ACEVE (Association pour la Cohérence Environnementale en ViennE)
Poitiers, le 09/12/16
Monsieur le président de l’ASN
Nous avons pris connaissance des récentes publications de l’IRSN avec un très vif intérêt.
Compte tenu de l’importance de ce dossier sur la sûreté nucléaire dans notre pays et ailleurs, et malgré les informations déjà diffusées, nous aimerions en savoir plus pour mieux comprendre la situation dans laquelle la sûreté nucléaire se trouve actuellement. Nous représentons des citoyens soucieux de leur sécurité, de leur santé et de celle des générations présentes et à venir.
Il est avéré que des « anomalies » se trouvent dans les aciers des équipements des circuits sous pressions des réacteurs nucléaires. Cet euphémisme cache une vérité inquiétante, celle d’ un double scandale intolérable : des aciers mal fabriqués, mis en service grâce à des dossiers de certification falsifiés. Cette tromperie remet en cause la sûreté des installations. La confiance accordée à la filière de construction et d’exploitation des centrales nucléaires a été trahie.
Nous vous demandons de bien vouloir nous renseigner sur les points suivants :
1) Une étude restreinte.
A la demande de l’ASN, l’ étude de l’IRSN ne traite que des générateurs de vapeur (GV) des réacteurs 900 MW français équipés de GV fabriqués au Japon. Nous ne comprenons pas la raison de ce partage entre les réacteurs de différentes puissances, ni le partage entre les équipements issus de Creusot Forge et ceux issus de JCFC.
Alors que le défaut de qualité des aciers est générique, international, qu’ il existe depuis des dizaines d’années, sont exclus de l’étude de l’IRSN : Les cuves de tous les réacteurs, les pressuriseurs, les GV fabriqués au Creusot….et de manière générale tous les composants des circuits sous pression.
• A quelle date exacte remonte la fabrication défectueuse des aciers qui équipent les réacteurs nucléaires ?
• Les forgerons ne fournissent pas que l’industrie nucléaire. D’autres secteurs de l’industrie sont-ils concernés par la qualité défaillante des aciers ? (chimie, aéronautique, ponts et chaussées …)
• Pour quelle raison fondamentale les forgerons français et japonais fournissent-ils des aciers de mauvaise qualité qui présentent les mêmes défauts ? Suivent-ils les mêmes procédés de fabrication ?
• Au niveau de la qualité de l’acier, quelle différence y a-t-il entre un GV de réacteur 900 MW et un GV de pallier N4 ? Ne sont-ils pas tous soumis aux mêmes conditions physiques de pression et température ? Aux mêmes irradiations ?
2) Les nuances d’acier négligées.
Les équipements sous pression sont en général fabriqués dans des aciers de nuance 16MND5, 18MND5 et 20MND5. Le premier nombre indique la teneur théorique en carbone multipliée par 100. Etant donné que le nom de l’acier n’est jamais cité (ou rarement) dans les documents publics, on ne sait pas l’écart réel qui existe entre la teneur en carbone mesurée et la teneur normalisée attendue. La teneur « normale » devrait être, suivant le cas 0,16% 0,18% ou 0,20%, mais en aucun cas 0,22% comme l’écrit IRSN dans sa note d’information du 5 décembre 2016.
• Existe-t-il une différence entre l’acier 16MND5 de la cuve de l’ EPR et celui des GV de types PL 203, PL 227 , PL 227, PL 228 qui équipent nos centrales ?
• Quels sont les réacteurs du parc français qui sont équipés de ces générateurs ?
• Qu’est-ce qui peut justifier la différence de traitement par ASN entre la mise en service de l’EPR et la remise en service des GV vis à vis de la qualification des aciers ?
3) Des mesures de concentration en carbone qui laissent un doute.
ASN a chargé EDF d’effectuer des mesures de teneur en carbone. Ces mesures sont réalisées par spectrographie et /ou par prélèvement. Mais dans les deux cas, seule la surface externe des cuves est examinée. On ne sait rien de la face interne qui est recouverte d’une couche d’ acier inox. On ne sait rien de l’intérieur de la paroi qui mesure une vingtaine de centimètres d’épaisseur.
• Comment pouvez-vous être sûrs que des concentrations supérieures à 0,39% ne sont pas présentes dans l’épaisseur du métal ou sur la face interne?
• Ce doute est-il compatible avec la preuve attendue de la qualité suffisante des matériaux ?
4) La résilience dégradée est ignorée.
L’ excès de carbone dans un acier provoque une très forte diminution de sa résilience, résistance aux chocs mécaniques et thermiques. En ne considérant que de la ténacité, on passe à côté du problème.
La ténacité se définit comme la capacité d’un métal à s’opposer à la propagation brutale d’une fissure. La ténacité se mesure au cours d’une épreuve de traction ou de flexion. Résilience et ténacité sont donc deux qualités complémentaires des aciers, mais qu’il ne faut pas confondre.
Or, la loi est formelle : l’arrêté sur les équipements sous pression nucléaires fait état de limites de résilience (énergie de flexion par choc sur éprouvette ISO V à 0 °C ) à 40,60, ou 100 J, suivant les matériaux. Voir l’arrêté 2015/12 /30/DEVP1429850A.
– Pouvez-vous confirmer que la limitation qui concerne les aciers des cuves et des GV est de 60 J/cm2 ?
– Pourquoi la valeur de la résilience réelle des aciers en cause n’est-elle pas communiquée ?
– Est-elle mesurée avec la méthode de Charpy, par exemple ?
– Est-elle réellement supérieure aux exigences du décret ? Cette condition n’est-elle pas requise dans le cadre des preuves qu’ EDF doit fournir pour garantir la sûreté de ses installations ?
5) : La défense en profondeur réduite.
Il est désormais reconnu que les aciers ne présentent pas toutes les qualités que les ingénieurs attendaient d’eux. Tous les calculs de dimensionnement des pièces sont donc entachés d’erreurs.
Le maintien en service d’équipements aux caractéristiques mécaniques dégradées implique une diminution de leur coefficient de sécurité.
Certes, les équipements concernés ont fonctionné pendant une trentaine d’années sans défaillances, mais avec des marges de sécurité inférieure à celles qu’on pouvait attendre.
• Peut-on estimer, par le calcul, la dégradation des coefficients de sécurité ?
• Cette réduction de la défense en profondeur reste-t-elle acceptable avec les exigences de sûreté actuelles, dans le cadre du RECS port Fukushima ?6) : Des « recommandations » contraignantes ?
Les trois recommandations faites par IRSN à EDF dans son avis du 30 novembre 2016 semblent sages , mais laissent des délais pour leur exécution et restent un peu imprécises.
• Ces recommandations vont-elles devenir des exigences contraignantes de l’ ASN ?
• Le redémarrage des réacteurs arrêtés peut-il se faire avant la réalisation des recommandations sans prise de risque supplémentaire ?
• Afin de limiter les chocs thermiques, le pré-chauffage de l’eau de secours doit-il se généraliser dans tous les réacteurs , comme c’est déjà le cas dans certaines centrales de France et d’Europe?
Nous restons très préoccupés par ce vaste problème de sûreté dont nous mesurons les implications tant dans le domaine énergétique de fourniture de courant que dans le domaine économique. Nous demandons cependant que le principe de précaution s’applique pour l’ensemble des équipements sous pression des centrales nucléaires et que leur utilisation
soit suspendues aussi longtemps que la preuve du respect des normes de résilience et de ténacité n’a pas été apportée par les entreprises responsables : les forgerons (fabricants de base), AREVA (concepteur des pièces), et EDF (exploitant).
Nous espérons qu’ ASN saura traiter avec les mêmes exigences les autorisations pour les centrales en fonctionnement que pour l’ EPR. La sûreté doit primer sur toute autre considération d’ordre économique ou de confort.
Nous vous prions de croire, monsieur le Président, à l’expression de nos salutations distinguées.
La présidente : Pierrette Plumereau
Le délégué à la CLI de Civaux : Jacques Terracher
ACEVE
Association agrée protection de l’environnement,
3 rue Georges Servant 86 000 POITIERS
Copie au directeur général de l’IRSN.
Photo de JLH