France info: Immi­gra­tion : « Il y a de plus en plus de tolé­rance, mais aussi davan­tage de pola­ri­sa­tion autour de ce sujet »

 

Article du24–12–2023. Mathieu-Couette.

https://www.fran­cet­vinfo.fr/societe/immi­gra­tion/grand-entre­tien-immi­gra­tion-il-y-a-de-plus-en-plus-de-tole­rance-mais-aussi-davan­tage-de-pola­ri­sa­tion-autour-de-ce-sujet_6260607.html#at_medium=5&at_campaign_group=1&at_campaign=7h30&at_offre=3&at_variant=V3&at_send_date=20231224&at_reci­pient_id=726375–1437806000-fc6ae7e6

(…) Pour le socio­logue Vincent Tiberj, ce type d’ana­lyse procède d’un « regard sélec­tif ». Le cher­cheur produit chaque année un indice longi­tu­di­nal de tolé­rance (ILT), à partir d’une enquête menée par la Commis­sion natio­nale consul­ta­tive des droits de l’homme (CNCDH). Inter­rogé par fran­ceinfo, s’il admet que l’im­mi­gra­tion consti­tue un sujet de « préoc­cu­pa­tion » chez une partie de la popu­la­tion, il constate toute­fois une forte progres­sion de la tolé­rance des Français sur les ques­tions migra­toires depuis trente ans.

Fran­ceinfo : Quand Emma­nuel Macron s’est exprimé mercredi dans « C à vous », il a déclaré « nos compa­triotes atten­daient » le projet de loi immi­gra­tion voté cette semaine. Dit-il vrai ?

Vincent Tiberj : C’est un regard sélec­tif sur les sondages. Oui, il y a une préoc­cu­pa­tion pour l’im­mi­gra­tion dans une partie de la popu­la­tion française. On la retrouve à droite, parmi les seniors, plutôt dans les classes moyennes, mais pas néces­sai­re­ment dans les milieux les plus popu­laires.

Mais quand on regarde les domaines dans lesquels les répon­dants souhai­te­raient une action gouver­ne­men­tale, ce n’est très clai­re­ment pas l’im­mi­gra­tion qui arrive en tête. Cela va plutôt être le pouvoir d’achat, l’in­fla­tion, les salaires, les retraites, les ques­tions sociales, voire l’édu­ca­tion. Dans un certain nombre d’enquêtes, l’im­mi­gra­tion arrive même derrière le réchauf­fe­ment clima­tique.

Si on doit gouver­ner à travers les sondages, alors il faut tous les prendre. Cela vaut notam­ment pour la réforme des retraites. Et c’est là que l’on se demande parfois quelle est l’ar­ti­cu­la­tion de la vision poli­tique de la majo­rité macro­niste. Quand les sondages ne vont pas dans leur sens, ils ont tort. Mais quand ils iraient dans leur sens, on peut les prendre en compte.

Le projet de loi était tout de même soutenu par les Français d’après les sonda­ges…

Vous faites réfé­rence au sondage de l’ins­ti­tut CSA du 17 décembre pour le Jour­nal du dimanche, Europe 1 et CNews. Avez-vous eu accès aux docu­ments rela­tifs à ce sondage ? Il est introu­vable. Je soupçonne même que le ques­tion­naire ait été construit unique­ment pour susci­ter le rejet des immi­grés. Les autres insti­tuts comme Ifop, Kantar ou Ipsos produisent des rapports dans lesquels on peut regar­der le nombre d’in­di­vi­dus inter­ro­gés, les libel­lés des ques­tions, les moda­li­tés de réponse propo­sées et souvent les venti­la­tions par groupes socio­po­li­tiques. Le sondage de l’ins­ti­tut CSA a eu un poids dans le débat public. Les infor­ma­tions sur cette enquête devraient être acces­sibles. Ce n’est pas le cas.

(…)

Par exemple, pouvait-on savoir à quoi les gens s’op­po­saient, ou ce qu’ils soute­naient, avant la présen­ta­tion de la réforme des retraites du mois de janvier ? La réponse est non. Ce n’est que lorsque les premières mani­fes­ta­tions ont eu lieu et que des commen­ta­teurs, des spécia­listes, des poli­tiques, se sont expri­més sur les plateaux télé­vi­sés, en faveur ou contre, que progres­si­ve­ment, nous sommes arri­vés à des opinions plus struc­tu­rées. De telle sorte que deux mois plus tard, avec les sondages de mars,

(…)

Il y a donc toujours une majo­rité de Français qui pensent qu’il y a trop d’im­mi­grés en Fran­ce…

Tout à fait, c’est une opinion souvent majo­ri­taire sur cette ques­tion. Tout dépend cepen­dant de la manière dont la ques­tion est cadrée. Certaines ques­tions produisent plus de soutien à l’idée qu’il y a trop d’im­mi­grés en France. Et d’autres moins. Mais ce qui est inté­res­sant, c’est qu’en agré­geant toutes ces mesures, on s’aperçoit qu’il y a une montée de la tolé­rance. Cela s’ex­plique par des phéno­mènes de long terme comme l’élé­va­tion du niveau de diplôme. Plus on est diplômé, plus on est tolé­rant. Il y a aussi un effet de renou­vel­le­ment géné­ra­tion­nel. Les géné­ra­tions les plus xéno­phobes sont les plus anciennes.

(…)

Comment expliquez-vous alors la montée de l’ex­trême droite ?

C’est en effet très para­doxal. Il y a de plus en plus de tolé­rance. Mais il y a aussi plus de pola­ri­sa­tion autour des ques­tions de diver­sité et d’im­mi­gra­tion. Et c’est cette pola­ri­sa­tion qui struc­ture le vote. Plus une géné­ra­tion est récente, plus elle est tolé­rante. Mais au sein de ces jeunes géné­ra­tions, si vous êtes into­lé­rant, vous avez plus de chances de voter pour le Rassem­ble­ment natio­nal.

Les clivages socio-écono­miques sont éclip­sés par les ques­tions cultu­relles. On ne parle plus que de ça. Ces sujets struc­turent le débat et donc le choix final. Et cela sert tout un ensemble d’ac­teurs poli­tiques.

Vous poin­tez donc aussi les médias du doigt ?

Oui, clai­re­ment. La manière dont on débat, dont on traite les ques­tions migra­toires influe sur l’évo­lu­tion du senti­ment de tolé­rance sur les ques­tions migra­toires. Le cas du fait divers qui a eu lieu à Crépol, dans la Drôme en novembre, est signi­fi­ca­tif en ce sens. L’idée que des jeunes sont venus « tuer du Blanc » a été diffu­sée sur des plateaux de télé­vi­sion. C’est cette manière de racon­ter l’his­toire qui s’est impo­sée, alors même que des enquêtes jour­na­lis­tiques ont montré que la réalité était plus compliquée. Mais c’était trop tard. Le mal était fait.

 

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