congrès de Tours, la brochure « Pour être Socia­liste », dans laquelle il expose à la jeunesse de 1919 sa vision de la lutte des classes, de l’ex­ploi­ta­tion et du chemin vers l’éman­ci­pa­tion.

Alors même qu’il démontre dans un des derniers ouvrages, « A l’Echelle Humaine » la faillite de la bour­geoi­sie en tant que classe dans la période de la guerre et de l’oc­cu­pa­tion et qu’il consi­dère que la Libé­ra­tion est une période révo­lu­tion­naire au cours de laquelle la classe ouvrière est amenée à jouer le premier rôle.

Qu’on ne s’y trompe pas, Léon Blum n’était pas un « révo­lu­tion­naire », mais bien un réfor­miste radi­cal, qui luttait pour des trans­for­ma­tions fonda­men­tales de la société capi­ta­liste. Mais avec un sens aigu du rapport de forces de classes et poli­tique, avec, sans cesse des aména­ge­ments tactiques, des compro­mis qui peuvent appa­raître aux yeux de certains pour des reculs, voire des trahi­sons, soit, mais qui jamais ne l’ont détourné de ses buts, qui n’étaient pas ceux de la « gauche de gouver­ne­ment » telle que l’en­tend Bernard Caze­neuve.

Un dernier point : la mémoire de Léon Blum, juif, victime de tant d’injures et d’agres­sions anti­sé­mites, est invoquée ici encore pour disqua­li­fier cet accord de Nouveau Front Popu­laire, au prétexte du supposé anti­sé­mi­tisme de la France Insou­mise.

Que celle-ci ait multi­plié les décla­ra­tions impru­dentes ou hasar­deuses doit être critiqué, condamné, mais la persis­tance de l’an­ti­sé­mi­tisme est, depuis de nombreuses années, mini­mi­sée au sein de la plupart des forces de gauche, poli­tiques et syndi­cales, au point de néces­si­ter la mise en place d’ate­liers de forma­tion et de réflexion.

C’est au cœur de la pensée de l’ex­trême droite que l’an­ti­sé­mi­tisme est struc­tu­rel­le­ment présent, quel qu’en soit son camou­flage, il est le support de toute l’orien­ta­tion de la préfé­rence natio­nale, il est au cœur de l’idéo­lo­gie iden­ti­taire. 

Antoine Mala­moud

Arrière-petit-fils de Léon Blum

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