Dominique Sopo, président de SOS-Racisme : « Faire l’économie de la lutte contre le racisme pour contrer la dynamique électorale du RN est illusoire et indécent »
Tribune
Dominique Sopo
Président de SOS Racisme
Le sursaut manifesté lors des élections législatives semble laisser place aux discours d’évitement de la question du racisme et de suivisme des idées du Rassemblement national, pour ne pas froisser ses électeurs, s’inquiète le président de SOS-Racisme dans une tribune au « Monde ».
Publié le 04 août 2024
A l’annonce des résultats du premier tour des élections législatives [le 30 juin], l’accès de l’extrême droite au pouvoir par les urnes s’est posé pour la première fois dans notre pays comme une hypothèse hautement probable. Une semaine plus tard et malgré des scores inquiétants, le Rassemblement national (RN) était relégué en troisième position grâce à un front républicain pourtant annoncé comme définitivement mort.
La France a puisé dans son histoire les forces d’un sursaut : celles du refus du racisme et de la xénophobie. En effet, pendant l’entre-deux tours, les responsables politiques et des médias ont semblé se souvenir que l’extrême droite était raciste et xénophobe, comme l’attestaient son programme, ses candidats ou la haine déclenchée en paroles et en actes par la perspective de sa potentielle victoire.
Le retournement électoral que ce discours – massivement mobilisé – a contribué à provoquer montre en creux l’inanité des discours – médiatiques, politiques, intellectuels – tenus de plus en plus bruyamment depuis l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle en 2002 et, bien plus encore, depuis l’accès de Marine Le Pen à la présidence du Front national (FN) en 2011.
Ces discours expliquaient qu’il fallait cesser de dénoncer le racisme du FN (devenu RN depuis 2018), vu que cela ne permettait pas de faire refluer ses scores et que la réalité de ce racisme était questionnable à mesure que le RN prétendait opérer sa mue républicaine.
Contre la logique de bouc émissaire
A contrario, le Graal était censé résider dans la critique programmatique du FN/RN, et dans la compréhension des motivations d’électeurs frappés par des problèmes sociaux que la gauche – aveuglée par un antiracisme la conduisant à opérer une substitution de la figure de l’ouvrier par celle de l’immigré – ne voulait plus résoudre ou ne savait plus identifier pour le plus grand profit de l’extrême droite.
Dans une version plus poussée, l’évitement est devenu suivisme. C’est ainsi que Gérald Darmanin a porté une loi « immigration » en prétendant répondre aux inquiétudes des Français en matière migratoire.
Pour quel effet ? Selon [l’institut de sondage] Elabe, entre mai et novembre 2023, la part des Français adhérant à l’idée selon laquelle il y a trop d’immigrés en France a bondi de 7 points. Ce phénomène a vraisemblablement nourri la dynamique électorale du RN à l’occasion des élections européennes, lors desquelles le parti menait campagne en bénéficiant de la légitimation de sa logique de l’immigré-bouc émissaire par le gouvernement lui-même.
Finalement, cette stratégie de l’évitement et du suivisme a facilité le déploiement de l’une des grandes œuvres de l’extrême droite : convaincre les citoyens que leurs problèmes venaient des immigrés et de leurs enfants, et que frapper ces derniers contribuera à résoudre lesdits problèmes. Résultat : alors que Jean-Marie Le Pen réunissait 5,5 millions de voix au second tour de l’élection présidentielle en 2002, Marine Le Pen en réunissait plus de 13 millions en 2022.
La séquence électorale que nous venons de traverser doit nous amener à tourner le dos à cette stratégie de l’évitement et du suivisme. Lutter contre le RN ne peut en effet se réaliser si les forces politiques ne luttent pas contre la logique de bouc émissaire sur laquelle ce parti prospère – notamment au sein des classes populaires – et si une autre logique – fondée sur une solidarité réaffirmée – ne lui est pas substituée.
Illusion et indécence
Car la réalité de l’électorat RN est connue : un sondage Elabe publié en novembre 2023 montre que 94 % des électeurs RN pensent qu’il y a trop d’immigrés en France. D’autres études établissent que cet électorat adhère aux préjugés racistes, antisémites et xénophobes dans une proportion notoirement supérieure aux autres électorats.
Or, tant que des citoyens penseront que les Noirs et les Arabes sont la source de leurs maux (et qu’ils constateront que cette pensée leur apporte de la commisération), ils resteront sourds aux propositions de tel ou tel parti, aussi « sociales » soient-elles. Bref, il est illusoire de vouloir séparer la lutte contre le racisme de la réponse aux problématiques des électeurs du RN frappés par les difficultés sociales.
Mais penser que l’on peut faire l’économie de la lutte contre le racisme pour contrer la dynamique électorale du RN n’est pas seulement illusoire. C’est également indécent : on n’abandonne pas la lutte pour un principe aussi structurant que l’égalité, sous prétexte qu’elle ne serait pas électoralement profitable.
A cet égard, le champ de l’antiracisme souffre de réflexions que l’on s’interdirait à l’endroit d’autres champs de lutte. Il n’est pas rare de tomber sur des réflexions publiquement exprimées ignorant les conséquences du racisme (insultes, coups, discriminations…) pour se concentrer sur la misère sociale (précarité, « insécurité culturelle », sentiment de déclassement…) rencontrée par les racistes.
Aucune interrogation majeure
Imaginez ce que l’on dirait si une personne affirmait que les violences conjugales ne doivent pas mener à s’attarder sur les femmes qui en sont victimes, mais à réconforter les hommes qui les ont frappées et à répondre à leur misère existentielle, voire à trouver quelque légitimité à leur geste.