1) Nous avons l’habitude de renvoyer la crise de la politique représentative au comportement carriériste des élus qui s’autonomisent ainsi du peuple. Et quand on parle de professionnalisation du système politique, on la renvoie aux « liens de plus en plus étroits entre les bourgeoisies financières et les élites politiques et médiatiques » (Textes de références du mouvement).
Or, en en restant à ce descriptif, on ne voit pas que ce « plus en plus » traduit un phénomène plus général de professionnalisation de la vie dans son ensemble, procédant de la logique du capital se réalisant au travers de sa dictature. C’est à cette rationalité du professionnel que nous soumettons nos affects et jugements comme purement subjectifs, et en tout cas pas à la hauteur de la raison professionnelle, cette dimension objective du vrai.
Comme les experts appelés à dire ce qui « est », les professeurs distillant « la connaissance » à un auditoire purement récepteur, ou le chef d’entreprise dirigeant le travailleur collectif,le professionnel de la « classe » politique détient la vérité comme un donné par définition inquestionné et inquestionnable, au point de se croire autorisé à retoquer un résultat démocratique, pour ne pas être porteur de cette raison, dont va faire preuve,elle, l’assemblé des deux chambres. C’est cela la crise de la démocratie : l’emprise croissante de la logique du capital sur nos sociétés, rendant la démocratie obsolète.
Le problème est que nous avons du mal à reconnaître que par notre héritage, nous avons participé à cette évolution. Pour le dire vite, il y a selon moi un Dernier-Marx, qui n’est pas celui dont nous héritons et qui procède à l’habillage matérialiste historique d’une philosophie de l’histoire qui a un but.
Ce Marx là n’a pas échappé à l’idéologie du progrès de son temps. Désireux d’habiller matériellement sa philosophie de l’histoire au contenu déterministe, il a pris des données du système du capital pour des données de l’histoire par le biais d’une historicisation des catégories propres au capital naissant, de sorte que nous nous sommes trompés d’histoire, et avons pris les vessies du capital pour des lanternes de l’histoire. Voilà pourquoi il n’y a pas eu de grand soir, et que la liste des échecs connus en plus d’un siècle et demi a mené là où nous en sommes.
2) Cette histoire, nous l’avons lu politiquement à travers le couple gauche-droite. Dans la mesure où il s’agissait de la même histoire, dès lors qu’une partie, social-démocrate, de cette gauche refuse le manichéisme du matérialisme historique, c’est pour se ranger du côté du capital et suivre une évolution annoncée comme alternance droite-gauche de politiques semblables.
C’est de cette alternance que provient le « tous les mêmes », « tous pourris » (comme disaient déjà les argentins !). Car plus personne ne croit que le PS puisse mener une autre politique. Or, quand Cambadélis appel à l’unité de la gauche, et que JLM répond : pas tant que vous mènerez cette politique, ou que Le Floch, et le journaliste maison, font remarquer à Laurent qu’ils peuvent discuter pour avoir le même langage, et que celui-ci souligne la même différence que JLM, le FDG dit un désaccord circonstancié au sein de la même classe politique (« tous les mêmes »).
Mais il en est de même, quand Ensemble appelle, après les européennes, à une alternative de gauche où le FDG « doit oeuvrer à un nouveau rassemblement de gauches… avec toutes les forces politiques qui… à EE-LV, au PS… refusent l’orientation gouvernementale ». Nous avons déjà du mal avec la culture politique du PG et du PCF, si en plus on doit se coltiner la « gauche » d’EE-LV et du PS, avec toute leur culture gestionnaire-participative, qui n’est en rien entamée par un refus de l’orientation gouvernementale… pour qu’elle autre orientation au juste (30Md’euros au lieu de 50 ?). Ouvrons les yeux ! Le PS n’est pas plus à « gauche » que le « centre-droit », vers lequel il se dirige organisationnellement comme vers sa réalité essentielle, qui se distingue de la droite par son double libéralisme, économique et sociétal.
Certes, il y a des militants sincères (d’accord avec l’amendement de Pascal B) au PS, mais qu’ils nous rejoignent en tant que tels, traduisant un début de « révolution culturelle » quant à la nature du PS, et non pas comme membre de la « gauche » du PS (Hamon ! Militant sincère du PS ?).
Ne parlons pas des catastrophiques listes communes avec le PS aux municipales, produit un héritage qui, pour avoir une longue histoire, s’est encastré institutionnellement. Mais lorsqu’on dit que, par « tradition » nous nous désistons pour la liste de « gauche » (PS) la mieux placé au deuxième tour, nous nous situons aussi dans un héritage. Ce désistement peut-être tactique, mais nullement stratégique (fruit d’une « tradition »). Nous sommes ensemble pour construire de nouvelles stratégies politiques, les anciennes n’ayant pas fait leur preuve. Mais pour cela il faut clarifier et encore clarifier, et en commençant par se clarifier sur les données de notre héritage.
3) C’est du fait de ce manque de clarification, que nous n’avons pas su apparaître comme porteur d’une politique claire sur l’Europe. De par le schéma matérialiste historique, le capital est censé réaliser, malgré lui, le contenu universel dont le marché mondial n’est que la forme. On ne saurait dès lors s’opposer au marché mondial sans faire montre d’un nationalisme régressif, tout au plus pouvait-on s’opposer à ses effets négatifs immédiats.
C’est de cette construction abstraite, tirée d’une philosophie de l’histoire, que l’internationalisme prolétarien s’affirmait dogmatiquement en enseignant le caractère indépassable du cadre national de la reproduction du capital, par cela porteur des guerres impérialistes. Mais là encore, on s’est trompé de contenu et d’histoire. Faute de le reconnaître, c’est-à-dire de clarifier les données de notre héritage, bien que confronté à une nouvelle donne, notre internationalisme se sent agressé par l’idée même d’une sortie de l’Europe, comme si, encore, l’Europe du capital n’était que la forme d’un contenu, confisqué, de l’histoire vers l’Europe des peuples. Mais ne voit-on pas que c’est l’universalité concrète du capital qui s’est réalisée, que l’Europe n’est qu’une construction du capital où le caractère antidémocratique de la commission n’est que la réalisation du professionnalisme du capital, opérant dans un espace libéré de la lutte des classes.
Il aurait fallu dire que nous sommes contre cette Europe du capital qui n’est pas réformable de l’intérieur, et il s’agit pour nous de construire une autre Europe en partant de là où il y a encore de la lutte des classes. Non pas pour y retrouver une souveraineté nationale, puisque c’est sous cette forme que la politique professionnelle du capital délègue ses pouvoirs à l’Europe pour pouvoir imposer plus librement ses desseins. L’Europe, c’est cela et rien d’autre. Arrêtons d’y voir une Europe des peuples en puissance, alors qu’elle s’y oppose absolument (absence quasi totale de lutte des classes à l’échelle de l’Europe).
Comment l’Europe du capital pourrait-elle constituer, de fait, l’espace formel d’une Europe des peuples, alors que le capital détruit chaque jour un peu plus les espaces de solidarité à l’intérieur des Etats. Il faut dire que nous quitterions de fait cette Europe, dans la mesure où nous refuserions absolument d’appliquer ses directives, pour pouvoir oeuvrer à la construction d’une autre Europe, celle des peuples.
Il n’est pas sûr que cela aurait suffi, car nous arrivons bien tardivement, et avons laissé le terrain libre au Front National pour distiller son venin, de sorte que c’est le mot même d’Europe qui est rejeté pour être l’étranger. Et par notre manque de clarification, nous avons laissé le Front National nous enfermer dans cette gauche du « tous les mêmes », au point que le PS nous a entraîné dans sa chute.
4) Que faire ? Comme dirait l’autre. Comme dit le texte d’ « une alternative à gauche. Vite ! », faire que le FDG œuvre « à la refondation d’une perspective de transformation sociale et écologique ». Mais il y a du travail en perspective. Car quand nous avons intégré le FDG, nous savions, de mon point de vue, à quelles « cultures politiques » nous allions nous heurter. Profitons du bilan après les européennes pour faire avancer les « autocritiques » chez nos deux autres partenaires.
Mais cela passe par notre propre autocritique, faute de quoi nous risquons fort de nous retrouver à laisser se pérenniser notre impuissance face au FN. Car si ce n’est pas un « tsunami », il reste que partant presque à égalité, on se retrouve avec des scores quatre fois moindres que les siens. Les comptages en nombre de voix ne doivent pas nous conduire à relativiser ce qui est très, très, inquiétant, et à attendre des jours meilleurs, en rafistolant de bric et de broc ce qui doit nous questionner plus en profondeur. De ce point de vue, inquiétant aussi me semble l’écho de l’Appel de Jacques Bidet auprès d’une quasi unanimité d’ « illustres » signataires, alors que pour s’inscrire dans ce rafistolage, il n’est que l’écho d’une sorte d’impuissance attentiste.
Philippe Bayer
Bonjour Philippe.
Tu écris qu’il y a un problème » quand Ensemble appelle, après les européennes, à une alternative de gauche où le FDG « doit oeuvrer à un nouveau rassemblement de gauches… avec toutes les forces politiques qui… à EE-LV, au PS… refusent l’orientation gouvernementale ». Nous avons déjà du mal avec la culture politique du PG et du PCF, si en plus on doit se coltiner la « gauche » d’EE-LV et du PS, avec toute leur culture gestionnaire-participative, qui n’est en rien entamée par un refus de l’orientation gouvernementale… pour qu’elle autre orientation au juste (30Md’euros au lieu de 50 ?). Ouvrons les yeux ! Le PS n’est pas plus à « gauche » que le « centre-droit »,
Ce problème ne peut plus être esquivé, tu as raison. Et cependant notre campagne municipale puis notre campagne européenne nous a permis de rencontrer des militants et non-militants que nous n’aurions pas rencontrés sinon. Il nous faut en faire un bilan détaillé aussi pour avancer.
Puisque nous prenons au sérieux les résultats électoraux, sans être pourtant adorateurs de la démocratie « représentative » d’autant moins lorsqu’elle en coma prolongé comme actuellement, nous pouvons et devons être inventifs. Ce qui nécessite pour le moins de ne pas nous retrouver à la remorque du PCF et de ses élus municipaux (à Poitiers, à Paris, Toulouse et ailleurs), du PG et de son porte-parole qui ne semble pas comprendre qu’il vit la descente vers le ridicule d’un Georges Marchais dans la fin des années 70 (il peut se ressaisir), d’EE-LV qui a un nombre de politiciens sans principe dont la liste excède le simple JV Placé et le retraité Cohn-Bendit.
Sur la critique de la campagne européenne, les discours de Myriam Martin étaient porteurs d’une dénonciation plus vive de l’UE que ce dont tu parles. Mais notre retour auto-critique reste à faire.
Et ton texte y participe.
A propos de la professionnalisation de la vie politique: tu la mets en regard de la place de l’ « expert », pente propre au capitalisme tardif si j’ai bien compris. Cette inflation de ces fonctions des experts qui évaluent tout le monde et tout le temps, qui ont un discours définitif autant que schématique pour toutes les situations, c’est la figure moderne de l’idéologue de petit niveau au service du capital, il me semble.