Media­part. Les ONG et la famine orga­ni­sée par Israël à Gaza.

PROCHE ET MOYEN-ORIENT

Gaza : les ONG dénoncent le « cynisme » des États occi­den­taux

15 mars 2024 | Par Rachida El Azzouzi

À l’heure où la bande de Gaza meurt de faim, les orga­ni­sa­tions huma­ni­taires appellent les États, prompts à para­chu­ter des colis alimen­taires ou à promettre un port flot­tant tout en conti­nuant à vendre des armes à Israël, à récla­mer d’abord un cessez-le-feu.

« Les États ne peuvent se cacher derrière les largages aériens et un corri­dor mari­time pour créer l’illu­sion qu’ils répondent adéqua­te­ment aux besoins à Gaza. » Dans un commu­niqué commun, 25 asso­cia­tions de droits humains et orga­ni­sa­tions huma­ni­taires appellent les gouver­ne­ments « à exiger en prio­rité un cessez-le-feu et un ache­mi­ne­ment de l’aide huma­ni­taire par voie terrestre » dans l’en­clave pales­ti­nienne assié­gée et bombar­dée sans discon­ti­nuer depuis cinq mois.

À l’heure où la catas­trophe sani­taire et alimen­taire ne cesse de s’ag­gra­ver, Israël ayant recours, en plus des bombes, à l’arme de la famine, les ONG renvoient les États à leur « prin­ci­pale respon­sa­bi­lité » « empê­cher la perpé­tra­tion de crimes atroces et exer­cer une pres­sion poli­tique effi­cace afin de mettre un terme aux bombar­de­ments inces­sants et aux restric­tions qui empêchent l’ache­mi­ne­ment sécu­risé d’aide huma­ni­taire ».

Parmi les signa­taires, des ONG présentes sur place qui ne cessent de témoi­gner de l’im­pos­si­bi­lité d’exer­cer leur mandat huma­ni­taire, notam­ment Méde­cins sans fron­tières (MSF), tant elles font face à des entraves multiples de la part des auto­ri­tés israé­liennes. 

Cette prise de parole inter­vient alors qu’une coali­tion inter­na­tio­nale emme­née par l’Union euro­péenne, les États-Unis et les Émirats arabes unis a annoncé, vendredi 8 mars, l’ou­ver­ture prochaine d’un corri­dor mari­time entre l’île de Chypre et la bande de Gaza (distantes de 380 kilo­mètres) pour ache­mi­ner l’aide huma­ni­taire dans l’en­clave où 2,4 millions de personnes survivent dans des condi­tions épou­van­tables et où plus de 31 000 Pales­ti­nien·nes ont été tué·es, majo­ri­tai­re­ment des civils, en l’oc­cur­rence des femmes et des enfants.

« Après avoir enduré cinq mois de bombar­de­ments inces­sants dans des condi­tions de vie déshu­ma­ni­santes, les enfants, les femmes et les hommes de Gaza ont droit à davan­tage qu’une charité insuf­fi­sante jetée depuis le ciel, réclament les vingt-cinq ONG. Bien que toute aide huma­ni­taire arri­vant à Gaza soit la bien­ve­nue, les voies aérienne et mari­time doivent être consi­dé­rées comme un complé­ment au trans­port terrestre, et ne peuvent en aucun cas rempla­cer l’aide déli­vrée par les routes terrestres. » 

Des colis aux Pales­ti­niens, des armes aux Israé­liens

Les signa­taires pointent, comme de nombreux acteurs et obser­va­teurs, l’aber­ra­tion opéra­tion­nelle d’un port flot­tant sur la rive de Gaza qui néces­site plusieurs semaines de construc­tion et sera, selon eux, « sans aucun effet réel sur la situa­tion huma­ni­taire catas­tro­phique », alors qu’il suffit de contraindre l’État hébreu à ouvrir les points de passage terrestres bloqués par son entre­mise (Rafah, Kerem Shalom/Karam Abu Salem, Erez/Beit Hanoun et Karni) pour lais­ser passer les centaines de camions remplis de nour­ri­ture et de médi­ca­ments, qui attendent depuis des semaines.

(…)

 

Parti mardi 12 mars de Chypre, le bateau d’Open Arms trans­porte 300 000 repas.

« Tout est bon à prendre mais encore une fois, ce bateau porte l’équi­valent de cinq à dix camions qui sont prépo­si­tion­nés par centaines côté égyp­tien, rappelle le vice-président de Méde­cins du monde, Jean-François Corty. Israël doit ouvrir les accès terrestres. Il en va de la vie de 2,4 millions de personnes. » Il alerte sur le risque de morta­lité impor­tante et de pillage que repré­sente l’en­voi d’une aide sous-dimen­sion­née et sans équipes profes­sion­nelles sécu­ri­sées. 

Elles s’inquiètent encore du « manque de trans­pa­rence quant à l’en­tité qui sera respon­sable de l’in­fra­struc­ture et de la sécu­rité de l’ache­mi­ne­ment de l’aide à terre ». Leur crainte ? « Que le corri­dor mari­time légi­time une occu­pa­tion mili­taire terrestre israé­lienne prolon­gée de la bande de Gaza, instru­men­ta­li­sant l’ache­mi­ne­ment de l’aide. » 

Sans détour, les ONG condamnent le cynisme huma­ni­taire de pays prompts à larguer à l’aveugle des colis alimen­taires sur les plages gazaouies (une aide bien plus coûteuse que celle ache­mi­née au sol, et dange­reuse – au moins cinq Pales­ti­niens ont été écra­sés sous un immense colis améri­cain dont les para­chutes ne s’étaient pas ouverts), tout en conti­nuant de four­nir des armes aux auto­ri­tés israé­liennes.

C’est une manière de gagner du temps pour l’Oc­ci­dent, inca­pable d’exi­ger d’Is­raël de cesser de massa­crer des personnes civiles.

François Audet, profes­seur au Canada, dans « La Presse »

Elles citent le cas notam­ment des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France. « Les États ne doivent pas exploi­ter l’aide huma­ni­taire pour contour­ner leurs respon­sa­bi­li­tés et obli­ga­tions en vertu du droit inter­na­tio­nal ; y compris la préven­tion de crimes atroces. Pour que les États remplissent leurs obli­ga­tions prévues par le droit inter­na­tio­nal, ils doivent cesser tout trans­fert d’armes risquant d’être utilisé pour commettre des crimes inter­na­tio­naux. »

Dans le jour­nal La Presse, François Audet, direc­teur de l’Ob­ser­va­toire cana­dien sur les crises et l’ac­tion huma­ni­taires (OCCAH), profes­seur à l’uni­ver­sité du Québec à Montréal, abonde dans leur sens et parle de poudre aux yeux au sujet du projet de port tempo­raire, « alors que des centaines de milliers de civils se font massa­crer ». 

« Pour l’Oc­ci­dent, qui sous-estime les consé­quences du drame à court terme, mais surtout à long terme, il s’agit d’une tenta­tive poli­tique pour démon­trer qu’on “essaie quelque chose”, comme s’il ne pouvait rien faire d’autre, écrit-il. En somme, c’est une manière de gagner du temps pour l’Oc­ci­dent, inca­pable d’exi­ger d’Is­raël de cesser de massa­crer des personnes civiles au nom de l’au­to­dé­fense. »

Emblé­ma­tique est le cas des États-Unis, dont le président, Joe Biden, est sous pres­sion d’une partie de son élec­to­rat à quelques mois de l’élec­tion prési­den­tielle, et qui livrent bombes, muni­tions et soutien finan­cier à Israël, s’op­posent par veto au Conseil de sécu­rité de l’ONU aux demandes de cessez-le-feu et, dans le même temps, lancent la construc­tion d’une jetée tempo­raire à visée huma­ni­taire au large de la bande de Gaza. 

Le rôle déter­mi­nant des États-Unis

Une enquête du Washing­ton Post, publiée début mars, révèle l’en­voi en toute discré­tion de « plus de 100 cargai­sons d’armes à Israël depuis le début de la guerre à Gaza, équi­va­lant à des milliers de muni­tions à guidage de préci­sion, de bombes de petit diamètre, de bombes anti­bun­kers et d’armes légères ». Soit une « impli­ca­tion massive de Washing­ton » qui, dans le même temps, durcit le ton de ses critiques envers la stra­té­gie guer­rière du premier ministre israé­lien Benya­min Néta­nya­hou.  

« La campagne mili­taire israé­lienne ne pour­rait pas se main­te­nir sans ce niveau de soutien améri­cain », assure dans cette enquête Jeremy Konyn­dyk, ancien haut respon­sable de l’ad­mi­nis­tra­tion Biden et actuel président de l’ONG Refu­gees Inter­na­tio­nal. Si l’ar­mée israé­lienne est dépen­dante des États-Unis, l’in­verse est aussi vrai : les inté­rêts stra­té­giques améri­cains au Proche et au Moyen-Orient passent par Israël.

Les deux seules ventes offi­cielles de maté­riel mili­taire améri­caine à Israël depuis le 7 octobre 2023 repré­sentent, la première, un montant de 106 millions de dollars pour des obus de chars, la seconde, 147,5 millions de dollars pour des compo­sants néces­saires à la fabri­ca­tion d’obus de 155 mm. L’ad­mi­nis­tra­tion Biden avait alors invoqué « des pouvoirs d’ur­gence » et auto­risé la vente sans l’aval du Congrès.

« Le cynisme des États-Unis est au plus haut. Ils cherchent à masquer leurs respon­sa­bi­li­tés poli­tiques pour ne pas avoir à se posi­tion­ner de manière plus fron­tale vis-à-vis d’Is­raël malgré l’alerte de la Cour inter­na­tio­nale de justice quant au risque de géno­cide, malgré la famine inten­tion­nelle », réagit Jean-François Corty, vice-président de Méde­cins du monde, ONG signa­taire du commu­niqué. Il dénonce « la rhéto­rique huma­ni­taire des États qui leur permet de dépo­li­ti­ser le contexte et de se conten­ter d’une aumône huma­ni­taire plutôt que d’ap­por­ter des réponses poli­tiques »

Dans La Presse, le cher­cheur François Audet rappelle combien « les expé­riences de cette nature par l’ar­mée améri­caine en Afgha­nis­tan ou en Irak se sont avérées de vastes échecs logis­tiques et sécu­ri­taires et auront à jamais laissé des cica­trices sur la nature impar­tiale des opéra­tions huma­ni­taires ». « C’est aux orga­ni­sa­tions huma­ni­taires de gérer les distri­bu­tions aux popu­la­tions civiles, pas à l’ar­mée », assène-t-il.

Les vingt-cinq ONG ne disent pas autre chose dans leur commu­niqué : « Les orga­ni­sa­tions huma­ni­taires ont la capa­cité logis­tique d’ai­der les Pales­ti­niens à Gaza : il ne manque que la volonté poli­tique des États pour faire respec­ter l’ac­cès. » 

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