Rapport des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières
SAINTE-SOLINE 24–26 mars 2023
EMPÊCHER L’ACCÈS À LA BASSINE QUEL QU’EN SOIT LE COÛT HUMAIN
CONCLUSION
Dans un contexte de changement climatique et de sécheresses à répétition, la question de la
bonne gestion des biens communs environnementaux se pose avec acuité. Face au risque, perçu
comme croissant, d’accaparement de l’eau par des intérêts économiques soutenus par les pouvoirs
publics, des mobilisations citoyennes diverses ont fleuri (et continuent de naître) partout dans
l’hexagone pour imposer cette thématique dans le débat public.
Ainsi, de nombreuses personnes ont choisi d’user de leur liberté d’expression, d’association, du
droit de réunion pacifique, en adoptant tant des formes classiques de revendications que des nouvelles
formes plus « perturbatrices » se réclamant entre autres de la désobéissance civile afin de visibiliser
cette revendication politique. Cela, afin d’exiger du Gouvernement et des acteur·ice·s économiques
qu’iels s’investissent résolument sur ces questions.
Cependant, les préoccupations et revendications de ces militant·e·s se heurtent de plus en plus
à la criminalisation politique de leur lutte et à la répression de leurs militant·e·s.
La mobilisation contre le projet de méga-bassine à Sainte-Soline est un exemple parlant
du continuum répressif que le gouvernement applique de plus en plus à l’encontre des
mobilisations écologistes.
Cette manifestation de mars 2023 a fait l’objet de 8 arrêtés d’interdiction des manifestations,
des attroupements ou rassemblements revendicatifs, sur un territoire particulièrement étendu (dans pas
moins de 17 communes durant tout le week-end).
Cette zone géographique a été le théâtre d’un déploiement massif de moyens de
surveillance, comprenant des mesures de renseignements prises à l’encontre de personnalités du
mouvement opposées aux méga-bassines et de certain·e·s élu·e·s de la République. Un grand
nombre de dispositifs de captation d’images de surveillance et de contrôle a été constaté en amont,
pendant et après la mobilisation qui s’étendait sur trois jours.
Des contrôles routiers et d’identité massifs, liés aux réquisitions du procureur, ont été
déployés pendant un laps de temps et une zone géographique dépassant largement ceux de la
mobilisation. Une grande marge d’appréciation était laissée aux forces de l’ordre lors de ces
contrôles.
Taxé·e·s tour à tour d’éco-terrorisme, d’activisme violent, de gauche radicale, qualifié-es
d’adversaires, de milices d’ultra-gauche, par le pouvoir exécutif et les autorités de police ainsi qu’une
partie des médias, les manifestant·e·s ont été criminalisé·e·s, tant pour disqualifier leur
revendication politique autour du partage de l’eau que pour justifier un emploi non nécessaire et
disproportionné de la force à leur encontre.
On ne peut que s’interroger sur la volonté des autorités au regard du nombre de gendarmes
mobilisés et du choix des armes déployées. Plus de 3 200 gendarmes et policiers ont été engagés du 24
au 26 mars dans le cadre de cette mobilisation, un peloton motorisé d’intervention et d’interposition
(PM2I) monté sur quad, 9 hélicoptères, 4 blindés, 4 canons à eau, 4 pelotons héliportables ont été
déployés. De nombreuses armes, relevant notamment du matériel de guerre, ont été vues et utilisées à
Sainte-Soline : lanceurs Cougar, grenades lacrymogènes, ASSD, GENL, GM2L, lanceur de balles de
défense, produits de marquage codé…
Comme évoqué, les hostilités autour du projet de méga-bassine ont été initiées par les forces de
l’ordre, qui ont par la suite fait un usage démesuré et invraisemblable d’armes de guerre, mettant
gravement en danger l’ensemble des manifestant·e·s qui se trouvaient aux alentours de la bassine. Bien
que le décompte de l’utilisation des armes puisse être mis en question, c’est a minima plus de 5 000
grenades qui ont été lancées, de manière indiscriminée, sur une période d’environ deux heures.
Au-delà du nombre et de l’important déploiement des armes, le caractère « spectaculaire » du
maintien de l’ordre réside dans la constitution d’un « fortin » créé par l’alignement des camions de
gendarmerie autour de la bassine entraînant de facto leur encerclement par les manifestant·e·s
déterminé·e·s à y accéder. Les manoeuvres possibles pour les forces de l’ordre se sont retrouvées
drastiquement réduites par cette configuration, offrant comme unique possibilité, pour obéir aux ordres,
de laisser passer les manifestant·e·s, ou de les repousser, quoi qu’il en coûte, afin qu’iels ne parviennent
pas à accéder au chantier de méga-bassine (soit un trou dans la terre).
S’ajoutant aux nombreuses blessures causées par l’usage disproportionné et à plusieurs reprises
non nécessaires des armes, la priorité donnée à des enjeux de maintien de l’ordre sur toute autre
considération a révélé son absurdité lors des entraves aux secours. La responsabilité des pouvoirs
publics et notamment de l’État, est manifestement engagée du fait de l’absence d’anticipation ,
puis de la volonté délibérée de ne pas porter secours au plus vite, cela en plus des responsabilités
pénales liées aux conséquences d’une possible non-assistance à personne en danger.
A la suite de la manifestation, des déclarations hâtives du ministre de l’Intérieur ont participé à
la divulgation de fausses informations sur le déroulé de la manifestation. Des rapports de la gendarmerie
et de la préfecture des Deux-Sèvres ont également avancé des éléments factuellement faux. Toute cette
communication « officielle » constitue une réécriture alarmante des événements.
Ainsi, la volonté politique était claire ; la manifestation de Sainte-Soline ne devait pas avoir
lieu, et toute personne qui bravait l’autorisation préfectorale s’exposait à des risques pour son
intégrité tant physique que morale. Aucune place n’a été laissée pour permettre un dialogue
politique lié aux revendications des manifestant·e·s, l’ensemble de la communication officielle
portant sur le déroulé de la manifestation, alimenté par une rhétorique guerrière et fallacieuse,
sous la houlette du ministère de l’Intérieur.
Enfin, il convient de rappeler que les événements qui se sont déroulés à Sainte-Soline
s’inscrivent dans un contexte plus général de répression violente des mouvements sociaux et d’atteinte
à la liberté de manifester et d’expression. Partout en France, que ce soient lors de rassemblements
écologistes ou lors du mouvement national contre la réforme de retraite, on assiste à un nombre croissant
d’arrêtés d’interdiction de manifestation, à une répression tant policière que judiciaire des
manifestant·e·s et à de nombreux cas de blessé·e·s en manifestation.
Ces atteintes sont telles que l’ONU s’en est alarmée et a fait part de ses préoccupations au
regard de la situation en France187, ainsi que le Conseil de l’Europe188. La Défenseure des droits189,
la Contrôleuse générale des lieux de privation de libertés190 ou la Commission nationale
consultative des droits de l’Homme191 ont également tiré la sonnette d’alarme.
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Concernant Serge D (en annexe du rapport)
B) Chronologie des événements s’agissant de Serge D.
Cette annexe a vocation à documenter les faits relatifs à l’absence de prise en charge d’un des
blessé·e·s lors de la manifestation du 25 mars 2023. Dans cette partie, il a été décidé de publier des
extraits du minutier de l’équipe sur place afin de présenter notre méthodologie d’observation.
Serge D. est blessé à 13h45. A 13h46, un groupe de manifestant·e·s le transporte pour l’évacuer de
la zone où il a été blessé. Il est déposé sur le sol puis est de nouveau transporté quelques instants après
sur la route qui est à proximité. À 13h48, un premier appel est passé. À 13h54, un nouveau déplacement
est effectué car le PM2I a tiré des grenades jusque dans la zone où le blessé est en train d’être pris en
charge par les médics.206
Le médecin J. en charge du back-office des soignant·e·s appelle le SAMU à 14h11 qui lui indique
ne pas pouvoir intervenir.
Entre 14h15 et 14h20, les trois avocat·e·s de l’inter-observatoire sont avertis par le médecin J.,
qu’un des manifestant·e·s était en situation d’urgence vitale. Il s’agit de Serge D..
En présence des trois avocat·e·s, J. appelle à nouveau le SAMU à 14h25 en rappelant qu’au regard
des symptômes décrits, il s’agit d’un traumatisme crânien et que la personne est en urgence vitale.
L’interlocuteur du SAMU indique que les secours ne peuvent se déplacer tant que la zone n’est pas
sécurisée. J. précise alors que des personnes sur place lui ont précisé que la zone était calme.
À 14h33, le backoffice de l’inter-observatoires demande à une équipe d’observateur·ice·s de se
rendre à proximité du blessé.
À 14h45, Les observateur·ice·s, arrivé·e·s sur les lieux, indiquent au backoffice que la situation est
calme, sans aucun risque de sécurité, et cela depuis 14h10.
En effet, il ressort de cet extrait du minutier de l’équipe Gironde-93 sur place que : (….)
À 14h50, l’équipe d’observateur·ice·s assiste à un appel d’une médecin urgentiste, Agathe, présente
sur place et prenant en charge Serge D.. Lors de cet appel passé en haut-parleur, la médecin urgentiste
détaille la situation, l’urgence vitale dans lequel se trouve le blessé, et l’absence de matériel pour soigner.
Mais le SAMU refuse d’intervenir, invoquant des motifs de sécurité pour leur équipe :
À 14h55, le docteur J. appelle de nouveau les secours en présence des trois avocat·e·s. Cet appel a fait l’objet d’un enregistrement, depuis publié207, dont la retranscription est la suivante :
Retranscription
« DR J : Non Pas du tout je suis pas sur place je suis loin et je reçois des appels. J’ai essayé de
joindre le pôle PRV là, je n’arrive pas à les joindre. L’évaluation que … ouais ouais on voudrait en
tout cas un… ouais ouais ouais, F., je les ai appelés tout à l’heure déjà, merci.
[…]
POMPIER : Je viens d’avoir un représentant du SAMU sur place qui dit qu’ils n’envoient personne
sur place leur point de regroupement des victimes est à l’église de Sainte-Soline une fois que ce sera
là-bas l’engagement des moyens sera décidé.
DR J : Écoutez, je pense que…. c’est pas opportun comme décision… je suis médecin, il y a des
observateurs de la LDH la ligue des droits de l’Homme qui sont sur place qui disent que c’est calme
depuis une demi heure donc en fait vous pouvez intervenir. Et moi mon évaluation à distance avec
des éléments parcellaires que j’ai c’est que, il faut une évacuation immédiate, c’est pas…
POMPIER : D’accord. Je vais vous repasser le SAMU
[…]
SAMU : Le SAMU bonjour, la salle de crise
DR J : Oui bonjour Dr F à nouveau c’est vous que j’ai eu tout à l’heure au téléphone ? Oui super
vous en êtes où de la plus grosse urgence absolue de ce que j’ai comme impression moi de loin ?
SAMU : Alors déjà le problème c’est que vous n’êtes pas sur place donc c’est un peu compliqué.
DR J : Ouais mais en fait…
SAMU : On a eu un médecin sur place et on lui a expliqué la situation c’est qu’on enverra pas
d’hélico ou de moyen SMUR sur place parce qu’on a ordre de ne pas en envoyer par les forces de
l’ordre, voilà
DR J : OK, est ce que… voilà alors moi je suis avec des observateurs de la ligue des droits de l’Homme
qui disent que leurs observateurs sur place disent que c’est calme depuis 30 minutes et que donc il
est possible d’intervenir
SAMU : Je suis d’accord avec vous vous n’êtes pas le premier à nous le dire le problème c’est que
c’est à l’appréciation des forces de l’ordre et qu’on est sous un commandement qui n’est pas nous et
donc pour l’instant on a ordre de rassembler les victimes au niveau de l’église de Sainte-Soline c’est
ce qui est en train d’être fait avec des moyens pompiers qui se déplacent sur site pour prendre en
charge et ramener, mais pour l’instant pas de moyen de SMUR ou d’hélico qui peuvent se poser sur
place
DR J : La LDH me dit qu’il y a des médecins militaires qui viennent d’arriver sur place, est ce que
vous avez cette information vous aussi ou pas ?
SAMU : Les médecins militaires ils sont là pour les forces de l’ordre
DR J : Ah ils sont là pour les forces de l’ordre, OK
SAMU : C’est leur service de médecine pour les forces de l’ordre, ce n’est pas urgences et SAMU
DR J : OK, alors, la ligue des droits de l’Homme me demande, est ce que vous avez un contact au
niveau du commandement à transmettre à la ligue des droits de l’Homme pour qu’on puisse
intervenir… ?
SAMU : Négatif, négatif
DR J : Est-ce que vous voulez que je vous passe la ligue des droits de l’Homme ? Comment est-ce
qu’on peut faire ?
SAMU : Non plus, ce n’est pas notre travail. Nous on gère les victimes pour l’instant et les secours.
Je n’aurais pas le temps de…OK, moi le SAMU… il faut qu’ils fassent le point dans ce cas-là ils
contactent la préfecture.
[…]
AVOCATE : Vous avez interdiction d’intervenir ? Vous confirmez que vous avez interdiction
d’intervenir ?
SAMU : On n’a pas l’autorisation d’envoyer des secours sur place car c’est considéré comme étant
dangereux sur place
AVOCATE : OK – mais si ça ne l’est pas ce serait de la non-assistance à personne en danger
SAMU : Pas de problème mais on doit avoir nos secours en sécurité également, malheureusement
on n’a pas autorisation de les envoyer comme ça,
AVOCATE : Vous n’avez pas autorisation des forces de l’ordre, ou de votre analyse ?
SAMU : On n’a pas autorisation de toutes les institutions sur place, pour l’instant on est sur
leur commandement
AVOCATE : Quelles institutions du coup ?
On a besoin d’analyser très clairement parce que là il y a quelqu’un qui peut décéder donc…Pour
que leurs responsabilités soient établies on a besoin de savoir.
SAMU : On fait au mieux mais malheureusement il n’y a pas de possibilité d’envoyer…
AVOCATE : Qui interdit l’accès à cette personne en danger grave, vital ?
DR J : Vous confirmez que c’est la préfecture qui interdit l’accès, c’est ça ?
SAMU : Non ce n’est pas la préfecture qui interdit l’accès, je vous dis que c’est le commandement
sur place
DR J : Comment on fait pour contacter le commandement sur place ?
SAMU : Eh ben il faut passer par la préfecture. On ne peut pas vous les donner directement,
DR J : Est-ce qu’il faut faire le 17 pour avoir le commandement sur place ? Vous croyez ou pas ?
SAMU : Il faut passer par les forces de l’ordre effectivement
AVOCATE : C’est quoi vous votre contact avec eux ?
SAMU : Nous malheureusement le SAMU on est juste là, on nous demande d’envoyer les moyens
qu’on envoie à des points donnés on peut pas faire plus.
DR J : Ouais, ouais, mais on sait bien vos contraintes mais on essaie de vous permettre de travailler
parce que vous êtes empêchés de travailler en fait.
SAMU : On monopolise la ligne d’urgence ». (fin de l’appel)
A 14h56, l’équipe d’observateur·ice·s présente sur place voit arriver des médecins militaires
qui apportent les premiers soins à Serge D. :
À 15h05, une voiture du SAMU parvient finalement sur la zone. Les pompiers sont cependant
toujours bloqués par les forces de l’ordre :
Le témoignage d’un militant de Bassine Non Merci vient compléter le contexte de l’arrivée de
l’ambulance :
Militant de Bassine Non Merci
« A un moment, il se dit que les SAMU ont enfin l’autorisation d’arriver, et effectivement peu
de temps après nous voyons une ambulance « officielle » arriver sur l’autre route où se trouvent
d’autres blessés. Mais l’avancée jusqu’à nous n’est pas possible donc je traverse le champ en
courant pour les rejoindre. Je leur montre la position de S sur l’autre chemin, leur dit que ça
va être compliqué de passer par là (foule compacte à cet endroit et surtout passage le long de
la bassine bloqué avec les véhicules brûlés) et plus facile de faire le tour, mais que je peux les
y emmener. Je monte à l’arrière de l’ambulance, qui fait demi-tour et tourne à droite pour
reprendre le chemin par lequel nous étions passés avec Benoît Jaunet et l’autre personne.
L’ambulance arrive sans encombre et sans obstruction jusqu’à S pour le prendre en charge.
Un transfert est opéré dans l’ambulance, qui démarre puis s’éloigne de quelques dizaines de
mètres pour s’arrêter juste après le carrefour, où elle restera jusqu’à ce que je reparte du site
»
À 15h14 la préfète des Deux-Sèvres tweete « La prise en charge des blessés est en cours. Les
évacuations ont commencé. Ne gênez pas la progression des secours208 ».
208 https://twitter.com/Prefet79/status/1639631925194235906
Plusieurs manifestant·e·s expriment leur crainte d’être pris en charge par les pompiers au regard
des poursuites judiciaire : (…)
Le témoignage d’un militant de Bassine Non Merci vient compléter le contexte de l’arrivée de
l’ambulance :
Militant de Bassine Non Merci
« A un moment, il se dit que les SAMU ont enfin l’autorisation d’arriver, et effectivement peu
de temps après nous voyons une ambulance « officielle » arriver sur l’autre route où se trouvent
d’autres blessés. Mais l’avancée jusqu’à nous n’est pas possible donc je traverse le champ en
courant pour les rejoindre. Je leur montre la position de S sur l’autre chemin, leur dit que ça
va être compliqué de passer par là (foule compacte à cet endroit et surtout passage le long de
la bassine bloqué avec les véhicules brûlés) et plus facile de faire le tour, mais que je peux les
y emmener. Je monte à l’arrière de l’ambulance, qui fait demi-tour et tourne à droite pour
reprendre le chemin par lequel nous étions passés avec Benoît Jaunet et l’autre personne.
L’ambulance arrive sans encombre et sans obstruction jusqu’à S pour le prendre en charge.
Un transfert est opéré dans l’ambulance, qui démarre puis s’éloigne de quelques dizaines de
mètres pour s’arrêter juste après le carrefour, où elle restera jusqu’à ce que je reparte du site
Il faut attendre 16h02 pour que l’ambulance emmène Serge D.
Communiqué et synthèse
Le samedi 25 mars 2023, en dépit d’intimidations de la part des autorités publiques, 18 observateur·ice·s indépendant·e·s étaient présent·e·s à la manifestation contre le projet de méga-bassine à Sainte-Soline.
Après un travail de plusieurs mois fondé sur des observations de terrain, recoupées à l’aide de témoignages et d’éléments matériels, les observateur·ice·s versent au débat public un rapport minutieux relatif à la stratégie de maintien de l’ordre déployée ainsi que le récit précis du déroulement de la manifestation.
Dès le 24 mars 2023, le ministre de l’Intérieur avait averti que l’on verrait « […] des images extrêmement dures, parce qu’il y a une très grande mobilisation de l’extrême gauche et de ceux qui veulent s’en prendre aux gendarmes et peut-être tuer des gendarmes et tuer les institutions ». Les autorités publiques ont alors mis en scène un maintien de l’ordre spectaculaire d’une très grande violence. Derrière une muraille de camions, 3000 gendarmes armés étaient rassemblés autour du chantier de la méga-bassine. Ces derniers ont attendu que les manifestant·e·s arrivent à proximité du chantier transformé en fortin et ont alors déchaîné une violence immodérée, donnant lieu à des images brutales. Face à un ennemi de l’intérieur “éco-terroriste”, construit depuis plusieurs mois par les autorités publiques, l’Etat devait réussir sa démonstration de force. En moins de deux heures, plus de 5000 grenades ont été tirées, occasionnant au moins 200 blessé·e·s.
Interrogées sur cet usage indiscriminé et disproportionné de la force, les autorités publiques ont persisté dans la confrontation et se sont livrées, de manière alarmante, à une réécriture des événements. DEUX RAPPORTS commandés par le ministère de l’Intérieur ont été rédigés et publiés à la hâte dès le 27 mars 2023, visant à accréditer cette version officielle.
Contrairement à ce qui a été affirmé, nos observations de terrains démontrent que ce sont bien les gendarmes, montés sur les quads, qui ont effectué une sortie en se rendant en premier au contact des manifestant·e·s à 12h35 ; que les gendarmes ont bien attaqué les cortèges sans sommation ; que des blessé·e·s et les élu·e·s qui les protégeaient ont bien été pris·e·s pour cibles par des tirs de grenades et que la trêve a bien commencé à 14h08, laissant place au calme durant une heure.
Emportées par leur récit guerrier, les autorités publiques ont choisi de ne pas secourir des blessé·e·s en détresse vitale. Ne pouvant ignorer qu’un déploiement de forces aussi démesuré et l’utilisation de matériels de guerre occasionneraient immanquablement des blessé·e·s, les autorités ont entravé les secours au mépris de la vie humaine.
Pour Patrick Baudouin, président de la LDH : « Depuis Sainte-Soline et malgré de nombreuses alertes, notamment des rapporteurs spéciaux des Nations unies, le gouvernement persiste dans une logique liberticide et autoritaire de criminalisation et de répression des mobilisations sociales. »
Paris, le 10 juillet 2023
https://www.ldh-france.org/empecher-lacces-a-la-bassine-quel-quen-soit-le-cout-humain-2/
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Synthèse rapport
Dans le cadre d’une mobilisation à l’appel de plus de cent organisations, dont les collectifs Bassine Non Merci et Les Soulèvements de la Terre ainsi que la Confédération paysanne contre le projet de méga-bassine de Sainte-Soline, 22 membres des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières du 93, de Gironde, de Paris, du Poitou-Charentes et de Toulouse étaient présent·e·s du 24 au 26 mars sur la zone de Melle et Sainte-Soline, afin d’observer les pratiques de maintien de l’ordre, particulièrement lors de la manifestation autour du chantier de méga-bassine qui se tenait le 25 mars.
Dès vendredi, jour d’arrivée des équipes d’observation, nous avons constaté le déploiement d’un dispositif ultra-sécuritaire dans un périmètre très large autour de la zone de la mobilisation, et bien au-delà : des barrages routiers massifs assortis de contrôles d’identité et de fouilles de véhicules généralisés – laissés en grande partie à l’appréciation des forces de l’ordre – dont la légalité pourrait être interrogée vu leur étendue géographique et temporelle, mais également la présence d’au moins un camion doté d’un dispositif de renseignement et le survol permanent de la zone par au moins un hélicoptère de gendarmerie. Ces opérations se sont poursuivies jusqu’au dimanche.
Cinq équipes d’observateur·ice·s étaient présentes le samedi 25 mars et ont suivi les trois cortèges (rose, jaune et bleu) qui composaient la manifestation.
Les conclusions établies par le présent rapport, basées sur les observations de terrain des différentes équipes, remettent largement en cause la version officielle présentée par les autorités, qui se sont livrées de manière alarmante à une réécriture des événements.
Avant même l’arrivée des manifestant·e·s aux abords du chantier de la méga-bassine de Sainte-Soline, des binômes de gendarmes armés et coiffés de casques de moto, montés sur 20 quads sont venus au contact des cortèges.
Contrairement à ce qu’avancent les rapports de la gendarmerie et de la préfète des Deux-Sèvres, l’engagement de la force a bien été décidé à l’encontre des cortèges rose puis jaune, en l’absence d’acte d’hostilité de leur part, et ce sans sommation. Si la venue des quads à quelques mètres du cortège bleu a été source de tensions et a entraîné quelques tirs de feux d’artifice à distance de la part de certain·e·s manifestant·e·s, la réponse immédiate (voir quasi-simultanée) des forces de l’ordre, consistant à gazer de manière indiscriminée et abondante l’ensemble du cortège, est apparue, dès le début des « affrontements », totalement disproportionnée et surtout génératrice de tensions. Le comportement de la gendarmerie lors de cette première rencontre avec les manifestant·e·s ne peut en aucun cas être assimilé à une tentative de désescalade.
Ensuite, lors de l’arrivée des cortèges sur le site de la bassine, les gendarmes ont tiré en continu sur l’ensemble des manifestant·e·s avec des armes relevant des matériels de guerre : tirs de grenades lacrymogènes, grenades assourdissantes et explosives de type GM2L, ASSD et GENL, ainsi que des tirs de LBD 40.
Les observateur·ice·s remarquent que les tirs de grenades lacrymogènes et explosives ont été massifs, indiscriminés et parfois tendus sur l’ensemble des manifestant·e·s. Ces grenades ont notamment été envoyées très loin dans les cortèges, à l’aide de lanceurs et de dispositifs de propulsion à retard. Que ce soient des journalistes, des observateur·ice·s, des élu·e·s, des blessé·e·s, ou des manifestant·e·s à distance du chantier, l’ensemble les personnes présentes aux abords du chantier de méga-bassine ont été touchées, sans distinction, par des tirs de grenades. Les détonations très rapprochées de grenades explosives étaient très souvent suivies de cris d’appel au secours pour assistance médicale.
Ce rapport revient également sur la partie du rapport de l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) relative aux tirs de LBD depuis les quads, démontrant que la motivation retenue par les autorités s’appuie sur des éléments factuellement faux, permettant largement de douter de l’argument invoqué par les gendarmes quant à leur situation de « légitime défense ».
Enfin, les observations ont établi que la protection des blessé·e·s a été mise en défaut plusieurs fois par les opérations des forces de l’ordre. Notamment, lorsque les élu·e·s ont formé une chaîne humaine autour des blessé·e·s pour les protéger et permettre leur évacuation, des grenades lacrymogènes ont été tirées dans leur direction, les contraignant à reculer et déplacer les blessé·e·s. Dès lors, en contradiction avec ce que prétend la préfète des Deux-Sèvres, rien ne justifiait l’utilisation de la force à l’encontre de ces personnes.
Au surplus, il a pu être constaté des entraves aux secours pour les blessé·e·s les plus graves par les autorités publiques : tant les pompiers sur place que le SAMU ont déclaré ne pas pouvoir s’approcher des blessé·e·s dont un blessé grave pour le prendre en charge, en raison d’un défaut d’autorisation par le commandement qui invoquait des heurts dans la zone où se trouvait le blessé. Pourtant, l’ensemble des équipes d’observation ont constaté que dans le laps de temps en question, la zone était totalement calme et sans danger, éloignée de plusieurs centaines de mètres des forces de l’ordre et des manifestant·e·s.
Ainsi, la responsabilité des pouvoirs publics et notamment de l’Etat est engagée.
Plus généralement, la stratégie de maintien de l’ordre retenue par les autorités, traduite par le positionnement des gendarmes acculés au chantier de la bassine, a mis gravement en danger l’ensemble des personnes présentes sur place : cette opération de maintien de l’ordre n’a semblé reposer que sur l’usage massif des armes.
En seulement deux heures ce sont plus de 5 000 grenades qui ont été utilisées contre les manifestant·e·s, tirées de manière indiscriminée et continue, témoignant d’une intensité exceptionnelle et d’un usage immodéré du recours à la force, occasionnant de très nombreuses blessures, souvent graves, allant même jusqu’à plusieurs urgences absolues.
Cet usage disproportionné d’armes de guerre avait un objectif clair : empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain.
Ce choix stratégique de maintien de l’ordre fut ainsi lourd de conséquences. Les observateur·ice·s ont constaté de très nombreuses blessures et appels de « médics » tout au long de la manifestation. Nombre de blessé·e·s n’ont pas pu être pris·e·s en charge, car le manque d’indépendance des moyens de secours vis-à-vis du dispositif de police a conduit à une forme d’auto-organisation des manifestant·e·s pour le soin (contrainte notamment par les arrêtés d’interdiction de circulation). Enfin, de nombreux·ses blessé·e·s ont renoncé aux soins, par peur de la répression.
Les communications des autorités, en amont et en aval de la manifestation, témoignent d’une volonté de criminaliser les participant·e·s, afin de légitimer auprès du grand public un déploiement massif et inconsidéré de la force à leur égard. Cette volonté de manipuler l’information du public s’est exprimée tant dans les communications du commandement de la gendarmerie, de la préfecture des Deux-Sèvres que du ministère de l’Intérieur.
Télécharger le rapport : Rapport-final-10.07.23_DEF