Ligue des droits de l’homme. « Plus de cent vingt enfants français nés en Syrie y sont encore. »

31–12–2024

« De quoi les enfants nés en Syrie sont-ils coupables
pour gran­dir dans de telles condi­tions,
avec le senti­ment d’être aban­don­nés par la France ? 

Tribune de Patrick Baudouin et Françoise Dumont, prési­dents d’hon­neur de la LDH

Plus de cent vingt enfants français nés en Syrie y sont encore. Leur rapa­trie­ment est une urgence, affirment Patrick Baudouin et Françoise Dumont, prési­dents d’hon­neur de la LDH (Ligue des droits de l’Homme).

Lorsque, en 2019, l’or­ga­ni­sa­tion Etat isla­mique a perdu ses derniers terri­toires, de nombreux enfants se sont retrou­vés aux mains des auto­ri­tés kurdes, déte­nus avec leur mère dans diffé­rents camps, notam­ment à Roj et Al-Hol, dans le Nord-Est syrien. A leur arri­vée dans ces camps, la plupart d’entre eux étaient très jeunes, d’autres y sont nés.

Au fil des mois, les diffé­rents pays concer­nés ont rapa­trié ces familles, la France a fait progres­si­ve­ment de même mais en traî­nant beau­coup les pieds, en dépit de sa condam­na­tion par les comi­tés onusiens et la Cour euro­péenne des droits de l’Homme.

Pour­tant, elle ne pouvait mécon­naître les condi­tions épou­van­tables dans lesquelles ces enfants ont vécu pendant plusieurs années : expo­sés au froid, à la chaleur, sous-alimen­tés, sans suivi médi­cal ni psycho­lo­gique, sans scola­ri­sa­tion, à la merci de bombar­de­ments turcs et d’in­fil­tra­tions de groupes djiha­distes encore très présents dans la région…

Drôle de façon pour les auto­ri­tés françaises d’as­su­mer leur mission abso­lue de protec­tion de l’en­fance et de respec­ter la Conven­tion inter­na­tio­nale des droits de l’en­fant dont nous nous enor­gueillis­sons si souvent d’être signa­taires.

Plus aucun rapa­trie­ment
Après plusieurs vagues de rapa­trie­ment, qui ont permis à envi­ron 360 enfants de retrou­ver le sol– le sol de leur pays –, plus aucun retour n’a eu lieu depuis 2023. Il reste aujourd’­hui dans le camp de Al-Hol 120 enfants et une cinquan­taine de mères, qui refusent, pour diverses raisons, de signer un papier par lequel elles formulent expli­ci­te­ment leur demande de rapa­trie­ment. La France est d’ailleurs le seul pays à exiger de ces femmes une telle démarche.

Il faut ajou­ter à ces 120 enfants six autres plus âgés, trans­fé­rés par les auto­ri­tés kurdes dans les « centres de réha­bi­li­ta­tion » d’Or­kech et de Houry et qui sont rete­nus là sans protec­tion consu­laire, sans accès à un juge ou un avocat, dans un état physique et psycho­lo­gique catas­tro­phique et qui ne cesse de se dégra­der. De quoi sont-ils coupables pour gran­dir dans de telles condi­tions, avec le senti­ment d’être aban­don­nés par la France, ce qui, à terme, ne peut que favo­ri­ser leur radi­ca­li­sa­tion ?

En réalité, ils ne sont coupables de rien, si ce n’est des choix de leurs parents, et, si ceux-ci doivent légi­ti­me­ment rendre des comptes à la justice, les enfants, eux, ne doivent payer ni pour les actes, ni pour les erreurs de ceux qui les ont entraî­nés dans leur funeste projet. Du reste, les retours que nous pouvons avoir concer­nant les rapa­triés montrent que leur réadap­ta­tion se passe bien.

Devoir de protec­tion
Aujourd’­hui, la situa­tion en Syrie s’est embal­lée avec la chute rapide de Bachar Al-Assad. Mais elle est très confuse, et le rôle de chacun des prota­go­nistes en présence sur le terrain reste très incer­tain. Nous ne pouvons pas accep­ter que ces ressor­tis­sants français soient pris dans des affron­te­ments sanglants entre groupes favo­rables à l’an­cien régime, mouve­ments djiha­distes, forces kurdes et turques.

On peut aussi craindre que certains enfants soient récu­pé­rés par des groupes qui pour­raient les endoc­tri­ner et en faire des combat­tants. Leur rapa­trie­ment est une urgence. C’est leur vie même qui est en jeu et cela, à court terme. La France ne doit pas igno­rer les dangers qui les menacent et se désho­no­re­rait en se sous­trayant à son devoir de protec­tion.

En 2019, le président Emma­nuel Macron affir­mait : « La France est un pays qui n’aban­donne jamais ses enfants, [quelles que soient les circons­tances et fût-ce] à l’autre bout [de la planète]. » Il est grand temps que la parole donnée aux adultes – tout comme aux enfants – soit enfin respec­tée.

Tribune parue initia­le­ment dans Le Monde
https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/12/27/de-quoi-les-enfants-nes-en-syrie-sont-ils-coupables-pour-gran­dir-dans-de-telles-condi­tions-avec-le-senti­ment-d-etre-aban­donnes-par-la-france_6469802_3232.html
https://www.ldh-france.org/27-decembre-2024-tribune-de-quoi-les-enfants-nes-en-syrie-sont-ils-coupables-pour-gran­dir-dans-de-telles-condi­tions-avec-le-senti­ment-detre-aban­donnes-par-la-france-publiee/

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