Refon­der l’es­poir

Le premier tour des élec­tions régio­nales a confirmé, sous fond d’abs­ten­tion massive que le FN est aujourd’­hui le premier parti de France, faisant dans certaines régions des scores consi­dé­rables. Le vote FN est certes le produit de la destruc­tion du tissu social, de la peur du déclas­se­ment et plus globa­le­ment de l’ave­nir. Mais c’est la xéno­pho­bie qui est le ciment de ce vote. En parti­cu­lier, c’est l’im­mi­gra­tion, prise comme bouc émis­saire de la désin­té­gra­tion sociale, qui surdé­ter­mine la façon dont les élec­teurs du FN abordent les ques­tions sociales et écono­miques, les atten­tats terro­ristes venant renfor­cer cette peur de l’Autre qui prend aujourd’­hui la figure du musul­man. Ces élec­tions repré­sentent un triple échec.

Echec d’abord pour Nico­las Sarkozy et sa stra­té­gie qui vise à coller au plus près des thèses fron­tistes afin de phago­cy­ter le FN. Cette stra­té­gie a large­ment mis à mal les barrières entre l’élec­to­rat de la droite dite répu­bli­caine et le FN. La reprise des thèmes et des obses­sions du FN par une droite « décom­plexée » a surtout décom­plexé les élec­teurs et a entrainé natu­rel­le­ment une poro­sité toujours plus grande entre les élec­to­rats et ce, au béné­fice de l’ex­trême droite.

Echec ensuite pour François Hollande et le gouver­ne­ment Valls qui ont mené une poli­tique écono­mique et sociale néoli­bé­rale au mépris des valeurs de la gauche et de l’es­poir de chan­ge­ment qui avait pu exis­ter au moment de son élec­tion. L’aban­don des couches popu­laires livrées sans vergogne à la logique de compé­ti­ti­vité, le dépé­ris­se­ment des services publics avec l’ac­cep­ta­tion des exigences euro­péennes en matière budgé­taire, ou encore l’aban­don de terri­toires ont déses­péré l’élec­to­rat de gauche dont l’abs­ten­tion est mani­feste. Le tour­nant néocon­ser­va­teur suite aux atten­tats terro­ristes, avec la reprise des mesures sécu­ri­taires promues par la droite et le FN, n’a, comme on pouvait le craindre, que profi­ter à ce dernier, le légi­ti­mant comme parti respon­sable.

Dans cette situa­tion, l’échec du Front de gauche (FdG) et de EELV est emblé­ma­tique. Les alliances à géomé­trie variables d’EELV, son inca­pa­cité à choi­sir entre une ligne d’ac­com­pa­gne­ment du gouver­ne­ment et une oppo­si­tion franche ont rendu illi­sible son posi­tion­ne­ment poli­tique. Mais l’échec du FdG est encore plus signi­fi­ca­tif. Il vient de loin, c’est le produit d’une accu­mu­la­tion d’er­reurs et de ratés. Le FdG n’a pas su rebon­dir après la campagne prési­den­tielle réus­sie de Jean-Luc Mélen­chon. Il n’a pas su se trans­for­mer en un véri­table mouve­ment poli­tique et est resté un cartel élec­to­ral soumis aux inté­rêts immé­diats de ses prin­ci­pales compo­santes qui ont refusé après l’élec­tion prési­den­tielle d’ou­vrir les portes et les fenêtres pour accueillir les dizaines de milliers de personnes qui n’étaient encar­tées dans aucune orga­ni­sa­tion poli­tique mais qui s’étaient enga­gées acti­ve­ment dans la campagne élec­to­rale de 2012. Une occa­sion histo­rique a été ainsi manquée.

Mais le pire restait à venir avec la confu­sion poli­tique entrai­née par la déci­sion du PCF d’une orien­ta­tion à la carte pour les élec­tions muni­ci­pales – tantôt avec le PS, tantôt avec les autres forces du FdG –, la drama­ti­sa­tion opérée par le PG à ce sujet et la montée d’af­fron­te­ments internes qui l’a accom­pa­gnée, ce qui a pesé sur toute appa­ri­tion poli­tique pendant des mois. Ce conflit interne, et l’image d’écla­te­ment qui s’en est suivie, a perduré lors de la forma­tion en 2014 des listes pour les euro­péennes avec des tensions extrêmes, nombre de coup de forces, une campagne en demi teinte avec, in fine, un échec élec­to­ral puis ensuite une quasi dispa­ri­tion du FdG du champ poli­tique.

Mais tout cela renvoie à un mal plus profond. L’in­ca­pa­cité du FdG à avoir une posture poli­tique lui permet­tant d’être en phase avec les attentes de l’élec­to­rat de gauche. Car il ne suffit pas de critiquer la poli­tique gouver­ne­men­tale – ce que le FdG a fait à juste titre -, encore faut-il être porteur d’es­poir, montrer qu’une autre voie est concrè­te­ment possible, qu’une société plus juste et plus égali­taire est non seule­ment néces­saire mais réali­sable. Il faut être capable d’ar­ti­cu­ler les solu­tions concrètes à un imagi­naire qui permette de les envi­sa­ger. Il ne sert donc pas à grand chose d’af­fir­mer simple­ment à longueur de décla­ra­tions que tout va mal et que tout ira encore plus mal demain pour construire une alter­na­tive poli­tique. Se conten­ter de ne faire que cela ne fait que rajou­ter de l’an­goisse et de l’an­xiété dans une société rongée par la peur du lende­main. Certes cette atti­tude n’a pas été le fait de toutes les compo­santes du FdG, mais globa­le­ment c’est ainsi que le FdG est apparu. Combi­née avec les déboires poli­ti­ciens, ce posi­tion­ne­ment n’a pas permis que le vote pour le FdG appa­raisse utile.

Une nouvelle période est en train de s’ou­vrir et elle n’est pas très plai­sante. Le pire se présente devant nos yeux avec une possible arri­vée de l’ex­trême droite au pouvoir et l’his­toire est là pour nous rappe­ler qu’une fois au pouvoir celle-ci n’a cure des liber­tés démo­cra­tiques et que l’idée même d’al­ter­nance poli­tique lui est étran­gère. Mais même si ce danger peut être provi­soi­re­ment conjuré, l’état de la société française présente des aspects très inquié­tants où se combine une xéno­pho­bie massive et un recul des valeurs de soli­da­rité et d’éga­lité comme le montrent les enquêtes du Crédoc. La gauche, comprise ici non pas comme ses compo­santes parti­daires mais comme courant porteur des valeurs d’éga­lité, de soli­da­rité et de liberté, est aujourd’­hui mena­cée dans son exis­tence même. Un gouver­ne­ment qui s’en réclame est en train de s’at­taquer aux liber­tés publiques, retrou­vant ainsi la matrice mollé­tiste. Le mot gauche lui-même semble ne plus avoir de sens pour une partie non négli­geable de l’élec­to­rat.

Sa refon­da­tion poli­tique et program­ma­tique s’avère incon­tour­nable sous peine de margi­na­li­sa­tion durable ou même de dispa­ri­tion pure et simple. Une telle refon­da­tion ne peut venir d’une force poli­tique parti­cu­lière. Elle ne peut être que l’objet d’un proces­sus de débat, de confron­ta­tion qui dépasse les forces poli­tiques exis­tantes et implique les citoyen-nes. Il ne s’agit pas de nier l’im­por­tance des forces poli­tiques exis­tantes. Mêmes très affai­blies, elles restent un lieu indis­pen­sable de la vie citoyenne. Mais de simples accords d’ap­pa­reils ne peuvent aujourd’­hui créer la dyna­mique néces­saire pour recon­fi­gu­rer le champ poli­tique et construire une nouvelle offre poli­tique à gauche. Il faut donc enga­ger un proces­sus inédit avec toutes celles et tous ceux, encar­tés ou pas, qui sont oppo­sés à la poli­tique actuelle et qui refusent les pers­pec­tives morti­fères de la droite et de l’ex­trême droite. L’élec­tion prési­den­tielle de 2017 peut être un moment de cette refon­da­tion avec une candi­date ou un candi­dat qui serait issu de ce proces­sus. Plus facile à dire qu’à faire, mais le pire serait de ne pas le tenter.

Pierre Khalfa

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