Richard Seymour
(…)Ces dernières années, nous avons assisté à des tentatives spéculatives, à des incursions expérimentales, contribuant à créer les conditions culturelles et organisationnelles préalables à la légitimation d’une droite extra-parlementaire violente. (…) Il faut du temps pour développer les coalitions de forces, au sein et au-delà de l’État, pour légitimer toute une culture de cruauté et de violence, pour éroder l’engagement de la bourgeoisie envers le libéralisme, pour démoraliser la gauche et terroriser les minorités. (…)
Cette incursion armée dans le Capitole fédéral des États-Unis, provoquée par Trump, et qui s’ajoute aux efforts des sénateurs républicains les plus proches de Trump pour renverser le résultat des élections, n’aurait pas pu avoir lieu sans la connivence de la police de Washington DC, avec un certain rôle joué par le ministère de la Défense. S’il s’était agi de n’importe quel autre mouvement de protestation, ils auraient été repoussés – et de manière brutale, avec une violence disproportionnée au maximum. (…)
Au lieu de cela, la police de DC a ouvert les portes, permettant à l’extrême droite armée de s’introduire dans le Capitole, et s’est contentée d’observer les manifestant·es qui déambulaient à la recherche d’élu·es à prendre à partie – et puis quoi ? Ils ont laissé la situation dégénérer en une véritable fusillade, au cours de laquelle ils ont fini par tirer sur une femme dans le cou. Ils ont demandé le renfort de la Garde nationale, en réponse à quoi le ministère de la Défense a gagné du temps en disant qu’ils « allaient l’envisager ». (…)
Mon hypothèse est évidemment que le Pentagone a temporisé sous la pression de Trump, afin d’offrir à ses petits amis une reconstitution plus complète du Putsch de la Brasserie.
L’alliance entre l’extrême droite, la police et une faction du pouvoir exécutif a été consolidée à plusieurs reprises par de violentes campagnes de rue sous Trump : dans des manifestations contre le confinement, dans la bataille de groupes armés contre Black Lives Matter (BLM), et dans les incendies de l’Oregon. La dialectique entre la violence de rue et la répression autoritaire de l’État contre les ennemis de la droite a été et demeure un élément visible de la stratégie de Trump. Et cette dialectique de la radicalisation mutuelle – si essentielle au fascisme dans sa phase de maturité – confortée par une dose d’hystérie anticommuniste, a joué un rôle essentiel dans l’élargissement de la base de Trump lors des élections de novembre.(…)
Cependant, le courant de colère sous-jacent, le mythe de la trahison (« notre vote a été volé ») et la réalité alternative élaborée par Trump et largement partagée par les électeurs républicains, vont être alimentés dans les années à venir par une industrie de « désinfodivertissement » (disinfotainment) d’extrême-droite élaborée et habile. (…)
Il s’agit de fascisme inachevé, du fascisme dans sa phase expérimentale et spéculative, dans laquelle se forme une coalition de forces populaires minoritaires avec des éléments de l’exécutif et de l’aile répressive de l’État. Il serait terriblement stupide, d’une complaisance incroyable, d’attendre de la démocratie états-unienne qu’elle reste suffisamment stable dans les années à venir pour refuser à ce fascisme naissant de nouvelles possibilités de se solidifier et de se développer. (…)