Voici des extraits de divers articles, des liens vers d’autres productions médiatiques, parus dans les jours qui ont suivi cet acte.
Nous mettons dans un premier temps en exergue un rappel des faits et les interventions dans les médias de plusieurs militant.es du Printemps de la psychiatrie en ces circonstances douloureuses, puis la réaction de la ministre. Nous ajoutons ensuite des éléments contexte politique et enfin deux témoignages poignants.
Nous ne savons presque rien de Carène Mezino, de sa collègue blessée, peu de choses encore de leur agresseur. Nous nous associons au deuil de sa famille, de ses amis, de ses collègues. Nous pensons à elles et eux à chaque ligne que nous écrivons, ces derniers jours.
Ici, nous parlons de ce que la presse dit en cette circonstance horrible, de ce que nos ami.es ont défendu quant à leur éthique et aussi au nom de l’éthique portée par le printemps de la psychiatrie.
Nous n’avons pas recensé ce qui était dit dans toute la presse, nous n’avons pas écouté les chaînes d’info en continu. Nous ne parlons pas de celles et ceux qui accusent les juges de « laxisme » par exemple. Notre propos ici n’est qu’une contribution à ce débat en cours.
Un des premiers articles parus après les faits.
Le Monde, le 22 mai 2023, Camille Stromboni et Samuel Laurent
« Le temps est maintenant au recueillement. » Après le drame intervenu lundi 22 mai au CHU de Reims, le ministre de la santé, François Braun, a proposé qu’une minute de silence soit tenue dans tous les hôpitaux, mercredi 24 mai. Une « agression inqualifiable et inadmissible », a souligné le ministre, après le décès d’une infirmière de l’hôpital rémois, qui a suscité une vive émotion dans les cercles soignants et bien au-delà.
Lundi, peu avant 13 h 30, un homme a pénétré dans un service de « santé au travail » du CHU de Reims, armé d’un couteau, avant de s’en prendre à deux femmes, Carène Mézino, l’infirmière de 37 ans décédée dans la nuit de lundi à mardi, et une secrétaire médicale de 56 ans, qu’il a aussi blessée.
Aucune raison ne permet pour le moment d’expliquer le geste de l’agresseur, un homme de 59 ans, pas plus que sa présence au sein du CHU de Reims, où il n’était pas suivi et n’avait aucun rendez-vous, a indiqué le procureur de la République de Reims, Matthieu Bourrette.
Souffrant de troubles psychiatriques qualifiés de « sévères » par le parquet, et placé sous curatelle renforcée, il n’était pas inconnu de la justice. Comme l’indique le parquet, il avait été mis en examen pour « violences aggravées ».
Selon Le Parisien, il aurait déjà poignardé, en juin 2017, quatre employés d’un établissement et service d’aide par le travail (ESAT) du Meix-Tiercelin (Marne), dans lequel il résidait depuis vingt ans. Les victimes s’en étaient tirées avec des blessures légères, et une instruction avait été prononcée, aboutissant, en juin 2022, à une ordonnance de non-lieu pour irresponsabilité pénale.
aujourd’hui, le sentiment est largement partagé : les personnels soignants comme administratifs sont confrontés à des violences reparties à la hausse ces derniers mois.
Les directions hospitalières assurent avoir déjà fait du chemin, en particulier depuis les attentats de 2015. Sécurisation des établissements, relance des conventions avec la justice et la police, déploiement de la télésurveillance ou d’agents de sécurité… « Il y a tout un arsenal qui existe déjà, relève Sophie Marchandet, responsable du pôle ressources humaines à la FHF.Mais la problématique a ceci de particulier que l’hôpital est, par définition, un « lieu ouvert », soutient-elle à l’unisson de nombreux hospitaliers, avec un « difficile équilibre » à trouver pour ne pas remettre en cause sa mission première d’accueil.
L’agression de Reims n’est pas sans précédent. En 2020, une infirmière de 29 ans était mortellement blessée par un patient à l’hôpital psychiatrique de Thouars, dans les Deux-Sèvres. En décembre 2004, un homme souffrant de schizophrénie avait tué à l’arme blanche deux soignantes de l’hôpital psychiatrique de Pau (Pyrénées-Atlantique). En avril 2002, un infirmier d’un hôpital psychiatrique de Bron (Rhône) était lui aussi mortellement blessé au couteau par un patient de 19 ans.
Camille Stromboni et Samuel Laurent
France info, Patrick Chemla
Quatre syndicats ont même appelé en novembre dernier à la grève pour dénoncer les fermetures de lits. « Nous nous mobilisons depuis 2003 pour alerter sur cette crise très profonde de la psychiatrie, qui se perpétue depuis trente ans », insiste auprès de Franceinfo le psychiatre rémois Patrick Chemla, membre du conseil national de l’Union syndicale de la psychiatrie. « Ce drame nous conforte dans l’idée qu’il faut continuer à nous mobiliser. »
La psychiatrie est confrontée à des problèmes communs à tout l’hôpital, mais amplifiés par les spécificités des troubles mentaux.Ces derniers nécessitent souvent un suivi de longue haleine et les traitements médicamenteux doivent, la majeure partie du temps, être accompagnés de psychothérapies, qui supposent de longues consultations. «
Alors que les besoins de soins sont plus importants depuis la crise sanitaire du Covid-19, le nombre de lits d’hospitalisation en psychiatrie continue de diminuer, année après année (de 0,9% en 2021, après une baisse de 1,2% en 2020), selon un rapport publié en septembre 2021 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation des statistiques (Drees).
En 2021, plusieurs dizaines de psychiatres dénonçaient, dans Le Parisien, un recours excessif à l’enfermement, y voyant la « honte » de leur discipline à cause d’une pression excessive sur les soignants. « Il n’y a jamais eu autant de contentions, de placements en chambres d’isolement, car les jeunes qui arrivent ne sont pas correctement formés, regrette Patrick Chemla. Les internes en psychiatrie n’ont plus de formation en psychothérapie et, côté infirmier, la spécialité psychiatrique a été supprimée. »
Autre point commun avec l’hôpital :le manque de personnel. Ces pénuries concerneraient ainsi « cinq établissements hospitaliers sur six », alertaient les syndicats de psychiatres lors de leur appel à la grève, en novembre dernier.
Environ 30% des postes de praticiens hospitaliers ne sont actuellement pas pourvus », pointait pour sa part Isabelle Secret-Bobolakis, secrétaire générale de la Fédération française de psychiatrie (FFP), sur franceinfo, en mars 2022.
France bleue Champagne Ardenne, Patrick Chemla.
https://www.francebleu.fr/emissions/ma-france/ma-france-9057040
Journal L’Union, Patrick Chemla.
BFM, Mathieu Bellahsen
L’Obs, Mathieu Bellahsen
Que pensez-vous de ce discours politique qui associe psychiatrie et montée de l’insécurité ?
Mathieu Bellahsen : C’est un retour intégral de la séquence sarkozyste de l2008 où un étudiant avait été tué par un patient en permission à Grenoble. Cette séquence sécuritaire par la psychiatrie s’est un peu mise entre parenthèses sous Hollande et est revenue d’emblée sous Macron avec la circulaire Collomb. Cette dernière a créé un fichier qui assimilait les personnes hospitalisées sans consentement – par le préfet ou à la demande d’un tiers – et les fichés S. L’ancien ministre de l’Intérieur avait également donné des consignes aux préfets pour être plus raides sur les demandes de permissions pour les patients.
Mais c’est un cercle vicieux : plus on crée du sécuritaire, moins on accueille les gens. Moins on les accueille, plus ils vont mal. Lorsqu’ils sont moins soignés, ils peuvent potentiellement passer à l’acte, et avant tout sur eux-mêmes, avec des tentatives de suicide.
Le Monde, Mathieu Bellahsen, Patrick Chemla
« Toute histoire est singulière », répètent-ils. Mais au vu des premiers éléments communiqués par le procureur, le suivi psychiatrique n’apparaît pas défaillant. « Ce qui arrive est vraiment terrible, mais on voit que ce patient a bénéficié d’un suivi intensif, qui était nécessaire au vu de sa pathologie, avec des hospitalisations contraintes sur plusieurs années, et probablement ces dernières années un “programme de soins” avec l’obligation de venir prendre ses médicaments tous les jours, relève le docteur Mathieu Bellahsen, ancien chef de service de secteur en Ile-de-France, auteur de La révolte de la psychiatrie (&ea cute;ditions La Découverte, 2020). Tout semble dans les clous de ce point de vue. »
Le praticien tient à le souligner : « Des patients souffrant de schizophrénie paranoïde, avec un syndrome de persécution aussi intense et envahissant, comme cela semble être le cas, sont extrêmement rares et compliqués à suivre. Ils peuvent masquer leur état ou cloisonner les choses selon les interlocuteurs, ce qui rend les arbitrages toujours difficiles à prendre. »
Pour Patrick Chemla, psychiatre à Reims et fondateur du centre Antonin Artaud, il faut interroger en revanche le contexte, le « détricotage » du « tissu psychiatrique » sur le terrain, dit-il, allant du psychiatre au psychologue, en passant par l’infirmier, l’éducateur, l’aide-soignant…
Mediapart, Delphine Glachant, Mathieu Bellahsen, Patrick Chemla
Meurtre d’une infirmière à Reims : la psychiatrie en déshérence
Les politiques évitent soigneusement le cœur du sujet : ces violences ne sont pas déconnectées des politiques publiques menées. En psychiatrie, en quarante ans, le nombre de lits a été divisé par deux, conséquence d’une politique souhaitable de « désinstitutionalisation », mais aussi de mesures d’économies. En parallèle, l’offre de soins ambulatoires, en dehors de l’hôpital, au plus près de la vie quotidienne des patient·es, n’a jamais été suffisante : les centres médico-psychologiques croulent sous la demande et imposent des mois d’attente à leurs nouveaux patients et patientes.
« Dans les centres médico-psychologiques, pour répondre aux nouvelles demandes, on est obligés d’espacer les rendez-vous, précise Delphine Glachant, psychiatre au centre hospitalier Les Murets (Val-d’Oise) et présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie. Quand les gens décompensent, on le repère moins vite, et ils décompensent plus. Notre seule réponse est l’isolement, qui génère de la violence, de plus en plus de violence. C’est mon sentiment. »
« Même dans une psychiatrie idéale, il y a des patients dangereux », reconnaît le psychiatre Mathieu Bellahsen, ancien chef de pôle à l’hôpital Roger-Prévot de Moisselles, dans le Val-d’Oise, débarqué pour avoir défendu les droits de ses patient·es (lire notre enquête ici). « Mais il y a aussi des patients rendus dangereux par une institution maltraitante, poursuit le médecin, qui s’apprête à publier un livre s’élevant contre la contention (lire son blog sur Mediapart ici). Il faut éviter de rendre les gens très hostiles vis-à-vis de la psychiatrie. Et prendre en soins, à tous les stades, du plus ouvert au plus fermé. »
Psychiatre à Reims, chef de service du centre d’accueil de jour Antonin-Artaud, Patrick Chemla ne peut rien dire des conditions de prise en charge de ce malade psychiatrique, qui n’a pas fréquenté son service. Mais il estime que « ces personnes en très grande vulnérabilité psychique ont besoin d’un espace sécurisant, cela devrait être la fonction d’un service public de psychiatrie. Au centre Antonin-Artaud, il y a un accueil physique ou téléphonique inconditionnel 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. Les gens peuvent venir sous n’importe quel prétexte, pas seulement pour voir le psy, mais pour trouver un lieu soignant ».
Cette méthode de travail est celle de la psychothérapie institutionnelle, née après guerre en réaction à l’enfermement des malades. Dans les années 1960 et 1970, elle a révolutionné la psychiatrie, la réorganisant en secteurs au plus près des lieux de vie.
« On vit une très grande régression, estime le docteur Chemla. Des lieux comme le nôtre, il n’y en a presque plus. L’État, avec sa politique d’évaluation comptable, est contre nous. La psychiatrie universitaire ne croit plus qu’au médicament, à l’efficacité pourtant relative. Les infirmiers en psychiatrie ne reçoivent plus aucune formation. Pourtant, la seule thérapeutique qui a fait ses preuves est le lien humain. »
La réponse sécuritaire de la Ministre déléguée
« Au lendemain du drame, la ministre déléguée chargée de l’Organisation territoriale et des Professions de santé, Agnès Firmin Le Bodo, a esquissé de premières pistes. Interrogée dans la soirée du mardi 23 mai sur France Info, elle explique qu’elle travaille depuis novembre sur la question de la sécurité des professionnels de santé et qu’un rapport doit justement lui être remis le 1er juin. «
sensibiliser le public et former les gens à la gestion de l’agressivité,sécuriser les bâtiments, des bracelets qui permettent de géolocaliser les soignants, une réponse pénale plus importante
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Contexte politique.
Mediapart, Edwy Plenel.
Emmanuel Macron vient donc de se lancer dans une croisade contre la « décivilisation », selon ses propos tenus en conseil des ministres le 24 mai. Son prétexte est un amalgame grossier entre des événements sans aucun rapport, dans une montée en généralité qui, loin de toute rigueur factuelle, permet au président de la République de désigner une « violence » indistincte comme le mal principal qui gangrènerait la France.
Étant entendu que, dans son esprit, il ne saurait s’agir que d’une violence d’en bas, venue de la société, de ses groupes et de ses individus, et non pas de la violence d’en haut, venue de ses propres politiques autoritaires et choix économiques, de leurs dénis de démocratie et de leurs injustices sociales.
Mort à Roubaix de trois policiers percutés par un chauffard roulant à contresens, en excès de vitesse, fortement alcoolisé et sous l’emprise de stupéfiant ; meurtre à Reims d’une infirmière par un patient suivi pour des troubles psychiatriques ; incendie criminel à Saint-Brevin du domicile d’un maire harcelé par une extrême droite mobilisée contre l’accueil des migrants ; multiplication à Marseille des règlements de comptes sanglants dans les milieux du banditisme ; virulence à l’adresse d’élus aggravée par le climat de ressentiment né de la crise des retraites…
Additionner ces faits divers, aux contextes et aux causes fort différents, c’est construire un objet factice, à la manière des coutumières mises en scène médiatiques sur les questions de sécurité. C’est aussi invisibiliser, en les noyant dans un fourre-tout fait-diversier, les haines ordinaires et les violences racistes que libère la montée de l’extrême droite. Et faire oublier la faible ou tardive mobilisation de l’État pour les prévenir ou les réprimer.
Sauf à le croire inculte, c’est bien cet imaginaire politique extrêmement droitier qu’a convoqué le président de la République en employant ce mot.
Deux témoignages poignants.
Philippe Bizouarn, Médecin, service d’anesthésie-réanimation à l’Hôpital Laennec (CHU Nantes) et philosophe, laboratoire Sphere, Université de Paris Cité.
https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/papa-je-suis-schizophrene-medecin-et-pere-dun-enfant-malade-il-temoigne-pour-defendre-la-psychiatrie-publique-20230526_DGSWAV6W2VGFJG7BM3BJMSQBMQ/file:///C:/Users/Propri%C3%A9taire/Downloads/Bizouarn_PsychiatriePublique_Lib%C3%A9ration_26mai2023_230527_%20102507.pdf
Marie Dorsan, soignante et écrivaine https://blogs.mediapart.fr/mary-dorsan/blog