Mono­logue imagi­naire avec Tautau le z’hé­ros (épisode 4 et fin)

[suite de l’épi­sode 3]

Quand tu cries « Police partout, justice nulle part » j’ai parfois l’im­pres­sion d’en­tendre à la place un constat que je partage « police partout » mais aussi un souhait que je ne partage pas « gouver­ne­ment nulle part ». Il me semble que ta critique de l’État commence par la police et finit … par la police. Pour toi l’État ne se résume qu’à ça ? Qu’à une force de répres­sion ?

C’est bien léger, surtout – ça me fait sourire à chaque fois – quand tu le fais parfois au milieu de cortèges de fonc­tion­naires.

Car c’est bien une ques­tion épineuse que celle de l’État. D’ailleurs ma tradi­tion histo­rique (le marxisme révo­lu­tion­naire, pour aller vite) n’est pas bien au clair là-dessus : État socia­liste ? État révo­lu­tion­naire ? Démo­cra­tique ? État social ? Dépé­ris­se­ment de l’État ? Tout ça est bien flou. Et ton affir­ma­tion « mort à l’État », excuse-moi, n’est pas moins nébu­leuse.

Ce flou fait que ton affron­te­ment théo­risé avec les forces de répres­sion de l’État, excuse-moi du peu, me semble indo­lore pour le gouver­ne­ment ou le capi­ta­lisme. La police joue le plus souvent au chat et à la souris avec toi et tu lui permets de sortir de l’en­nui qui est son lot quoti­dien.

Et puis, par quel tour de passe passe en arrives-tu à penser que la répres­sion poli­cière est un gage d’ef­fi­ca­cité anti­ca­pi­ta­liste ? Plus ils tapent, plus tu as raison ? Donner à la police (ou à l’État) ce rôle d’ar­bitre est un raison­ne­ment qui me semble bizarre.

D’au­tant que le défi physique, s’il fait couler l’adré­na­line et surgir la frater­nité du combat (frater­nité mais pas soro­rité, tu remarques), peut se retrou­ver dans n’im­porte quel conflit, du plus stupide au plus justi­fié. Laisse moi te dire que les z’hé­ros ne m’émeuvent pas, la geste héroïque n’est qu’un discours qui nous berce plus ou moins de ses illu­sions, ce qui est agréable souvent mais qui ne peut servir de guide au milieu du gué de la réalité.

Mais ce qui me dérange le plus ce n’est pas l’illé­ga­lité : à certaines périodes de notre histoire, dans certaines situa­tions, il a bien fallu. Ce n’est pas la violence, même remarque. Ce qui me dérange c’est ton indif­fé­rence aux déci­sions collec­tives, ton dédain de l’ap­pro­ba­tion du plus grand nombre, ton élitisme indi­vi­duel contre le collec­tif et le légi­time.

Quand tu appa­rais soudain à la fin d’une manif à Poitiers, cagoulé, prêt au combat, alors que les parti­ci­pant-es n’ont pas décidé de cet affron­te­ment, je ne te suis pas. Quand on décide collec­ti­ve­ment d’occu­per les voies SNCF, cela, oui, a une légi­ti­mité. Ne vois-tu pas la diffé­rence ?

En 2009 à Poitiers des tautaus venus des quatre coins du pays ont chargé la police pour protes­ter contre la prison de Vivonne. Pour­sui­vis par les forces de l’ordre armés de flash­ball ils se sont réfu­giés dans la foule des spectateurs et spec­ta­trices qui assis­taient au festi­val des « Expres­sifs ». Ce samedi 10 octobre 2009 ces actes de violence n’ont rien changé ni au système capi­ta­liste, ni au sort des prison­niers. Ils étaient dange­reux pour la popu­la­tion et ils avaient envoyé en prison trois jeunes sans respon­sa­bi­lité dans l’af­faire. Justice nulle part ? Certes. Mais ils avaient pris pour les tautaus. Irres­pon­sables ! Et puis, fran­che­ment, est-ce que quand on n’a pas choisi de s’af­fron­ter à la police, a-t-on pour autant une gueule de paysage, une gueule d’ano­nymes, de blai­reaux, de moutons ? Oui ?

Ben si tu penses que oui, c’est ça mon problème avec toi. Moi je cherche la légi­ti­mité du nombre, je milite pour un projet univer­sa­liste, qui améliore la vie du plus grand nombre. Et je main­tiens contre vents et marées qu’il y a de la fin dans les moyens qu’on utilise.

J’ar­rête-là car il faut bien arrê­ter quelque part. Je conti­nue­rai à dénon­cer la répres­sion écono­mique, sociale, poli­tique, média­tique et poli­cière contre le mouve­ment ouvrier en marche. Veux-tu en faire partie ?

Enfin mille excuses pour t’avoir traité de « Tautau le z’hé­ros » : parfois on se laisse empor­ter juste pour faire un mot d’es­prit…

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