5 décembre 2025

Le Monde. Luc Bron­ner. Extraits de l’in­ter­view du diri­geant de l’UNRWA

« Philippe Lazza­rini est commis­saire géné­ral de l’agence des Nations unies pour les réfu­giés pales­ti­niens (UNRWA), une orga­ni­sa­tion créée en 1949, qui inter­vient à Gaza, en Cisjor­da­nie, en Jorda­nie, au Liban et en Syrie. Dans l’en­clave pales­ti­nienne, plus de 10 000 employés pales­ti­niens de l’agence assurent des missions huma­ni­taires, d’édu­ca­tion et de santé. »

Depuis l’at­taque terro­riste menée par le Hamas, le 7 octobre 2023, les rela­tions avec Israël se sont dégra­dées, l’Etat hébreu accu­sant l’UNRWA de compli­cité avec le mouve­ment pales­ti­nien, ce que des enquêtes internes de l’ONU ont démenti. M. Lazza­rini, qui n’est plus auto­risé par Israël à se rendre à Jéru­sa­lem, a répondu au Monde par visio­con­fé­rence.

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Quelle est la situa­tion dans la ville de Gaza, alors que l’of­fen­sive de l’ar­mée israé­lienne s’in­ten­si­fie ?

Il y a une atmo­sphère d’in­cré­du­lité, de panique, de peur, d’an­goisse. Les gens de Gaza ne savent pas vrai­ment ce qu’ils veulent faire ou ne pas faire parce que, de toute manière, les ordres d’éva­cua­tion sur des zones dites huma­ni­taires ne signi­fient évidem­ment pas grand-chose pour eux ; ils ont l’im­pres­sion, où qu’ils soient, qu’il n’y a aucun endroit sûr. Il y a aussi la peur des habi­tants de se dire, si on s’en va, on ne revien­dra pas. C’est un peu toujours cette angoisse, héri­tée de la première Nakba [le dépla­ce­ment forcé de 700 000 Pales­ti­niens à la créa­tion de l’Etat d’Is­raël en 1948] : on est partis, on ne revient jamais.

Pour le reste, c’est abso­lu­ment obscène qu’il puisse y avoir une opéra­tion mili­taire de cette enver­gure tout en cher­chant à dépla­cer l’en­tiè­reté de la popu­la­tion de Gaza, qui est déjà forte­ment affai­blie.

La situa­tion huma­ni­taire de la ville de Gaza et du nord de l’en­clave pales­ti­nienne était déjà parti­cu­liè­re­ment dégra­dée. Quel impact va avoir l’of­fen­sive mili­taire ?

Il n’y a abso­lu­ment aucun doute que cela va aggra­ver la situa­tion. Les gens à Gaza sont déjà extra­or­di­nai­re­ment vulné­rables. L’état de famine a été déclaré. On a vu cette situa­tion nutri­tion­nelle se dégra­der depuis des mois. Le nord de la bande de Gaza est la partie où il a été le plus diffi­cile d’ache­mi­ner l’aide huma­ni­taire. C’est la raison pour laquelle je dois dire que nous sommes confron­tés à une famine complè­te­ment fabriquée, qui aurait pu être évitée. C’est certai­ne­ment la famine qui est la plus simple à résoudre. Il suffit d’une volonté poli­tique.

(…) depuis mars « l’UNRWA, la véri­table colonne verté­brale de l’aide huma­ni­taire, a été empê­chée d’ame­ner tout appro­vi­sion­ne­ment. Aujourd’­hui, par exemple, nous avons à dispo­si­tion des stocks qui nous permet­traient de couvrir tous les besoins de la popu­la­tion de Gaza pour les trois prochains mois. »

La réac­tion de la commu­nauté inter­na­tio­nale est-elle à la hauteur de ce qui se passe aujourd’­hui à Gaza depuis main­te­nant près de deux ans ?

Bien sûr que non. (…) Et ce malgré les injonc­tions de la Cour inter­na­tio­nale de justice, en janvier 2024, qui avait demandé que des mesures soient prises pour éviter que l’on arrive à une situa­tion dite de géno­cide.

Je pense qu’il y a un risque qu’on finisse par s’ha­bi­tuer à cette horreur, qu’on s’ac­cou­tume au fait qu’il y ait, selon moi, une famine déli­bé­rée et fabriquée. Cette indif­fé­rence, cette inac­tion, cette passi­vité ressemblent de plus en plus à une compli­cité tacite par rapport à ce qui se passe dans la bande de Gaza.

(…)

Dans ce contexte, le proces­sus de recon­nais­sance d’un Etat de Pales­tine, au-delà des pays qui l’ont déjà reconnu, peut-il faire bouger les lignes ?

C’est bien, c’est impor­tant, mais c’est insuf­fi­sant et cela arrive tard. Il ne faut pas que cela s’ar­rête là. Ce n’est pas parce qu’on a fait le pas de la recon­nais­sance que l’on doit consi­dé­rer que l’on a suffi­sam­ment agi pour les Pales­ti­niens ou en faveur de la solu­tion à deux Etats. Cela ne devrait être que le début d’un enga­ge­ment, d’un proces­sus. Le fait de recon­naître l’Etat pales­ti­nien devrait aussi permettre à ces mêmes pays de dire que si les droits de cet Etat sont bafoués, ils devront prendre des mesures.

Est-ce que l’UNRWA dispose des ressources suffi­santes pour assu­rer ses missions auprès des réfu­giés pales­ti­niens à Gaza, en Cisjor­da­nie, au Liban et en Jorda­nie ?

(…)

Notre situa­tion finan­cière est extrê­me­ment préoc­cu­pante. On se bat au quoti­dien pour main­te­nir l’UNRWA à flot. J’ai aussi dit à la Ligue arabe – mais c’était surtout adressé aux Etats de la région : on a un très fort soutien poli­tique, une très très forte soli­da­rité expri­mée, mais elle ne se traduit pas néces­sai­re­ment par les ressources mises à dispo­si­tion.

En 2025, celles versées par les Etats de la région ont dimi­nué de 90 % par rapport à 2024. Au total, leurs contri­bu­tions s’élèvent unique­ment à 3 %. Je leur ai dit que ce n’était certai­ne­ment pas le message qu’ils voulaient passer aux réfu­giés pales­ti­niens.

J’es­père que dans les semaines à venir, cette situa­tion va s’amé­lio­rer. Notre agence va essayer de se foca­li­ser sur la ques­tion de l’édu­ca­tion, une prio­rité abso­lue. Nous avons plus de 600 000 filles et garçons en âge d’être scola­ri­sés à l’école primaire ou dans le secon­daire qui, aujourd’­hui, sont trau­ma­ti­sés et vivent dans les décombres de Gaza. (…)

Luc Bron­ner (Jéru­sa­lem, corres­pon­dant)

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