La révo­lu­tion en Syrie a-t-elle gagné ?

23 décembre 2024

Site Europe soli­daire:

La révo­lu­tion en Syrie a-t-elle gagné ?

Au début de la révo­lu­tion syrienne, la mise en garde contre le risque d’être entraîné dans la violence et la mili­ta­ri­sa­tion a été la voix la plus forte. L’opi­nion domi­nante était qu’il était dans l’in­té­rêt du régime Assad de mili­ta­ri­ser la révo­lu­tion, car la violence est son terrain favori. Le régime Assad a fini par tomber, non pas dans le cadre du compro­mis proposé par le Conseil de sécu­rité des Nations unies dans ses réso­lu­tions, que le régime Assad a conti­nué à esqui­ver, mais d’une manière mili­taire radi­cale qui a conduit à la dispa­ri­tion du régime en quelques jours, lais­sant derrière lui un pays brisé et des vainqueurs.

Le prin­ci­pal atout poli­tique des vainqueurs réside dans le fait que la chute du régime leur est due, ce qui est une grande réus­site pour eux, mais cette réus­site est le fruit de tout ce que les Syrien.ne.s ont fait pour se libé­rer du joug d’As­sad. L’ef­fon­dre­ment mili­taire complet du régime Assad a été précédé d’un effon­dre­ment moral et poli­tique complet auquel tout le monde a contri­bué, en parti­cu­lier ceux qui se sont oppo­sés à Assad sans prendre les armes. On peut même affir­mer que les actions armées entre­prises contre le régime lui ont en fait apporté un certain soutien moral et poli­tique aux yeux du monde et de sa propre base. Il est indé­niable que les méthodes paci­fiques n’au­raient pas fait tomber le régime d’As­sad, mais elles auraient permis de déve­lop­per une conscience et une tradi­tion de lutte qui auraient été déter­mi­nantes au moment de mettre fin à son emprise, ce qui pour les parti­sans des méthodes paci­fiques est une justi­fi­ca­tion essen­tielle de leur choix stra­té­gique.

D’autre part, bien que ce soient des forces armées qui aient spec­ta­cu­lai­re­ment abattu le régime, cela ne prouve pas que le recours à la lutte armée était dès le départ la voie garan­tie pour faire tomber la junte d’As­sad, mais, comme nous nous y atten­dions et en avons été témoins, c’était une voie garan­tie vers la destruc­tion massive et la mort, ce que la Syrie n’avait encore jamais subi au cours de son histoire connue. S’il en en a été ainsi, c’est pour une part consi­dé­rable dû aux pratiques destruc­trices et colo­niales du régime, qui s’est comporté comme une puis­sance occu­pante, dénuée de tout sens de l’in­té­rêt collec­tif et insen­sible au sort du pays. Par ailleurs, la voie de la confron­ta­tion armée a ravivé les animo­si­tés et les haines commu­nau­taires, ce qui impo­se­rait aujourd’­hui que les nouveaux déten­teurs du pouvoir, dans cette phase critique qui fait suite à la chute du régime, soient pour­vus d’une pers­pec­tive non commu­nau­taire et d’une sagesse poli­tique qui protège le pays.

Quoi qu’il en soit, il s’est avéré que les vainqueurs, qui étaient aupa­ra­vant consi­dé­rés comme les repré­sen­tants de la contre-révo­lu­tion et comme une créa­tion du régime Assad et de ses alliés, et qui étaient vus par beau­coup comme une bouée de sauve­tage pour ce régime, non seule­ment parce qu’ils ont emprunté la voie mili­taire qui a écrasé la révo­lu­tion, mais aussi parce qu’ils sont des isla­mistes reje­tés à la fois par les musul­mans non sunnites et par un grand nombre de ceux-ci, reje­tés par l’Oc­ci­dent qui dirige le monde, et inscrits sur les listes occi­den­tales des terro­ristes ; il s’est donc avéré que ce sont ces hommes qui ont mis un point final à l’his­toire du régime Assad et ont apporté la joie au peuple syrien, une joie si grande qu’elle éclipse tout aujourd’­hui.

En y regar­dant de plus près, on constate que ce qui s’est passé ne remet pas en cause la perti­nence des consi­dé­ra­tions précé­dentes. Les facteurs qui ont conduit à l’agréable surprise de la chute du régime Assad étaient en grande partie externes, tout comme les facteurs qui ont permis au régime de durer plus de 13 ans après le déclen­che­ment de la révo­lu­tion. Ce ne sont pas les atouts poli­tiques qui ont déter­miné en premier lieu le cours des événe­ments. Il ne faut pas oublier que les forces qui sont entrées dans Damas sur les ruines du régime Assad avaient aussi l’ex­pé­rience de l’exer­cice du pouvoir, que leur bilan n’a pas donné un modèle de gouver­nance probant et que leurs diri­geants ne corres­pondent pas à ce à quoi les Syrien.ne.s aspirent.

Le formi­dable crédit acquis par les forces qui ont porté le coup fatal au régime Assad, elles le tirent prin­ci­pa­le­ment, et presque exclu­si­ve­ment, des atro­ci­tés commises par le régime Assad et de l’hor­reur de ce qu’il a perpé­tré dans ses efforts pour survivre et se main­te­nir, jusqu’à deve­nir non seule­ment un fardeau insup­por­table pour le pays et ses parti­sans comme pour ses oppo­sants, mais égale­ment une source de honte pour tous et toutes, si bien que les forces qui le chassent, quelle que soit leur nature, en tirent une grande gloire. Le pres­tige des forces victo­rieuses se mani­feste dans la grati­tude popu­laire géné­ra­li­sée à leur égard, tant de la part des loya­listes que de l’op­po­si­tion, une grati­tude qui s’étend à tous les groupes et à tous les niveaux, de sorte qu’il est diffi­cile de voir quelqu’un hési­ter à expri­mer sa joie, y compris les plus proches du régime et ceux et celles qui ont le plus peur des isla­mistes. Cepen­dant cette joie, pour beau­coup, s’ac­com­pagne d’inquié­tude et de prudence, non seule­ment de la part des mino­ri­tés natio­nales et confes­sion­nelles, en parti­cu­lier des Alaouites, mais aussi d’une grande partie des musul­mans sunnites qui ont des craintes par eu égard à la nature idéo­lo­gique et poli­tique de ces forces, à leur manque d’ou­ver­ture à la moder­nité et à leur atti­tude hostile à l’égard du monde.

Une nouvelle étape du combat commence aujourd’­hui en Syrie, avec d’un côté les forces isla­mistes victo­rieuses et de l’autre les forces non isla­mistes qui cherchent à parti­ci­per à la vie poli­tique et à se rappro­cher du monde déve­loppé et des valeurs qu’il prône. Le conflit se situe entre ceux et celles qui consi­dèrent le renver­se­ment du régime comme la victoire de la révo­lu­tion et ceux et celles qui le voient comme le début de la mise en place des condi­tions qui permet­tront la réali­sa­tion de la révo­lu­tion.

Cela n’ex­clut pas la possi­bi­lité de conflits entre les forces et les factions qui ont parti­cipé au renver­se­ment du régime à mesure que les complexi­tés de la recons­truc­tion de l’État appa­raissent et que des conflits écla­te­ront sur la défi­ni­tion des réfé­rences et des rôles. De la même façon, la lutte contre la tendance des isla­mistes à isla­mi­ser l’État et la sphère publique pour­rait alimen­ter des conflits internes entre les factions isla­mistes elles-mêmes.

La Syrie connaît ainsi un conflit qui comporte deux phases : la première fut celle du renver­se­ment mili­taire du régime, tâche entre­prise par les forces isla­mistes parce qu’elles dispo­saient d’une capa­cité de mobi­li­sa­tion, d’une volonté de combattre et d’un soutien exté­rieur. Cepen­dant, s’ar­rê­ter à ce stade reste­rait décon­necté des aspi­ra­tions des Syrien.ne.s qui ont été à l’ini­tia­tive de la révo­lu­tion, dont les aspi­ra­tions néces­sitent une deuxième étape qui sera entre­prise par les forces de la société civile contre les forces isla­mistes elles-mêmes, dans une lutte non-violente pour déter­mi­ner la Cons­ti­tu­tion, la forme de l’État et le système poli­tique, afin de trans­for­mer la Syrie et la chan­ger, d’une répu­blique seule­ment de nom en une répu­blique dans les faits. C’est alors que l’on pourra dire que la révo­lu­tion aura gagné.

Rateb Shabo, 23 décembre 2024
Publié en arabe sur le site 963me­dia.com, traduit en français par DeepL, adapté par Pierre Vande­voorde et relu par l’au­teur.
https://963me­dia.com/33179/
https://www.europe-soli­daire.org/spip.php?arti­cle73067

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