Pousser les Gazaouis à abandonner leur terre, l’objectif de plus en plus assumé du gouvernement israélien
Poussés par la faim, la soif, la peur de mourir sous les tirs imprévisibles de l’armée israélienne, les habitants de Gaza sont-ils travaillés au corps, consciencieusement, pour céder à ce régime et finir par quitter l’enclave ? Si le rêve d’un Gaza sans Palestiniens est poussé dans les milieux d’extrême droite israéliens depuis le 7-Octobre, porté par un courant en faveur de la colonisation intégrale de ce territoire, le gouvernement n’avait pas pris de mesures organisant concrètement le départ des habitants de l’enclave. Désormais, au moment où la dégradation de toutes les conditions de vie, ou de survie, des Gazaouis prend une tournure paroxystique, cette possibilité de dépeuplement a un cadre concret.
Israel Katz, le ministre de la défense israélien, en a formalisé les contours, le 7 juillet, en annonçant l’intention du gouvernement de créer sur les ruines de Rafah, dans le sud de l’enclave, une « ville humanitaire ». Environ 600 000 personnes sont supposées – dans un premier temps – être massées dans cette structure créée dans une zone presque totalement rasée. Une fois à l’intérieur, une unique voie de sortie serait offerte : quitter Gaza pour une destination à l’étranger.
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Le 4 février, Donald Trump appelait à transformer Gaza en une « Riviera » vidée de ses habitants actuels. Mardi 22 juillet, la ministre de l’innovation, des sciences et de la technologie israélienne, Gila Gamliel, a repris l’idée et la méthode en diffusant sur X sa version générée par intelligence artificielle de ce Gaza sans Palestiniens, tout en prenant soin de rappeler qu’elle plaide, depuis octobre 2023 pour une « migration volontaire » des habitants de l’enclave (2,1 millions d’habitants).
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Cela ne risque pas de heurter une grande partie de l’opinion publique en Israël. Depuis le mois de mai, les sondages montrent qu’entre 70 % et 80 % de la population juive israélienne soutient l’idée de voir les Palestiniens expulsés de Gaza, même si certains sondés estiment que l’hypothèse est « peu pratique, mais souhaitable ».
Effrayés par la perspective de ce passage à l’acte à grande échelle, seize spécialistes israéliens de droit international ont publié, le 10 juillet, une lettre ouverte dans laquelle ils arrivent à la conclusion qu’un tel plan constitue, en soi, un « ordre manifestement illégal »donné à l’armée. « Si ce plan devait entrer en vigueur, il ne constituerait pas une évacuation, dans le sens légal du terme, mais relèverait de la mise en place de camps de détention de masse, dont le premier but serait le nettoyage ethnique et les expulsions », ajoutent-ils.
D’autres voix, outrées mais isolées, se sont élevées en Israël contre ce projet, comme celle de l’ancien premier ministre, Ehoud Olmert, qui a déclaré, lors d’une interview au Guardian, au sujet de la « ville humanitaire » : « Je suis désolé [mais] il s’agit d’un camp de concentration. » Sans effet. Benyamin Nétanyahou a demandé à la hiérarchie militaire d’étudier rapidement la faisabilité de cette structure et même retoqué, selon la presse israélienne, le premier état des propositions de l’état-major, qu’il juge trop onéreuses.
Lors de sa visite aux Etats-Unis, début juillet, il avait déjà développé cette idée de départs massifs de Gaza. Aux côtés du président américain à la Maison Blanche, il déclarait : « Le président Trump a eu cette vision brillante. Cela s’appelle le libre choix. Si les gens veulent rester, ils peuvent rester, mais s’ils veulent s’en aller, il faut qu’ils puissent le faire. » Des propos énoncés peu après avoir annoncé qu’il soutenait la candidature de Donald Trump pour le prix Nobel de la paix, avant d’affirmer que « plusieurs pays »étaient prêts à « offrir de meilleures perspectives d’avenir » aux Palestiniens qui quitteraient Gaza.
Alors que les pays de la région, en tout premier lieu l’Egypte, ont signifié qu’ils ne comptaient pas jouer ce rôle, David Barnea, le chef du Mossad, le service de renseignement extérieur israélien, s’est rendu à la mi-juillet à Washington pour obtenir, selon le média en ligne Axios, un appui afin de tenter de convaincre plusieurs pays, comme l’Indonésie, la Libye ou l’Ethiopie, d’accueillir des Palestiniens.
Des informations dans la presse israélienne font état d’une réticence du chef d’état-major, Eyal Zamir, face à ce projet, considérant que les soldats n’ont pas pour mission de garder un camp d’internement géant, et que l’opération aurait un coût très élevé, chiffré dans les médias israéliens dans une fourchette allant de 10 milliards à 15 milliards de shekels (de 2,5 milliards à 4 milliards d’euros).
Certains responsables gouvernementaux, eux, continuent de défendre cette perspective comme une poursuite de la guerre, sous forme de tactique contre-insurrectionnelle. C’est le cas de Zeev Elkin, député de Nouvel Espoir, un parti à la droite du Likoud et membre de la coalition de Benyamin Nétanyahou. Il affirme : « Plus vous séparez le Hamas de la population et plus le Hamas va perdre. »
Michael Sfard, avocat spécialiste de longue date de la défense des droits des Palestiniens dans les territoires occupés, n’avait pas, « même dans [ses] pires cauchemars », imaginé qu’une telle situation se produise : « Le plan de cette soi-disant “ville humanitaire” est un plan pour un transfert de population, suivi d’une déportation. Dans le droit international, il n’est pas nécessaire de pousser des gens à monter dans des camions à la pointe du fusil pour se rendre coupable de ce type de crimes. Le fait d’imposer des mesures coercitives suffit, par exemple si vous obligez un groupe [de personnes] à se déplacer pour essayer d’échapper à la famine, ou si vous détruisez leurs logements, l’infrastructure de santé, l’accès à l’eau, etc., explique le juriste. Le langage utilisé par les responsables israéliens est mensonger. Dans le contexte de Gaza aujourd’hui, il n’y a rien qui relève de “départs volontaires”. Les habitants de Gaza n’ont strictement aucun choix. »
